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La république chez les Décembristes : une interprétation russe des expériences politiques européennes ?

Julie GRANDHAYE

Agrégée de russe, docteur en histoire, UMR 5206 Triangle.

Index matières

Mots-clés : république, Décembristes, souveraineté, représentation nationale, démocratie, fédération

Plan de l'article
Texte intégral

Dans leurs recherches sur le régime politique le plus adéquat pour la Russie, les Décembristes accordent une place tout à fait spécifique à la république. Cette dernière apparaît en filigrane dans de nombreux textes, bien qu’elle ne soit que très rarement citée de manière explicite : ainsi, Socrate sert de héros aux Décembristes écrivains ; Nikita Mikhaïlovitch Mouraviov raconte qu’à l’âge de 16 ou 17 ans, il avait imaginé, avec son frère, d’aller vivre sur une île pour y instaurer une république. Malgré cette fascination permanente pour la république, ce concept manque cruellement d’assise théorique : outre le fait que l’on rencontre très rarement le terme dans les projets constitutionnels, il n’est jamais défini. Ainsi, Pavel Ivanovitch Pestel se prononce ouvertement pour le régime politique républicain, mais, dans son projet constitutionnel, il ne l’évoque à aucun instant. Quant à Mouraviov, il tente de dissimuler derrière un gouvernement monarchique son penchant pour la république, ce dont témoigne Pestel :

Он доставил ко мне часть сей конституции, извещая что пишет оную в Монархическом смысле не потому чтобы он Монархического правления держался более чем Республиканского, ибо он был в 1820 году один из тех членов, которые наиболее в пользу сего последнего говорили, но для того, чтобы сблизиться с понятиями вновь вступающих в общество членов.[1]

On peut donc faire état d’un véritable « désir de république » chez les Décembristes, bien que la tâche qui consiste à expliciter ce que recouvre ce désir soit des plus ardues. Le terme république désigne un concept en cours d’élaboration, que ce soit en Europe ou en Russie, à la fin du xviiie et au début du xixe siècle. En ce sens, elle peut être étudiée comme un lieu de rencontre des idées politiques russes et européennes, un lieu d’échanges et de tensions, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Il faut donc interroger la polysémie de ce terme et son évolution, pour mieux mesurer les enjeux de culture politique et juridique, qui y sont liés. Par la suite, on tentera de définir la réalité de la république en tant que régime politique. La tentation est grande de comprendre la « république » des Décembristes à partir de la Révolution française et de la Première République de 1792 ; mais réduire la république à la seule expérience française est une erreur qui nous conduirait à n’analyser qu’une partie de la conception décembriste de la république. Si l’on veut discerner la notion de république au sein des revendications constitutionnelles des Décembristes, il convient d’analyser les différents éléments qui constituent la tradition européenne de la république : des institutions politiques libres, la souveraineté du pouvoir et la représentation nationale. Enfin, après avoir identifié les influences européennes et américaines qui ont marqué les Décembristes, il faudra tenter de déceler ce qui fait la conception proprement russe de la république chez les Décembristes.

La république, un terme polysémique et légendaire

Un concept en cours d’élaboration

Au cours du xviiie siècle, le concept de république n’est pas encore clairement défini. Héritant de la définition donnée par Jean Bodin[2], la république est définie par trois éléments : un intérêt commun, une puissance souveraine au-delà de la forme de l’État et un gouvernement selon la raison. Selon ce premier niveau de définition, la république ne correspond pas à un régime politique défini, mais désigne l’État, la « chose publique », comme son origine latine (res publica) le laisse clairement entendre. L’État devient réellement « chose publique » lorsque le pouvoir n’est pas entièrement concentré entre les mains du monarque, qui le détiendrait comme un objet privé ; en ce sens la république sous-entend l’élaboration de lois auxquelles le monarque est lui-même soumis, la prédominance de ces lois situées au-dessus du droit coutumier, et enfin l’existence d’un cadre légal dans lequel s’exerce le pouvoir.

Cette conception de la république désignant uniquement la « chose publique » demeure valable jusque dans les années 1780 ; dans Du contrat social ou Principe du droit politique, Rousseau définit la république comme « tout État régi par des lois, sous quelque forme d’administration que ce puisse être, car alors seulement l’intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose »[3].

Jean-Denis Lanjuinais confirme cette définition :

Je ne reconnais point dans la république une forme particulière de gouvernement. C’est un nom qui convient à tous les gouvernements simples ou mixtes que nous avons appelés nationaux ou de droit commun, ainsi que nous l’avons expliqué, parce que, dans ces gouvernements, l’autorité supérieure est actuellement ou habituellement la chose du public, la chose de la société, de la nation ; en un mot, qu’elle n’existe que par la nation ou pour la nation. La qualification de république convient donc à tout gouvernement constitutionnel et représentatif, et même à tout gouvernement de droit commun. Sous nos rois, on disait la république pour la France.[4]

La république ne désigne pas ici un régime politique au sens strict, mais indique la manière dont le pouvoir doit être utilisé : on peut donc parler d’un « mode républicain » de gouvernement, par opposition au mode despotique, par exemple. Pour Kant et Fichte, la république apparaît comme l’incarnation des idéaux des Lumières allemandes, puisqu’elle allie liberté, justice et raison. C’est en ce sens que Kant parle d’une « république universelle »[5], c’est-à-dire d’une loi commune à tous les États, avec un pouvoir législatif, exécutif et judiciaire communs, afin de régler pacifiquement les conflits.

En Russie, la notion de république au sens de « mode républicain de gouvernement » se rencontre fort peu. En revanche, d’autres références interviennent, qui permettent de préciser le sens de « république ». Le dictionnaire étymologique Fasmer[6] ne fait mention du terme Republika puis Respublika qu’à partir de 1696 et 1699 – dans deux oukases –, avec une hésitation sur le genre du nom – féminin Republika ou masculin Republik ; dans les deux cas, ce terme désigne un État spécifique : soit l« État polonais » (Recz pospolita) soit les républiques italiennes – Venise notamment, Gênes plus rarement. Néanmoins, la conception de la « chose publique » existe bel et bien : depuis Catherine II, la notion d’« État de droit » (pravovoe gosudarstvo)est entrée dans la culture politique et juridique de la Russie. Tout État doit être géré par des lois et s’inscrire dans un cadre légal. Le souverain, représentant le pouvoir suprême, est lui-même sommé de respecter les lois de l’État. La république, au sens où l’entend Rousseau, n’est donc pas absente de la culture politique russe.

L’imaginaire de la « république »

À ces multiples significations du terme « république », il faut ajouter un imaginaire très riche, qui vient renforcer l’imprécision de cette notion. En Russie comme en Europe, la république véhicule l’image d’un âge d’or des sociétés florissantes. Dans la culture politique européenne et russe, l’Europe est considérée comme le berceau de la république. On se réfère notamment à un âge d’or presque mythique de la république, qui remonte à l’Antiquité. La Grèce et la Rome antiques sont les deux éléments constitutifs de cet imaginaire : la démocratie de la cité athénienne d’une part, et la république romaine, de 505 avant J.-C. à 44 avant J.-C., de l’autre. La relecture, à partir de la Renaissance et jusqu’au xviiie siècle, de cette expérience de la république dans l’Antiquité ne touche pas uniquement les institutions politiques. On admire également la force de l’État républicain, la liberté des citoyens au sein de la cité, ainsi que le charisme de quelques grands citoyens : Socrate, Périclès, Cicéron, etc. Dans leur imaginaire de la république, les Russes reprennent cet élément antique : Rome et Athènes sont les deux principales références. Dans l’almanach des Décembristes, Полярная Звезда (L’Étoile polaire), le prince Chakhovski met en scène, dans une pièce de théâtre, Socrate et son épouse Xantipe[7]. L’héritage de l’Antiquité grecque et romaine est prépondérant chez les Décembristes ; ainsi Piotr Grigorevitch Kakhovski affirme, dans une lettre adressée à l’empereur : « С детства твердят нам историю Греков и Римлян, возбуждают Героями древности. »[8]

Alexandre Alexandrovitch Bestoujev, Kondrati Federovitch Ryleev, Nikita Mikhaïlovitch Mouraviov et d’autres encore confirmeront leur admiration pour l’Antiquité. Ce que l’on retient des républiques antiques, ce sont les institutions politiques libres, la participation du peuple au gouvernement public, ainsi qu’une certaine prospérité économique.

Pour les Décembristes cependant, l’imaginaire de la république comprend un autre élément, proprement russe celui-là : la référence à la république de Novgorod[9]. Dans l’almanach l’Étoile polaire, A. A. Bestoujev publie une nouvelle, Roman et Olga, dont l’action se passe entièrement à Novgorod[10]. L’auteur décrit les délibérations publiques des habitants de Novgorod, la prise de décision commune face à un danger, et le rôle des habitants de la cité dans le conseil du Prince.

Ainsi, à la fin du xviiie siècle, la Russie hérite à la fois de la polysémie du terme « république » dans le vocabulaire politique européen, et de l’imaginaire de la république : cité antique d’Athènes, république de Rome ou de Novgorod, toutes ont en commun des institutions libres, la participation active du peuple aux affaires de l’État, et une certaine prospérité économique. Mais deux expériences politiques primordiales pour l’évolution du terme de « république » se jouent à la fin du xviiie siècle et font basculer la république du souvenir à la réalité, de la théorie à la pratique : la république fédérative des États-Unis, mise en place après le débat fédératif dans les années 1787-1788 ; la république française de 1792, issue de la Révolution. Avec ces événements historiques, le terme « république » désigne une autre réalité : il s’agit désormais d’un véritable régime politique, incarné par les expériences politiques des États-Unis d’Amérique et de la France.

La république en pratique : le régime politique républicain

Un régime politique libre

Dès lors que des expériences concrètes sont faites d’un régime politique républicain, la république est pensée contre la monarchie, souvent associée au despotisme. Cette conception est française, mais aussi américaine : dans le journal The Federalist, Alexander Hamilton affirme aux habitants de New York :

Des désordres qui déshonorèrent les annales de ces Républiques[11], les partisans du despotisme ont tiré des arguments, non seulement contre la forme du gouvernement républicain, mais contre les principes mêmes de la liberté. Ils ont décrié tout gouvernement libre incompatible avec l’ordre social, et ont triomphé, avec une joie maligne, des amis et des partisans de la liberté.[12]

En Russie, la république est opposée au tsarisme ; pour Pestel, seule la république, avec une « fonction » de président et non une « charge héréditaire » de souverain est à même de protéger les citoyens contre tout abus de pouvoir, contrairement à la monarchie constitutionnelle, qui ne peut garantir la totale soumission du souverain aux lois.

Par ailleurs, la république est également définie par le rôle qu’elle attribue au peuple, qui constitue un corps politique. L’instauration d’un gouvernement du peuple est presque toujours adjointe à l’idée de l’extermination de la famille impériale. La république doit chasser le souverain, et élire un président dont la fonction ne sera pas héréditaire. Dans un interrogatoire, Kakhovski précise :

С самого принятия меня в общество, Рылеев открыл мне цель оногo: истребление всей Царствующей Фамилии и oснование Правления Народного.[13]

Un dernier élément de définition de la république par rapport à la monarchie est à souligner : l’existence d’institutions politiques libres. Dans sa nouvelle déjà citée, A. A. Bestoujev mettait en scène une séance du Narodnoe veče ou « Assemblée du peuple » ; du déroulement de cette séance, il retient les éléments suivants : constituée de tous les hommes de la cité, sans distinction de fortune, cette Assemblée doit décider de mener la guerre contre deux envahisseurs ou de se soumettre au prince moscovite. Malgré sa pauvreté, le héros du roman d’A. A. Bestoujev peut prendre la parole et se faire entendre, grâce aux institutions libérales de la cité de Novgorod. L’auteur souligne que les notables de la cité s’éloignent, afin que les hommes de l’Assemblée ne soient pas influencés par des représentants du pouvoir du Prince ; enfin, la décision des habitants de la cité est portée au Prince, qui doit en tenir compte dans les décisions ultérieures qu’il est amené à prendre. Certes, cette relecture est utopique, mais elle n’en présente pas moins un grand intérêt, notamment comme indicateur de la conception de l’État auquel A. A. Bestoujev aspirait, c’est-à-dire un État fondé sur la participation aux affaires publiques de tous les citoyens. Une telle conception induit une redéfinition de la souveraineté. Par ailleurs, cette relecture correspond aussi à une vision politique : il s’agit d’inscrire la Russie dans une tradition démocratique qui lui est intrinsèque, et non pas étrangère.

Légitimité et souveraineté

À l’instar de Rousseau et de la Révolution française, et contrairement aux projets officiels proposés par la noblesse de l’époque, les Décembristes ne se suffisent pas de la légalité instaurée par Catherine II. L’obsession de la légalité, qui traverse les règnes de Catherine II jusqu’à celui de Nicolas Ier, prend sa source dans l’œuvre de législation que poursuit la tsarine, mais laisse entrevoir de graves lacunes dans la conception de l’État : la simple inscription du pouvoir dans un cadre légal suffit pour le rendre légitime ; dès lors, légalité et légitimité sont confondues, et un cadre légal peut servir à légitimer le pouvoir despotique, puisque la source de tout pouvoir demeure dans le souverain. Cette confusion est renforcée par le vocabulaire politique russe, puisque le terme zakonnost’ signifie à la fois « légitimité » et « légalité », ce qui laisse supposer la subordination de l’une des deux notions à l’autre. Sur ce point, les Décembristes opèrent une rupture considérable, en exigeant, en plus de la légalité de l’État de droit, la « légitimité » du pouvoir en place : le pouvoir souverain doit être reconnu par l’ensemble du peuple pour acquérir la légitimité qui fait du souverain un monarque, et non un despote. Dans leurs projets constitutionnels, Mouraviov et Pestel ne cessent de répéter que la source unique du pouvoir souverain est dans le peuple :

Источник верxовной власти есть народ, которому принадлежит исключительное право делать основные постановления для самого себя.[14]

La souveraineté du peuple est la condition sine qua non pour qu’un pouvoir soit légitime, et non imposé.

La conséquence directe de cette souveraineté résidant dans le peuple consiste en la transformation du peuple en un corps politique souverain : désormais, les habitants deviennent des citoyens, c’est-à-dire des personnes disposant d’une partie de la souveraineté de l’État, et disposées – ou non – à la transmettre à des représentants du peuple souverain pour gérer les affaires publiques. Mouraviov tout comme Pestel suppriment les différentes classes sociales, qu’elles soient regroupées autour des métiers telles les corporations d’artisans ou les guildes de marchands, ou définies par les richesses telle l’aristocratie ; une seule classe est conservée, celle des citoyens. Ce passage du poddanij (« sujet » ou « ressortissant ») au graždanin (« citoyen ») est signe, pour Pestel, de la maturité de la culture politique d’un pays. Par ailleurs, cette citoyenneté donne au peuple le droit de participer aux affaires de l’État.

Représentation nationale et mode représentatif de gouvernement

Pour les Décembristes, le mode représentatif de gouvernement[15] est constitutif de la république seulement, alors même qu’en Angleterre, à cette époque, le régime parlementaire prouvait la possibilité d’avoir une représentation nationale même au sein d’une monarchie ; or le modèle anglais, pour les Russes comme pour les Américains, apparaissait comme extrêmement équilibré certes, mais spécifique à l’Angleterre et difficile à exporter dans un autre pays. Seule la république pouvait abriter, en son sein, un mode représentatif de gouvernement. Cette position est empruntée aux Américains, dont le débat sur la fédération[16], en 1787-1788, avait vivement intéressé l’Europe et la Russie ; selon ce débat, Hamilton décrit la république de la manière suivante : « une république, j’entends par là un gouvernement dans lequel l’idée de représentation existe »[17]. Cette définition est aussi celle de Pestel, qui voit dans la représentation nationale le moyen de rendre au peuple un rôle politique :

Великая мысль о представительном правлении возвратила гражданам право на участие в важных государственных делах. Пользоваться же стал народ сим правом не так, как прежде оным пользовался, – непосредственным образом, поелику не могли все граждане на одном месте быть собраны, но посредством своих представителей, коих из своей среды назначал на определенное время. Из сего явствует, что представительное правление решило великую задачу государственного правления и согласило невозможность собираться всем гражданам на одно место с неоспоримым правом каждого участвовать в государственных делах.[18]

Ainsi la démocratie – intrinsèque à la cité athénienne et perçue uniquement comme démocratie directe – paraît impossible pour des raisons quantitatives : un grand État ne peut rassembler tous les citoyens en un même endroit, c’est pourquoi il faut avoir recours à la représentation, intermédiaire entre la participation directe et une organisation oligarchique.

La définition théorique de la représentation nationale étant acquise, il faut désormais s’atteler à sa réalisation et déterminer les instances qui représenteront le peuple : sur ce point, Pestel et Mouraviov proposent deux systèmes différents. Mouraviov se prononce pour le bicaméralisme, et répartit le pouvoir législatif en deux chambres : une chambre basse, la « Chambre des représentants », composée de membres élus pour deux ans, à raison d’un député pour 50 000 habitants ; une chambre haute, la Douma d’État, composée de 42 personnes, soit trois sénateurs par région. Ces deux chambres forment l’assemblée nationale qui porte le nom de Narodnoe veče (« Assemblée du peuple »), allusion évidente et transparente aux structures politiques de la république de Novgorod. Mouraviov confie à ces deux chambres l’ensemble des prérogatives du pouvoir législatif, ainsi que le droit de déclarer la guerre et de conclure la paix, d’élever de nouveaux impôts et de gérer les finances de l’État, enfin d’assurer la régence en cas de vacance du pouvoir exécutif souverain. Contrairement à Mouraviov, Pestel refuse le bicaméralisme, arguant de la longueur des résolutions et de l’inefficacité du travail des deux chambres qui se renvoient les projets de loi sans parvenir à en adopter un ; son choix se porte sur le monocaméralisme, et lui aussi intitule cette chambre législative unique Narodnoe veče, en référence à la république de Novgorod. Pestel confère à cette chambre unique tout le pouvoir législatif, ainsi que le pouvoir judiciaire : en effet, l’auteur de la Russkaâ Pravda[19] récuse la division des prérogatives de l’État en trois pouvoirs, au nom de l’efficacité de la gestion des affaires publiques. Dans les deux projets, l’Assemblée du peuple, par ses prérogatives très étendues, joue un rôle prépondérant.

Si donc l’on revient sur la définition de la république selon les Décembristes, on rappellera qu’elle est d’abord pensée comme l’adversaire résolu de la monarchie, seul régime politique pouvant garantir la souveraineté du peuple et, par voie de conséquence, la légitimité du pouvoir souverain. Enfin, la république est considérée comme un régime plus libéral, grâce notamment au mode représentatif de gouvernement. Pour autant, il est impossible d’affirmer que la notion de la république est un calque des catégories de pensée européennes : dès que l’on passe de la théorie à la pratique, la « république » des Décembristes laisse apparaître des zones de tension, qui prouvent que les termes transparents ne véhiculent pas des notions identiques.

La république en pratique : lignes de fracture et zones de tension

La représentation nationale : quelle représentation pour quelle nation ?

Par la définition de l’accès aux élections, l’organisation de la représentation nationale permet de déceler la conception de la nation qu’elle induit. En effet, si Mouraviov établit une seule classe de citoyens, il a cependant soin de restreindre l’accès à la citoyenneté : un cens est instauré, de 500 roubles en propriété foncière ou 1 000 roubles en capital, pour avoir le droit d’aller voter. Ce cens électoral se double d’un cens d’éligibilité : seuls ceux qui disposent d’une fortune de 2 000 roubles en propriété foncière ou de 4 000 roubles en capital peuvent se présenter aux élections des représentants du peuple ; pour l’élection à la Douma d’État, le cens est encore plus élevé : 15 000 roubles en propriété foncière ou 30 000 roubles en capital. Ces cens très élevés limitent fortement la participation des citoyens à la vie politique, ce qui lui avait été vivement reproché par Pestel[20]. Mouraviov réutilise le schéma révolutionnaire français pour établir deux sortes de citoyens : les citoyens passifs, bénéficiant uniquement des droits privés ; et les citoyens actifs, jouissant à la fois des droits privés et des droits publics[21]. Il est évident qu’une telle répartition des citoyens aurait conduit à reproduire, peu ou prou, le schéma de la société russe, dans laquelle seule la noblesse aristocratique avait accès aux hautes fonctions de l’État.

Il est plus difficile de discerner la conception de la nation chez Pestel, car il hésite constamment entre les notions de narod (« peuple ») et de naciâ (« nation »). La nation, suivant les conceptions contractualistes, désigne l’ensemble des individus qui ont signé un accord leur permettant de se placer sous les mêmes lois, en considérant la loi comme l’expression de la volonté universelle ; tandis que le terme de peuple fait davantage référence à un passé commun, une communauté dont les membres sont soudés par l’histoire, la langue et les perspectives d’avenir. Pestel utilise le terme narod (« peuple ») pour désigner une nation formée par des citoyens, et tente de transformer la Russie en État-nation. Malgré ces efforts, il revient constamment à une définition ethnique du peuple : dès lors, les Juifs en sont exclus – et l’antisémitisme de Pestel est très virulent –, de même que les nomades et les tribus autochtones de Sibérie. Même si Pestel élargit la base des citoyens beaucoup plus que ne le fait Mouraviov, il limite sa conception des citoyens à des personnes appartenant à l’ethnie russe. Mouraviov tombe dans le même travers : pour lui, le terme graždanin (« citoyen ») est synonyme de Russkij (« Russe »). Cette conception de la nation comme l’ensemble des personnes nées sur le sol russe, professant la foi orthodoxe et parlant la langue russe, est caractéristique de la mentalité russe[22].

République et démocratie : des relations difficiles

La culture politique de Pestel, officier de l’armée imprégné d’ordre et d’efficacité et habitué à se méfier de la foule, le rend défavorable à la démocratie : si le gouvernement est assumé par le peuple, l’État risque de sombrer dans l’anarchie et l’impuissance, à cause de l’incompétence du peuple et de son manque de clairvoyance dans les affaires de l’État. Par ailleurs, à cette époque, la démocratie est pensée uniquement en référence au modèle athénien et donc à la démocratie directe, réservée, pour des raisons quantitatives, aux cités et aux petites républiques ; dès lors, la démocratie est impropre aux immenses espaces de l’Empire de toutes les Russies. Reprenant en cela le débat américain, Pestel oppose la république à la démocratie : puisque la démocratie semble réservée aux États de petite taille, la république doit prendre le relais et assumer son rôle dans des pays immenses, dans lesquels la démocratie directe est matériellement irréalisable ; elle y parvient par l’instauration d’un mode représentatif de gouvernement. Hamilton distingue ces deux notions de la façon suivante :

La Démocratie et la République diffèrent en deux points essentiels :
1°) la délégation du gouvernement, dans la République, à un petit nombre de citoyens élus par le peuple ;
2°) le plus grand nombre de citoyens et la plus vaste étendue de pays sur lesquels la République peut s’étendre.[23]

Suivant ce raisonnement, Pestel se prononce pour une république aristocratique : en effet, il insiste sur le côté aristocratique de l’élection[24], qui permet de choisir un petit nombre de personnes, pour leurs capacités à gérer les affaires de l’État. Pour Pestel, il est évident que ne seront élus que quelques représentants du peuple, les plus instruits ; ils seront choisis non pas à cause de leurs richesses – comme dans l’aristocratie des richesses – mais pour leurs réelles compétences. Pestel conçoit donc une république aristocratique – et non démocratique –, fondée sur une aristocratie des compétences. En cela, il s’éloigne considérablement du modèle français, dans lequel la démocratie était largement mise en avant.

République et organisation du territoire

Derrière le choix du maillage politico-administratif se profile une certaine conception du pouvoir. Mouraviov se prononce en faveur du modèle américain, de la république fédérative. Dans son projet, on peut déceler des traits distinctifs du principe fédératif qu’il tente d’appliquer à l’Empire de toutes les Russies. Selon lui, la Russie sera divisée en 14 deržava (« puissances »), relativement indépendantes du pouvoir central : chacune d’entre elles dispose d’une chambre des représentants, d’une Douma de province, d’un gouvernement exécutif, d’une police de province et de tribunaux spécifiques. Certes, toute province doit se conformer aux règles du gouvernement fédéral, mais chacune d’entre elles dispose malgré tout d’une certaine marge de manœuvre dans des domaines spécifiques : elles peuvent adapter certaines lois vis-à-vis de leur population, prélever des impôts supplémentaires justifiés par les besoins de la région, former une police spécifique, etc. De plus, dans la troisième variante de son projet constitutionnel, Mouraviov développe un système complexe de vie politique locale, permettant aux citoyens de participer à la vie publique, et aux autorités locales de déléguer certaines prérogatives. Ces pratiques laissent apparaître une conception décentralisée du pouvoir : le modèle fédératif séduit Mouraviov par sa grande maniabilité et sa souplesse d’adaptation au vaste territoire formé d’entités diverses que fut l’Empire de toutes les Russies.

Pestel propose une tout autre solution : suivant le modèle français, il revendique la nécessité d’une république unitaire et centralisée.

В следствие всего здесь сказанного объявляется Российское государство в пределах, выше обозначенных, единым и неразделимым, отвергающим притом совершенно всякое федеративное образование, устройство и существование государства.[25]

Si la citoyenneté est ouverte à tous, sans condition de fortune, en revanche un maillage sociopolitique savant et très dense permet de contrôler la participation aux affaires publiques de chacun : les échelons de la division territoriale se doublent d’une pyramide électorale. Pestel choisit comme « unité politique » la volost’ (« commune »), dans laquelle tous les hommes âgés de vingt ans sont en droit d’aller voter ; ils élisent les représentants siégeant au conseil de la commune ; ceux-ci élisent les membres du conseil de uezd (« district ») ; à leur tour, ces derniers élisent les membres du conseil de okrug (« canton »), qui élisent les membres du conseil de la guberniâ (« province »). Or, c’est seulement au niveau de la province que des décisions d’importance sont prises, et peuvent entrer en confrontation avec le pouvoir central. La pyramide ainsi constituée permet donc d’assurer la participation de tous les citoyens aux affaires de l’État, mais pas au même degré : une fois de plus, seules les personnes les plus aisées et les plus instruites pourront atteindre le niveau des élections au conseil de la province. Contrairement à Mouraviov, Pestel préfère le modèle unitaire pour sauvegarder l’intégrité du territoire hétérogène qu’est l’Empire de toutes les Russies ; le système élaboré par Pestel a pour but de renforcer la cohésion nationale :

[…] чтобы одни и те же Законы, один и тот же образ Управления по всем частям России существовали и тем самим в Политическом и Гражданском отношениях вся Россия на целом своем пространстве являла бы вид Единородства, Единообразия и Единомыслия.[26]

Contrairement à Mouraviov, qui délègue des prérogatives relativement larges aux régions, Pestel’ établit une verticale du pouvoir : la pyramide hiérarchique qu’il érige doit assurer l’unité d’un État centralisé et l’intégrité d’un territoire vaste et peuplé d’ethnies diverses.

Au terme de cette brève présentation, la république apparaît comme un concept politique à travers lequel la Russie et l’Europe se rencontrent et interfèrent l’une sur l’autre. L’étude des représentations que suscite la république permet de mettre à jour un héritage commun à la Russie et à l’Europe : l’Antiquité et la cité d’Athènes dominent largement les conceptions de la République, et hantent toute nouvelle élaboration du concept de république. À cela les Décembristes ajoutent la république de Novgorod, tant pour justifier, vis-à-vis de l’Europe, une tradition républicaine russe que pour présenter, aux yeux des Russes, ce modèle politique comme inhérent à la Russie et nullement étranger. Les emprunts à la culture politique de l’Europe sont flagrants, mais pour autant, il n’y a pas simple copie des notions politiques. La traduction transparente du mot ne correspond pas à un simple transfert des notions, mais à une transposition du concept, en fonction du territoire auquel le concept de république doit s’adapter. Par conséquent, la notion de « république », chez les Décembristes, est extrêmement complexe et fait appel à des référents divers :
– La référence française est incontournable : Mouraviov emprunte à la Constitution de 1791 le cens électoral, tandis que Pestel reprend à la Révolution française le modèle centralisé de l’État.
– Toutefois, il ne faut pas négliger la référence américaine : Mouraviov se tourne vers les jeunes États-Unis d’Amérique et leur expérience fédérative, tandis que Pestel leur emprunte la conception aristocratique des élections, et l’opposition entre république et démocratie.
– Enfin, on soulignera avec intérêt les traits proprement russes de cette république tant désirée : la référence à la république de Novgorod et la reprise du Народное вече d’une part ; la perception ethnique du peuple, de l’autre.

Dans l’élaboration de concepts politiques, le « terroir » russe est donc à prendre en compte : les deux auteurs introduisent chacun un élément nouveau dans la culture politique russe de l’époque, tout en conservant des traits identifiables de l’Empire de toutes les Russies. Ainsi, Mouraviov introduit le principe fédératif, mais il a tendance à reproduire une « société d’ordres », en divisant les citoyens en deux catégories ; quant à Pestel, il bouleverse les fondements de la société en adoptant une conception très démocratique des citoyens, mais reproduit un pouvoir vertical et un État fortement centralisé. La république des Décembristes reflète à la fois un héritage européen et des traditions russes ; dans le domaine des conceptions politiques, la république est à l’image des reflets que se renvoient la Russie et l’Europe : semblables assurément, et malgré tout irrémédiablement autres.

 

Notes

[1]  Pestel’ Pavel Ivanović, « Dossier d’instruction », Vosstanie dekabristov (L’insurrection des Décembristes), Moscou, Leningrad, Gospolitizdat, 1955, t. IV, p. 115.« Il m’apporta une partie de sa constitution, en m’informant qu’il l’écrivait dans un esprit monarchique, non pas parce qu’il préférait le gouvernement monarchique au gouvernement républicain – car en 1820, il faisait partie des membres qui se prononçaient en faveur du gouvernement républicain – mais pour se rapprocher de l’opinion des membres qui entraient à nouveau dans la société. »

[2]  Voir Bodin Jean, Six livres de la République, Paris, 1576. Il en donne la définition suivante : « La République est un droit gouvernement de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec une puissance souveraine. » Dans cette première définition moderne de la république, on notera l’analogie établie entre le gouvernement de l’État et la gestion d’une famille.

[3]  Rousseau Jean-Jacques, Du contrat social ou Principes du droit politique, Paris, 10/18, 1982, 2e partie, chapitre VI, p. 23.

[4]  Lanjuinais Jean-Denis, Œuvres de J.-D. Lanjuinais, Paris, Dondey-Dupré, 1832, t. II : « Constitutions de la nation française », livre I, chapitre I, p. 15.

[5]  Kant, Projet d’une paix perpétuelle, 1795. Le succès de ce texte, réédité de manière régulière jusqu’à la mort du philosophe en 1804, montre combien ce projet passionna les contemporains de Kant. Ce dernier imagina une sorte de fédération de tous les États du monde, destinée à régler les conflits. Il s’agit en quelque sorte de l’ancêtre de la SDN et de l’ONU, mais suivant un modèle fédératif.

[6]  Vasmer Max, Ètimdojičceskij slovas’ russkoj jazyha, M., Éditons du Progrès, 1987.

[7]  Voir « Dve sceny iz komedii : Aristofan ili predstavlenie vsadnikov », Polârnaâ zvezda izdannaâ A. Bestuževym i K. Ryleevym (L’Étoile polaire, éditée par A. Bestužev et K. Ryleev), Moscou-Leningrad, Izdatel’stvo Akademii Nauk SSSR, 1960, p. 342-361 (numéro de l’année 1824).

[8]  « Depuis notre enfance on nous affirme l’histoire des Grecs et des Romains, on nous incite aux comportements des Héros de l’Antiquité. » Déposition de Pëtr Grigor’evič Kahovskij, Vosstanie dekabristov (L’insurrection des Décembristes), Moscou, Leningrad, Gospolitizdat, 1925, t. I, p. 371. On retrouve la même affirmation chez Vladimir Nikolaevič Liharëv, qui donne dans sa déposition le témoignage suivant : « Dès mon plus jeune âge, les Grecs et les Romains de l’Antiquité me semblaient des modèles et me donnèrent une estime enthousiaste pour les vertus républicaines et les grands hommes », P. G. Kahovskij, Vosstanie dekabristov (L’insurrection des Décembristes), op. cit., t. XII, p. 106.

[9]  Dans la Russie du joug mongol, certaines cités-États connurent une certaine prospérité, tant économique que politique. Celle-ci était due aux fructueux échanges avec les villes de la ligue hanséatique et se caractérisait, sur le plan politique, par des institutions libres et indépendantes ; par exemple, les habitants de la cité de Novgorod élisaient eux-mêmes leur métropolite. Mais la cité de Novgorod n’est pas la seule dans ce cas : Pskov, Iaroslavl et d’autres formèrent aussi des « républiques ». Si Novgorod a tant marqué les esprits, c’est parce que, d’après les chroniques, c’est dans cette cité que les institutions libres auraient eu davantage de développement.

[10]  Bestužev Aleksandr Aleksandrovič, « Roman i Ol’ga », Polârnaâ zvezda izdannaâ A. Bestuževym i K. Ryleevym (L’Étoile polaire, éditée par A. Bestužev et K. Ryleev), Moscou-Leningrad, Izdatel’stvo Akademii Nauk SSSR, 1960, p. 115-146 (numéro de l’année 1823).

[11]  Hamilton vient de décrire les guerres intestines et les multiples crises de succession dans les républiques de Venise et de Gênes.

[12]  Hamilton Alexander, Madison John et Jay James, Le fédéraliste. Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, trad. G. Jèze, Paris, Economica (Études juridiques et comparatives), 1988, n° IX, p. 59.

[13]  Déposition de P. G. Kahovskij, Vosstanie dekabristov [L’insurrection des Décembristes], Moscou-Leningrad, Gospolitizdat, 1925, t. I, p. 369. « Dès mon arrivée dans la société, Ryleev m’en ouvrit le but : éliminer toute la Famille impériale et instaurer un Gouvernement national. »

[14]  Murav’ëv N. M., Konstituciâ, in Izbrannye social’no-političeskie i filosofskie proizvedeniâ dekabristov [Anthologie de textes sociopolitiques et philosophiques des Décembristes], Moscou, Gospolitizdat, 1951, t. I, chapitre I, § 2 du projet de constitution, p. 296.« La source du pouvoir souverain est le peuple, à qui appartient le droit exclusif de se donner des lois fondamentales. »

[15]  L’expression que l’on rencontre de manière récurrente dans les projets constitutionnels des Décembristes est : « представительный образ правления » que nous rendons par « mode représentatif de gouvernement ». L’expression consacrée « народное представительство » (« représentation nationale »), qui n’est pas sans soulever de nombreux problèmes sur la signification de l’adjectif, se rencontre fort rarement : on en conclura que cette expression est plus tardive que la précédente.

[16]  Ce débat opposait républicains et démocrates et laissa des empreintes très vives : en effet, les républicains J. Gay, J. Madison et A. Hamilton publièrent leurs points de vue dans le journal The Federalist, qui paraissait à New York. Ces articles poursuivaient un double but : à la fois instruire les habitants de l’État de New York et les convaincre du bien-fondé de la république.

[17]  Hamilton A., Madison J et Jay J., Le Fédéraliste, Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, op. cit., n° X, p. 73.

[18]  « La grande idée du Mode représentatif de gouvernement a rendu aux Citoyens le droit de participer aux affaires de l’État. Le Peuple se mit à jouir de ce droit, non pas de manière directe comme auparavant, puisqu’on ne pouvait rassembler tous les citoyens en un même endroit, mais par l’intermédiaire de ses représentants, que le peuple a choisis, parmi ses pairs, pour un temps déterminé. Il apparaît donc que le mode représentatif de gouvernement a résolu la grande énigme du gouvernement de l’État, en conciliant l’impossibilité pour les citoyens de se rassembler au même endroit et le droit indéniable de chacun de prendre part aux affaires importantes de l’État. », Pestel’ P. I., Russkaâ pravda, in Izbrannye social’no-političeskie i filosofskie proizvedeniâ dekabristov [Anthologie de textes sociopolitiques et philosophiques des Décembristes], Moscou, Gospolitizdat, 1951, t. II, chapitre IV, § 13, p. 143.

[19]  Le titre de ce texte évoque, dans la culture juridique russe, un code de loi attribué à Iaroslav le Sage, qui fait état du droit coutumier en vigueur dans la Russie médiévale ; ce texte d’inspiration chrétienne surprend par sa modernité, notamment dans les rapports entre hommes et femmes, et par l’interdiction de la peine de mort. Par ailleurs, le mot pravda désigne en russe à la fois la vérité et la justice, ce qui rend malaisée une traduction exacte du titre. Traditionnellement, on désigne la Russkaâ pravda sous le nom de Code russe ou Justice russe. Pour éviter une lecture unilatérale et simpliste, nous préférons conserver le titre en russe, avec son ambiguïté intrinsèque.

[20]  Pestel’ dénonçait ce qu’il désignait sous le terme aristokratiâ bogatstv (« aristocratie des richesses »), reprenant ainsi une expression usitée par Adam Smith.

[21]  L’opposition entre citoyens actifs et citoyens passifs se retrouve dans les écrits d’Emmanuel-Joseph Sièyès et dans la Constitution française de 1791 (voir Les constitutions de la France depuis 1789, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, réédition 1987).

[22]  Cette conception ethnique du peuple est encore renforcée par le fait que Pestel’ venait d’une famille d’origine allemande, russifiée depuis peu. Sa famille était parfaitement intégrée – son père était gouverneur-général de Sibérie – mais les racines allemandes demeuraient très vivaces : Pestel’ et son frère furent envoyés à Dresde chez des parents pour parfaire leurs études. Nouvellement russifié, Pestel’ manifestait une véritable passion pour tout ce qui était russe et prônait une russification des termes dans les domaines de la vie courante et surtout dans le vocabulaire militaire.

[23]  Hamilton A., Madison J. et Jay J., Le Fédéraliste. Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, op. cit., n° X, p. 73.

[24]  Contrairement à la conception contemporaine, davantage sensible au côté démocratique de l’élection, qui permet à tout citoyen de participer au choix des représentants de la nation.

[25]  Pestel’ P. I., Izbrannye social’no-političeskie i filosofskie proizvedeniâ dekabristov [Anthologie de textes socio-politiques et philosophiques des Décembristes], Moscou, Gosudarstvennoe izdatel’stvo Političeskoj Literatury, 1951, t. II, « Russkaâ Pravda », chapitre I, § 4, p. 92. « En conséquence de tout ce qui a été dit précédemment, l’État russe, dans les limites décrites ci-dessus est déclaré un et indivisible, et rejette en outre toute organisation et tout principe fédératif, de même que toute existence d’un État fédératif. »

[26]  Pestel’ P. I., Vosstanie dekabristov [L’insurrection des Décembristes], Moscou, Gospolitizdat, 1958, t. VII, « Russkaâ Pravda », chapitre II, § 16, p. 149. « […] que les mêmes lois, un seul et même mode de gouvernement existent dans toute la Russie ; de cette façon, dans ses relations politiques et civiles, la Russie, sur l’intégralité de son territoire, apparaîtra sous la forme d’un seul peuple, d’un seul mode de gouvernement et d’un seul mode de pensée. »

 

Pour citer cet article

Julie Grandhaye, « La république chez les Décembristes : une interprétation russe des expériences politiques européennes ? », colloque La Russie et l’Europe : autres et semblables, Université Paris Sorbonne – Paris IV, 10-12 mai 2007 [en ligne], Lyon, ENS LSH, mis en ligne le 26 novembre 2008. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article121