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Les Décembristes et la Loi - Genèse d’un concept

Julie GRANDHAYE

Agrégée de russe, docteur en histoire, UMR 5206 Triangle.

Index matières

Mots-clés : Décembristes – pensée politique – loi – Etat – légitimité.

Plan de l'article

Texte intégral

La thématique retenue par le groupe de recherche – « La circulation des concepts » – convie à se tourner vers l’histoire des idées pour appréhender l’élaboration de certaines notions, leur évolution et leurs changements de sens en fonction des divers emprunts et de leur transfert dans d’autres cultures. Elle invite aussi, plus largement, à traiter de la culture politique, qui embrasse à la fois l’histoire abstraite des concepts politiques et l’analyse des comportements vis-à-vis des éléments qui forment le politique. C’est en croisant ces deux approches – histoire des idées d’une part, histoire de la culture politique de l’autre – que nous souhaitons renouveler l’analyse du concept de loi (zakon) dans la Russie de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, du règne de Catherine II à celui d’Alexandre Ier, notamment à travers les réflexions menées par les futurs Décembristes.

En effet, en cette fin de siècle des Lumières et au seuil d’un siècle qui paraît plus prometteur encore, la loi est au cœur de tous les débats, tant en Europe qu’en Russie. Initié par Montesquieu dans son ouvrage De l’esprit des lois – ouvrage plus philosophique que juridique – le mouvement n’a cessé de prendre de l’ampleur au cours des années 1780-1800. En Russie, Catherine II emprunte à Montesquieu nombre de maximes, qu’elle retranscrit – parfois mot à mot – dans son Instruction[1], publiée en 1770. Les acteurs politiques, les princes éclairés mais aussi les penseurs du politique sont animés d’un double mouvement : théoriser le fonctionnement de l’Etat et rationaliser la forme de gouvernement. Les Décembristes, qui se sont formés en sciences politiques auprès de prestigieuses universités allemandes (Göttingen, Heidelberg, Marburg) ou auprès de professeurs russes renommés (Alexandre Kounitsyne notamment), ne font pas exception à cette mouvance générale : eux aussi font de la loi une préoccupation majeure au sein de leurs réflexions sur l’Etat.

Aguerris par leurs séjours en Allemagne (1813) et en France (1814-1815), les Décembristes ont lu Montesquieu, Samuel Pufendorf, Cesare Beccaria, Jeremy Bentham, Antoine-Louis-Claude Destutt de Tracy. Formés à l’école européenne du droit, ils utilisent les catégories de pensée et les référents de la culture juridique européenne : il y a donc, à n’en point douter, circulation des concepts juridiques et politiques entre l’Europe et la Russie. Dès lors, la question de la réception de théories juridiques exogènes s’avère fondamentale pour saisir les mutations que subit le concept de la loi, transplanté de la culture européenne dans le terreau russe : les adaptations vis-à-vis du modèle initial et les tensions à l’œuvre dans l’élaboration conceptuelle de la loi chez les Décembristes suggèrent une spécificité russe dans l’approche du « politique ».

On ne peut appréhender cette spécificité qu’en analysant l’ensemble des textes politiques et juridiques dans lesquels les Décembristes élaborent leurs théories de la loi. Les projets constitutionnels des deux figures de proue des sociétés décembristes (Konstituciâ ou Constitution pour Nikita Mouraviov[2]; Russkaâ pravda ou Justice russe pour Pavel Pestel[3]) seront donc soumis, dans notre étude, à un examen approfondi des mots et des notions qui sous-tendent la culture juridique et politique des Décembristes. Il s’agit là d’un minutieux travail, à la fois linguistique et lexical, qui consiste à regarder vivre les mots, à repérer les différents emplois du terme zakon, à discerner des évolutions, afin de retracer l’histoire du concept de loi en Russie, de 1820 à 1825. Cette patiente analyse ne sera pas suffisante pour autant : il faudra également s’intéresser au comportement des Décembristes, afin de préciser le rapport qu’eux-mêmes et la société russe dans son ensemble entretiennent vis-à-vis de la loi. Pour cela, nous nous tournerons vers leurs témoignages, tout particulièrement les mémoires de Nikolaï Tourguenev[4]. C’est donc une analyse des représentations de la loi et des pratiques juridiques que nous proposons ici, afin de déceler les conceptions politiques à l’œuvre dans la zakon.

L’objet de notre étude dépasse largement le cadre étroit des sociétés décembristes ; un retour sur les traditions et les ambiguïtés de la culture juridique en Russie, de 1770 à 1830, s’avère incontournable, si l’on veut appréhender la genèse de la notion de loi. Représentations, ensuite : il s’agira d’identifier les sources théoriques auxquelles les Décembristes sont allés puiser – et l’on verra que le droit naturel domine leurs conceptions juridiques. Pratiques, enfin : les Décembristes ne sont ni des philosophes, ni des théoriciens du droit ; avides de comprendre la construction étatique, ils ne s’intéressent à la loi que dans une perspective pratique. Ils tireront du jusnaturalisme les conclusions qui s’imposent dans le domaine politique, ce qui les conduira à élaborer une culture politique nouvelle, qui ne se satisfait pas de la seule légalité, mais exige aussi la légitimité du pouvoir.

Traditions et ambiguïtés de la culture juridique russe, 1770-1830.

Le XVIIIe siècle russe est marqué par une volonté très marquée d’« européaniser » la société russe – au risque d’ébranler l’Empire –, afin de faire entrer la Russie dans le concert des nations européennes. Pierre le Grand et Catherine II incarnent cette « européanisation » forcée. Même si cette dernière ne fut que partielle, il faut toutefois reconnaître que l’Europe demeure le référent essentiel de la Russie, de 1750 à 1850. Ceci est tout particulièrement vrai pour les élites politiques, qui se forment, au cours de voyages en Europe, aux théories et notions politiques élaborées en France, en Angleterre, en Allemagne ou en Italie[5]. C’est pourquoi on peut affirmer qu’au début du XIXe siècle, le droit russe, dans son ensemble, s’inscrit dans la tradition héritée du droit romain ; priorité est donc donnée à la loi, au droit écrit[6]. Pour autant, la culture juridique russe n’est pas exempte de paradoxes : en effet, si, dans les représentations juridiques, l’élite gouvernante et les princes font montre d’un souci constant de légalité – et donc, de conformité à la loi – les pratiques présentent une toute autre réalité, caractérisée par l’arbitraire des juges et des tribunaux.

L’obsession de la légalité.

Le droit russe moderne reflète la richesse des échanges intellectuels entre l’Europe et la Russie ; ainsi Catherine II, en rédigeant son Instruction, a recours aux théories occidentales du droit[7], qu’elle transcrit dans la langue et la culture russes. Ce faisant, elle élabore un vocabulaire politique, frappé d’un paradoxe initial : les termes sont empruntés au socle latin de la culture juridique européenne, mais les notions exportées subissent de profondes mutations lors de leur adaptation au terroir russe. C’est pourquoi l’Instruction de Catherine II met en avant tant la parenté de la culture politique russe avec la culture européenne – et, pour tout dire, son origine – que l’irréductible spécificité de la culture juridique russe, qui ne se limite pas à une simple imitation des concepts européens.

L’Instruction assure le triomphe de la légalité, c’est-à-dire de la stricte conformité aux lois. Aux yeux de l’Impératrice-législatrice, cette légalité est une condition nécessaire et suffisante à l’instauration d’un Etat de droit, qu’elle interprète comme un Etat rationnellement organisé. La loi est donc perçue comme l’application du principe rationnel au domaine juridique et politique. Dans un souci de rationalisation, la tsarine distingue trois types d’actes juridiques : les lois (zakon) immuables ; les règlements[8] destinés à être modifiés (premennoe učreždenie) ; et les ordonnances qui statuent sur des cas précis (ukaz ou décret) :

444. Sous le nom de Lois, on entend les Institutions qui ne peuvent jamais être changées ; et le nombre de celles-ci ne saurait jamais être bien grand. 445. Sous le nom de Règlements qui peuvent changer selon les temps et les circonstances, on entend la forme dont toutes choses doivent se faire, et les différentes Instructions relatives à cette forme. 446 Les Ordonnances comprennent tout ce qui se fait pour tel et tel cas, et ce qui n’est qu’accidentel, personnel et peut changer avec les temps.[9]

Le même souci de rationalité anime Catherine II lorsqu’il s’agit de fixer le style des lois. Puisque les lois s’adressent à tous, elles doivent être compréhensibles par tous :

Toutes les lois doivent être conçues dans des termes intelligibles à tout le monde[10] […] Les Lois ne doivent point être remplies de subtilités qu’enfante l’esprit ; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement, comme pour ceux qui en ont beaucoup ; elles ne sont point des résultats d’une Logique subtile, mais la raison simple d’un Père qui s’intéresse pour le bien de ses enfants et de sa famille.[11]

Ce paragraphe est révélateur des conceptions juridiques et politique de Catherine II : la loi est certes universelle, elle est valable pour tous, mais elle n’est pas au-dessus du prince. A la source de la loi se trouve le souverain, qui use de la loi pour réguler les relations dans la cité, de la même façon qu’un père use de son autorité pour réguler les relations au sein de la famille. Le pouvoir envisagé par Catherine II est donc un pouvoir de nature patriarcale, qui ne laisse aucune place à l’état de droit (pravovoe gosudarstvo) : la loi n’est pas à l’origine du droit ; bien au contraire, c’est dans le souverain que le droit et la loi trouvent leur origine. Ce que rappelle Catherine II tout au début de l’Instruction :

En effet, le Souverain est la source de tout pouvoir politique et civil.[12]

Ainsi la légalité prônée par l’impératrice n’est pas invoquée au nom de l’état de droit, mais pour renforcer la politique patriarcale de l’autocrate. Catherine II utilise des théories occidentales non pour amorcer un changement politique au sein de l’Etat russe, mais bien pour justifier un état de fait et des pratiques déjà établies. Dès lors, la loi elle-même découle de l’autorité du souverain : elle n’est pas expression de la volonté générale, mais expression de la volonté du prince. Il s’agit donc d’une légalité de façade, qui recouvre d’un léger vernis européen un modèle politique proprement russe, l’autocratie. Le recours à des termes issus de la culture juridique européenne de souche latine n’est cependant pas sans effet : il souligne l’écart entre les théories et les pratiques juridiques en Russie.

Les pratiques juridiques.

Sous le règne d’Alexandre Ier, on observe une démultiplication des actes juridiques. Les lois ne sont pas dominantes : on compte de nombreux décrets, modifiés par de multiples ordonnances. La culture juridique des gouvernants est marquée par le recours à ces nombreuses actes juridiques, qui rendent le droit parfaitement obscur à tout non initié – et donc à l’ensemble de la population russe. L’exercice de la justice est rendu d’autant plus ardu : au lieu de juger un cas en fonction du manquement à la loi, les juges en sont réduits à établir une compilation de tous les actes juridiques traitant du cas en question. Ainsi, en 1819, pour juger un marin accusé de meurtre, les juges sont contraints de consulter les actes juridiques suivants :

  • le Code des lois du tsar Alexis, (Sobornoe Uloženie), de 1649 ;
  • un article militaire de 1715 ;
  • l’instruction des procès des criminels militaires de 1716 ;
  • le règlement religieux de 1721 ;
  • les décrets (ukazy) des 10 avril 1730, 29 avril 1753 et 30 septembre 1754 ;
  • le règlement maritime de 1720 ;
  • l’instruction du procès de Pougatchev ;
  • le Nakaz de Catherine II ;
  • le manifeste du 30 novembre 1806 sur la formation d’une milice ;
  • les lois sur l’armée active ;
  • le statut lituanien de 1588 ;
  • le décret sur la dissolution des loges maçonniques et des autres sociétés secrètes de 1822[13].

Ce travail est tellement complexe que peu de juges s’astreignent à cet exercice ; plus rares encore sont ceux qui lisent l’ensemble de ces actes. C’est pourquoi, selon le témoignage de N.I. Tourguenev, l’arbitraire régnait dans tous les jugements rendus : le verdict était davantage suspendu aux sommes versés par les victimes, mais plus souvent par les accusateurs. Ainsi, dans les tribunaux chargés de traiter de la fuite d’un serf, les propriétaires terriens obtenaient gain de cause dans la plupart des cas.

Ces difficultés n’étaient pas ignorées des contemporains ; Alexandre Ier lui-même analysait avec pertinence les raisons de l’impuissance de la justice :

De là, la confusion générale des droits et des devoirs de chacun, l’obscurité qui recouvre également le juge et l’accusé, l’impuissance des lois dans leur exécution et la facilité de les remplacer au premier mouvement de passion ou de despotisme.[14]

En réaction à cette situation désastreuse, l’empereur souhaita rationaliser ce système juridique qui croulait sous le poids de lois caduques ou de décrets rendus inopérants par l’évolution de la société russe. On tenta donc de former un code de lois, doté d’une cohérence interne et débarrassé des lois obsolètes. Ce travail, débuté en 1802, ne fut achevé qu’en 1832, par Mikhail Speranski. Celui-ci édita, dans un premier temps, un ouvrage philosophico-juridique, dans lequel il tentait de saisir les fondements du droit russe moderne[15]. Ce travail d’intelligence du droit russe fut salué par les Décembristes comme une réelle progression dans la compréhension de la culture juridique russe. En 1825, M.M. Speranski publia une compilation de tous les actes juridiques publiés de 1649 à 1825[16].

Le véritable Code des Lois ne devait aboutir qu’en 1832. Le 31 janvier 1826, Nicolas Ier chargea la Deuxième section de la Chancellerie particulière de Sa Majesté Impériale d’élaborer rapidement un code des lois. Mikhail Bagoulianski fut nommé directeur, mais, de fait, le travail fut accompli par M.M. Speranski. En 1826 fut éditée une collection complète de tous les actes juridiques russes[17]. Et le 19 janvier 1833, M.M. Speranski présenta à l’empereur un code des lois en vigueur[18].

En dépit de son utilité, ce travail ne fit pas l’unanimité : la codification fut en effet assimilée à une pratique étrangère inadaptée à la culture russe. La noblesse conservatrice préférait, et de loin, la compilation à la codification. Nikolaï Karamzine s’opposa donc à ce projet :

Les vieux peuples n’ont pas besoin de lois nouvelles. D’accord avec le bon sens, nous demandons à la commission des lois une collection systématique de celles que nous possédons déjà. […] Au lieu d’un code pragmatique, faites une simple collection de toutes les lois et de tous les oukazes [sic], en rejetant tout ce qui est contradictoire comme tout ce qui est superflu.[19]

Pour l’historien officiel de la cour, le Code des lois de l’Empire russe n’était qu’une pâle imitation du code napoléonien :

Nous ne pourrons pas sans doute nous vanter en Europe de posséder un code des lois ; mais nous faciliterons les voies et les moyens de la justice en Russie, nous n’embarrasserons pas nos juges par des gallicismes de toute espèce, et les étrangers ne nous trouveront ni ridicules, ni dignes de pitié, ce qu’ils ne manqueraient pas de faire en nous voyant adopter la traduction du code Napoléon.[20]

Quelles conceptions de la loi sont à l’œuvre dans ce rejet de toute codification ? Nikolaj M. Karamzine rappelle la tradition russe : en Russie, la loi est perçue comme émanant directement et unilatéralement du prince. Le prince est la loi, le souverain est une incarnation vivante de la loi, dans son comportement comme dans ses décisions :

En Russie, le souverain est la loi vivante ; si l’on ne craint pas le souverain, l’on ne craint pas la loi. Tous les pouvoirs sont réunis en la personne du Tsar ; notre gouvernement est un gouvernement paternel, patriarcal…[21]

Le souverain est donc garant de toute législation. Cette position est reprise par Pozzio du Borgio qui, dans un texte de 1815, conseille à Alexandre Ier d’agir par décrets (ukaz) plutôt que par lois (zakon), afin de ne pas soumettre ses actes et ses réformes à l’instable incertitude que suppose un acte juridique émanant non directement du prince, mais d’une chambre sénatoriale. Derrière cette préférence pour le décret se profile une conception spécifique de l’Etat : l’appareil d’Etat doit être dominé par le souverain, qui concentre en sa personne pouvoir, loi et justice, et qui incarne la stabilité de l’Etat. L’état de droit est donc nié au profit d’un Etat autoritaire, dans lequel règne l’arbitraire du caprice du souverain, et non le respect de la loi. On relève ainsi un hiatus profond entre la théorie brillamment exposée dans l’Instruction et la pratique des juges et des hommes de lois ; les Décembristes tenteront de résoudre ce hiatus et de diminuer la distance entre théorie de la loi et pratiques judiciaires.

Représentations de la loi chez les Décembristes : le droit naturel.

En dépit de certains conservateurs, tel N.M. Karamzine, la rédaction des codes de loi offrit à la noblesse la possibilité de réfléchir sur les conséquences d’un droit bien conçu. Dans une perspective comparatiste, ils se tournèrent alors vers la culture juridique contemporaine, élaborée principalement en Angleterre et en Allemagne :

Les codes favorisèrent l’introduction et la popularisation des concepts de droit contemporain, tout particulièrement du droit naturel. […] La noblesse comprit que sa sécurité pouvait être assurée par des lois fondamentales et stables.[22]

La théorie du droit naturel, fort en vogue en Europe au début du XIXe siècle, est effectivement la référence dominante en Russie. Il est donc aisé d’identifier la source des théories juridiques des Décembristes : ceux-ci ont sans nul doute puisé dans le droit naturel le fondement de leur conception de la loi et du droit. Leurs textes en témoignent : on compte nombre d’expressions faisant référence aux « lois de la nature »[23]. Si, dans l’Instruction de Catherine II, le droit naturel fait figure de phraséologie officielle, sorte de visa diplomatique vis-à-vis des nations européennes, les Décembristes poussent jusqu’au bout la logique du droit naturel : ils se détachent de la théorie pour tenter d’en tirer les conclusions pratiques. A la lumière du jusnaturalisme, ils élaborent une nouvelle conception de la loi : celle-ci doit garantir les droits de tout être humain ; elle doit donc être universelle, afin de rejeter toute pratique arbitraire du pouvoir, et suppose l’égalité de tous les citoyens devant la loi. C’est donc la loi qui instaure le droit, et non le prince. Par ces revendications, les Décembristes tentent de créer, dans la Russie impériale, les conditions nécessaires à l’émergence d’un Etat de droit.

Droit naturel et droits de l’homme.

Au début du XIXe siècle, le droit naturel est une théorie déjà ancienne, puisqu’il faut en chercher les premières manifestations dans la pensée anglaise de la fin du XVIIe siècle, chez Thomas Hobbes ou John Locke. Le jusnaturalisme se répand en France et dans l’ensemble de l’Europe au cours du XVIIIe siècle ; le succès de cette théorie est tel, que l’expression passe dans le langage courant, ce que Denis Diderot ne manque pas de souligner dans un article de L’Encyclopédie :

L’usage de ce mot est si familier, qu’il n’y a presque personne qui ne soit convaincu au-dedans de soi-même que la chose lui est évidemment connue.[24]

Le jusnaturalisme est une doctrine qui consiste à définir les fondements du droit politique. Il s’agit de donner une justification rationnelle de la loi et des institutions juridiques et étatiques, en quelque sorte, d’expliquer le passage de l’hypothétique « état de nature » à l’entrée dans la cité, selon deux étapes : constitution d’une société avec des lois coutumières dans un premier temps, puis fondation d’un Etat avec des lois politiques[25]. Le droit naturel ne signifie pas que tous les hommes ont des droits par nature, mais qu’il est dans la nature des hommes d’instaurer du droit pour réguler les relations entre eux et pour résoudre les inégalités. Dès lors deux appréhensions du politique sont possibles : on peut, à l’instar de Hobbes, utiliser cette théorie pour fonder la nécessité d’un Etat autoritaire, apte à niveler les inégalités ; mais on peut aussi avoir recours au droit naturel pour fonder les droits inaliénables des hommes – c’est ce que fera Locke, en préconisant trois droits fondamentaux : la liberté, la propriété et la sécurité.

Les Décembristes se situent dans la mouvance de Locke : ils ont recours au droit naturel pour justifier l’existence de droits de l’homme inaliénables et imprescriptibles. Ils reprennent les trois droits fondamentaux : sécurité, liberté, propriété – déjà revendiqués dans la Constitution française de 1793[26]. En Russie autocratique, la revendication de ces droits fondamentaux a des conséquences redoutables sur le plan politique : ils ruinent l’édifice de l’autocratie, car ils en sapent les fondements. En effet, les Décembristes insistent sur la liberté du peuple russe, qui n’est la propriété d’aucune famille dynastique ; c’est remettre en cause l’autocratie et le pouvoir de l’autocrate, « possesseur » du peuple et des terres russes. Sur ce point, les Décembristes sont unanimes et ne modifieront jamais leurs convictions :

Le Peuple russe n’est la propriété ni d’une personne ni d’une famille.[27]

Le peuple russe, libre et indépendant, n’est pas et ne peut pas être la propriété d’aucune personne ni d’aucune famille.[28]

Autre élément propre à l’autocratie : le servage. Les Décembristes revendiquent le droit à la propriété, mais ils renouvellent la définition de la « propriété » : en excluant de ce droit la possession de personnes, ils s’opposent fermement au servage. Par ailleurs, en reconnaissant le droit à la propriété, ils rendent possibles des modifications fondamentales au sein du droit privé (acquisition de terres, transmission de terrains ou de biens meubles par héritage, etc.). La reconnaissance de la propriété privée indique le passage d’un droit communautaire (la commune paysanne) à un droit individuel :

Le droit de propriété, qui ne concerne que les objets, est sacré et inaliénable.[29]

Enfin, P.I. Pestel fait de la sécurité un élément fondamental pour garantir un ordre politique stable au sein de l’Etat :

Le bien-être de l’Etat est constitué de deux éléments essentiels : la sécurité et la prospérité.[30]

Liberté, propriété privée, sécurité – si les Décembristes ne rédigent pas de déclaration des droits de l’homme, ils inscrivent en revanche dans la Loi fondamentale ce qu’ils considèrent comme les droits inaliénables de tout être humain. En effet, toutes ces revendications prennent place dans le cadre d’une définition des éléments fondateurs d’un Etat : la revendication d’une Constitution qui définit et défend les principaux droits de tout être humain entrant en société est primordiale aux yeux des Décembristes. La loi fondamentale, à laquelle le souverain lui-même est soumis, peut seule garantir que l’Etat ainsi fondé sera juste :

Telles sont les lois fondamentales sur lesquelles doivent être fondées l’existence, la vie et l’organisation politique de tout Etat bien construit : afin qu’il se trouve sous le pouvoir et la direction des lois publiques, et non sous le pouvoir des passions des Despotes.[31]

Universalité de la loi et égalité des citoyens devant la loi.

La référence au droit naturel façonne une nouvelle conception de la loi, fortement influencée par les constitutions révolutionnaires françaises. Les Décembristes tirent deux conséquences fondamentales du jusnaturalisme : si la loi est le moyen le plus adapté pour réguler les relations entre les hommes au sein de l’Etat, elle doit s’adresser à tous et tous doivent y être soumis, sans exception aucune. C’est ainsi que sont fondées deux exigences : l’universalité de la loi, et l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

L’universalité de la loi bouleverse la tradition juridique russe, car elle suppose que même le souverain y est soumis ; le caractère universel de la loi ruine l’édifice de l’autocratie, car il ébranle la notion même d’autocrate. Toute personne située hors du cadre légal se place du même coup hors des lois, donc hors de l’Etat, ce que rappelle fort justement N.M. Mouraviov :

En se plaçant au-dessus des lois, les souverains oublièrent qu’ils se plaçaient aussi en dehors des lois – en dehors de l’humanité ![32]

Les Slaves Unis revendiquaient, eux aussi, cette universalité de la loi :

Nous nous proposions d’instaurer une société, qui aurait pour but d’exiger, lorsqu’elle aurait atteint un suffisamment grand nombre de membres, des lois positives au souverain, auxquelles il serait lui-même soumis.[33]

L’universalité de la loi entraîne une autre conséquence : l’égalité de tous devant la loi. Si la loi est valable pour tous, alors tous doivent la reconnaître, indépendamment de la condition sociale. L’égalité de traitement devant la loi façonne une nouvelle conception de la justice ; elle entraîne également le rejet de la division de la société en conditions sociales ou corporations aux droits inégaux. L’égalité de tous les citoyens devant la loi prend sa source dans la Constitution française de 1793[34]. Elle est un véritable leitmotiv chez les Décembristes :

Tous les Russes sont égaux devant la loi.[35]

Tous doivent être égaux devant la Loi.[36] […]

Il découle de cela que tous les hommes, dans l’Etat, doivent impérativement être parfaitement égaux devant la loi.[37]

Tout commandement enfreignant l’égalité de tous devant la loi est un abus de pouvoir intolérable, qui doit être éliminé impérativement.[38]

L’égalité devant la Loi est le fondement essentiel d’un ordre étatique juste.[39]

Ce point est tellement fondamental que les Décembristes l’avaient inscrit dans le manifeste du 14 décembre 1825. En supposant l’égalité de tous les citoyens devant la loi, les Décembristes appelaient de leurs vœux l’élaboration d’une justice équitable et exercée da façon indépendante. Il faudra attendre 1864 et la réforme de la justice par Alexandre II pour aboutir à cette conception de la justice. Jusque-là, « toutes les institutions et les normes du droit civil étaient imprégnées de l’idée des classes, c’est-à-dire de l’inégalité des sujets du droit devant la loi. »[40]

Il est donc relativement aisé d’identifier les sources théoriques des Décembristes : l’influence du droit naturel sur ces jeunes officiers ne fait pas de doute. Toutefois, il convient de rappeler ici que les Décembristes ne sont pas des philosophes : ils envisagent le droit et le respect de la loi davantage comme un problème pratique, plutôt que sous l’angle de la querelle théorique. Cette perspective les conduit à dénoncer la situation juridique en Russie, en contradiction avec ces droits issus du jusnaturalisme. La loi est présentée comme un rejet de l’arbitraire du souverain :

Il est impossible de tolérer que l’arbitraire d’un seul homme soit à la base du gouvernement.[41]

Il faut donc raisonnablement supposer que la loi n’est pas l’expression de la volonté du prince, mais qu’elle provient d’une autre autorité que celle du souverain. En assurant le respect des droits imprescriptibles de l’homme, en supposant l’égalité des citoyens devant la loi, en instaurant une justice équitable, la loi fonde un état de droit en Russie – c’est-à-dire une situation dans laquelle le droit a la préséance sur le souverain. La nécessité d’une constitution – d’une Loi fondamentale immuable –, qui fixe ces éléments fondateurs de l’Etat, devient évidente : dès lors, la loi est perçue non plus uniquement sous un angle juridique, mais sous un angle politique. Le passage au droit politique positif pose inéluctablement la question de la légitimité du pouvoir qui promulgue ce droit.

De la légalité à la légitimité.

Dans la Russie impériale, l’obsession de la légalité masque un manque de questionnement sur la légitimité du pouvoir : en russe, le terme zakonnost’ désigne indifféremment les deux notions, ce qui rend leur distinction malaisée. Cette confusion entre les deux notions entraîne une confusion entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif : dans la Russie de Catherine II, le législateur est aussi le despote, à la fois incitateur de la législation et gardien des lois. Cet état de fait est dénoncé par les Décembristes, qui s’appuient sur la notion de légitimité, relayée par la souveraineté nationale : pour être légitime, tout pouvoir doit émaner du peuple, détenteur de la souveraineté de l’Etat. Ils reprennent ainsi et approfondissent les conclusions de M.M. Speranski, qui revendiquait déjà la souveraineté nationale, sans toutefois en tirer les conséquences sur le plan politique. Ils s’interrogent longuement sur la manière dont la souveraineté nationale doit être relayée, et sur le processus d’élaboration de la loi. Légitimité et législation occupent donc une place prépondérante dans les projets constitutionnels de N.M. Mouraviov et de P.I. Pestel.

Les Décembristes et la légitimité.

Les Décembristes résolvent la question de la légitimité en plaçant tout pouvoir entre les mains du peuple : le peuple est le seul dépositaire d’un pouvoir légitime. Dès lors, la légitimité est indissociable de la souveraineté nationale. Cette double exigence est revendiquée par N.M. Mouraviov dès le préambule de sa constitution :

La source du pouvoir suprême est le peuple, à qui appartient le droit exclusif de se donner à soi-même des lois fondamentales.[42]

La souveraineté nationale ainsi définie infléchit le sens de la loi : la loi n’est plus l’expression de la volonté du prince, mais bien celle de la volonté générale, ce qui justifie d’autant plus l’obéissance inconditionnelle de tous les citoyens. A n’en pas douter, les Décembristes sont ici très fortement influencés par Jean-Jacques Rousseau, qui liait déjà la loi à la volonté générale :

Qu’est-ce qu’une Loi ? C’est une déclaration publique et solennelle de la volonté générale, sur un objet d’intérêt commun. Je dis, sur un objet d’intérêt commun ; parce que la Loi perdrait sa force et cesserait d’être légitime, si l’objet n’en importait à tous.[43]

[…] En obéissant à la Loi, je n’obéis qu’à la volonté publique, qui est autant la mienne que celle de qui que ce soit.[44]

A la suite de Rousseau, les Décembristes affirment que la souveraineté nationale et la volonté générale sont les deux pierres d’achoppement de la légitimité dans un Etat bien ordonné. Selon ce schéma théorique, le peuple souverain peut, ou non, confier ce pouvoir à des représentants de la nation. Un problème demeure malgré tout : comment s’assurer que la volonté du peuple sera correctement relayée, ou, pour reprendre une image favorite de Catherine II, quels canaux assureront le relais de la volonté générale ? Dans la mesure où l’étendue géographique de la Russie interdit toute participation directe des citoyens aux affaires de l’Etat, les Décembristes renoncent à la démocratie et établissent un système représentatif en Russie. Se pose alors la question de l’organisation de la représentation nationale, car c’est en elle que gît l’élaboration des lois, reflets de la volonté générale.

N.M. Mouraviov et l’élaboration des lois.

La question de la légitimité ne cesse de préoccuper N.M. Mouraviov, dont les différents projets témoignent d’une évolution certaine dans la manière d’aborder ce problème. Si le chef de la Société du Nord ne renonce jamais à la souveraineté nationale, il hésite sur la position à adopter vis-à-vis de l’exercice de cette souveraineté. En réalité, N.M. Mouraviov ne parvient pas à choisir entre souveraineté nationale et souveraineté populaire. On retrouve ces hésitations dans sa définition de la citoyenneté. Comme tous les Décembristes, N.M. Mouraviov abolit le servage ainsi que toutes les divisions en vigueur au sein de la société ; ne subsiste qu’une seule classe, celle des citoyens. Mais il refuse d’ouvrir l’accès aux urnes à tous les citoyens. Il emprunte alors à la Constitution française de 1791 la distinction entre citoyens passifs et citoyens actifs, et renforce les inégalités de traitement entre citoyens en instaurant un cens électoral. Dès lors, la société russe connaît trois degrés de citoyenneté. Les citoyens passifs bénéficient de tous les droits civils, mais pas des droits politiques : N.M. Mouraviov inclut dans cette catégorie les nomades, souvent responsables de troubles locaux, les prisonniers et les citoyens en faillite. Les citoyens actifs sont les seuls à avoir accès aux droits civils et politiques ; ils sont toutefois subdivisés en deux groupes : le premier rassemble les citoyens qui peuvent s’acquitter du cens électoral et donc participer aux élections ; le second réunit les citoyens qui peuvent s’acquitter du cens électoral et du cens d’éligibilité, et participer à la totalité de la vie politique (élire et être élu). Dans la première variante de son projet constitutionnel, N.M. Mouraviov établit un cens d’éligibilité extrêmement élevé (60 000 roubles argent en capital). Sous la pression de ses compagnons de la Société du Nord, dont certains ne disposaient pas de la fortune demandée, N.M. Mouraviov revoit ses exigences à la baisse : il diminue le cens électoral puis le supprime définitivement ; en revanche, le cens d’éligibilité demeure très élevé (30 000 roubles argent en capital). La légitimité provient non pas du peuple, mais de la nation limitée aux citoyens les plus fortunés et les plus instruits.

Le socle de la représentation nationale étant fondé, il reste encore à organiser les rouages de la législation. Dans son projet constitutionnel, le chef de la Société du Nord confie le pouvoir législatif à une Assemblée nationale intitulée Narodnoe veče, du nom des assemblées de citoyens dans les villes de la Russie kiévienne, notamment dans la cité de Novgorod. N.M. Mouraviov préconise le bicaméralisme, afin d’assurer une élaboration lente et raisonnée des lois : la Chambre basse est composée de députés élus, tandis que la Chambre haute est formée de sénateurs nommés par l’Empereur, chef de l’exécutif :

L’assemblée du peuple, constituée de la Douma suprême et de la Chambre des représentants du peuple, est dépositaire de la totalité du pouvoir législatif.[45]

Les projets de loi peuvent être déposés par l’une ou l’autre Chambre, mais ils doivent être lus par les deux Chambres ; si un projet est refusé, la Chambre à l’initiative de ce projet peut le modifier et le proposer en seconde lecture ; s’il est accepté par les deux Chambres, il doit recevoir l’aval de l’Empereur pour avoir force de loi. Si l’Empereur refuse à deux reprises un projet accepté par les deux Chambres, le projet est annulé. On le voit, dans le procédé d’élaboration des lois, N.M. Mouraviov restreint l’impact de la Chambre issue de l’élection : il est à craindre que l’Empereur dispose d’appuis suffisamment sûrs au Sénat pour contrer les projets déposés par la Chambre des représentants. Au total, dans le système de N.M. Mouraviov, la volonté générale est élaborée par les citoyens les plus aisés et relayée par des citoyens proches du chef de l’exécutif : le système législatif dépend donc fortement de l’exécutif. Reprenant les mêmes éléments, P.I. Pestel les agence différemment et élabore une autre organisation de la représentation nationale.

Loi et légitimité chez P.I. Pestel.

A l’instar de N.M. Mouraviov, P.I. Pestel résout lui aussi la question de la légitimité par la souveraineté nationale. Toutefois, il complexifie considérablement les données du problème. Il considère que la souveraineté du peuple devrait, en bonne logique, s’exercer directement, comme dans les démocraties de l’Antiquité ou dans la cité de Novgorod[46]. Or l’exercice direct de la souveraineté – ou démocratie – n’est à ses yeux réalisable que dans des Etats de petite taille, dans lesquels on peut rassembler l’ensemble de la population en un même endroit : ce système est incompatible avec l’immensité territoriale de l’Empire et semble priver la Russie de toute légitimité issue du peuple[47]. Pour pallier ce problème essentiellement quantitatif, P.I. Pestel préconise la mise en place d’un système représentatif (predstavitel’nyj porâdok), seul apte à exprimer la volonté générale et à la relayer sur un grand territoire géographique.

Toutefois, contrairement à N.M. Mouraviov, il estime que cette représentation générale doit avoir la plus large assise possible pour être réellement légitime. Après avoir supprimé toutes les classes sociales et aboli le servage, il instaure une classe de citoyens, qui sont tous propriétaires terriens et électeurs. Pour P.I. Pestel, la souveraineté nationale s’incarne dans les citoyens ayant accès aux urnes : il est donc primordial que tous soient électeurs. Le chef de la Société du Sud préconise le suffrage universel direct des citoyens masculins aux trois premiers échelons du maillage politico-administratif : les citoyens, réunis en assemblées des propriétaires terriens, élisent les représentants de la commune (namestnoe volostnoe sobranie), du district (namestnoe uezdnoe sobranie) et de la région (namestnoe gubernskoe ou okružnoe sobranie). Seuls les membres de la Chambre législative (appelée elle aussi Narodnoe veče) sont élus au suffrage indirect par les représentants des régions :

Les assemblées régionales du peuple […] nomment les représentants qui composent l’Assemblée du peuple, elle-même constituant le Pouvoir Législatif Suprême.[48]

Ainsi, en dépit du contexte russe qui rend difficile le suffrage universel direct à tous les échelons, P.I. Pestel instaure un système qui répond à une double exigence : d’une part, assurer la plus large assise à la représentation nationale et réaliser la liberté politique en impliquant les citoyens à la vie de l’Etat dès le plus bas échelon ; d’autre part, réserver les postes de la haute fonction publique aux citoyens les plus instruits, par conséquent les plus capables. Cependant, l’auteur de la Justice russe, qui a tant critiqué l’aristocratie des richesses (aristokraciâ bogatstv) prônée par N.M. Mouraviov, se défend de réserver les postes élevés aux seuls représentants de la noblesse. Il estime que les nobles qui seront élus auront accès à ces postes non plus suivant un privilège lié à leur condition, mais en raison de leurs compétences ; par ailleurs, ils rempliront leur mission uniquement pour le bien de l’Etat, et non pas pour leur fortune personnelle :

Les nobles et les riches seront vraisemblablement plus souvent élus que d’autres citoyens, dans la mesure où ils sont davantage instruits que les autres ; mais une telle élection, fondée sur la confiance générale, n’est pas un droit politique réservé à une personne, mais un avantage général pour l’ensemble de l’Etat.[49]

P.I. Pestel met donc en place un appareil d’Etat fondé non sur le pouvoir du souverain et le règne des favoris, mais sur un ensemble de fonctionnaires chargés d’une mission de service public ; la légitimité de la mission des fonctionnaires réside non plus dans la personne, mais dans la fonction. P.I. Pestel a souci de rendre le service de l’Etat accessible à tous et, pour garantir un large accès à la fonction publique, instaure un système de concours, seul moyen de choisir les candidats sur leurs compétences, et non sur leur nom ou leur origine. C’est donc une république de notables que le responsable de la Société du Sud tente d’instaurer sur le territoire russe.

Le processus d’élaboration de la loi est plus rapide chez P.I. Pestel que chez N.M. Mouraviov : au nom même de l’efficacité d’une seule Chambre, le chef de la Société du Sud renonce au bicaméralisme et forme une Chambre unique, elle aussi appelée Narodnoe Veče. Elle est composée de membres élus pour cinq ans, renouvelés par cinquième chaque année ; le président est élu parmi les membres arrivés à leur cinquième année. L’unité de cette Chambre dépositaire du pouvoir législatif doit refléter l’unité du législatif et garantir une plus grande efficacité :

L’Assemblée nationale (Narodnoe Veče) forme un tout et ne se divise pas en commissions ; l’ensemble du pouvoir législatif se retrouve en elle.[50]

Le pouvoir de cette Assemblée nationale est considérable puisque celle-ci est chargée d’établir les lois fondamentales ; elle n’est limitée par aucun contre-pouvoir effectif et ne peut être dissoute. Lorsque la première Assemblée nationale est créée, la liste des membres fondateurs doit être promulguée et recevoir l’aval du peuple : pour P.I. Pestel, l’Assemblée nationale reçoit sa légitimité directement du peuple souverain.

Au sein de cette Assemblée législative, les projets de loi sont discutés et votés à la majorité des voix. Les projets ayant reçu force de loi sont immédiatement transmis à l’exécutif, chargé de veiller à l’application et au respect de la loi. Radicalisant les propos de Rousseau évoqués précédemment, P.I. Pestel érige le respect de la loi en un principe sacré pour tout citoyen : puisque la loi émane de la volonté générale et représente la souveraineté de la nation, nul manquement à la loi ne sera toléré.

La soumission aux lois est une chose sacrée.[51]

Cette « dictature de la loi » fut vivement condamnée par les membres de la Société du Nord, qui voyaient dans cette obéissance aveugle un abandon de la liberté individuelle : mieux valait obéir à un homme, capable d’erreur et d’injustice mais aussi de compassion, qu’à un texte immuable, fût-il l’expression de la volonté générale. La sacralité de la loi ainsi revendiquée fait signe vers le radicalisme de P.I. Pestel, que ses commentateurs n’ont pas manqué de remarquer. Mais elle entre également dans un système politique spécifique, au centre duquel la loi devient toute-puissante afin de fonder sur le droit, et non sur l’arbitraire, un Etat juste, stable et équitable. C’est dans ce but que le règne de la loi devait succéder au règne des princes.

Conclusion

Au terme de cette rapide étude sur l’émergence et l’évolution du concept de loi, quelques conclusions renouvelant l’approche de l’histoire des idées politiques méritent d’être rappelées. L’étude des textes politiques des Décembristes démontre indiscutablement que l’Europe et la Russie eurent des échanges culturels extrêmement féconds au début du XIXe siècle.

L’attention apportée aux représentations théoriques de la loi fait apparaître la prédominance du droit naturel dans les théories juridiques russes, dès la fin du XVIIIe siècle. Catherine II donne l’impulsion initiale en faisant très largement diffuser son Instruction – résumé en russe, français, latin et allemand des théories européennes du droit. Toutefois, le transfert des mots n’assure pas le transfert des notions, et l’on note bien souvent des écarts par rapport au modèle d’origine. Il s’ensuit une inadéquation entre le vocabulaire affiché et la réalité désignée, ce qui crée un « malentendu » à l’origine de nombreuses incompréhensions entre l’Europe et la Russie. Catherine II et, à sa suite, Alexandre Ier, utilisent la théorie jusnaturaliste comme une phraséologie officielle, destinée tant à apaiser le mécontentement des représentants de la noblesse libérale modérée qu’à justifier un état de fait, fondé sur la toute-puissance du souverain autocrate.

En revanche, les Décembristes en font un autre usage : désireux de passer du modèle théorique à la pratique, ils déplacent la loi du terrain purement juridique vers le terrain politique : il s’agit de passer du droit positif civil à une construction étatique. On assiste donc ici – et c’est là l’apport le plus innovant des Décembristes – au passage de la légalité à la légitimité : cette réflexion sur l’origine du droit a des conséquences fondamentales pour le nouvel ordre de la cité. Désormais, le peuple est seul souverain, et par conséquent seul dépositaire du pouvoir qu’il peut – ou non – confier à des représentants. L’exigence de légitimité engendre donc la proclamation de la souveraineté nationale, et le recours à la représentation nationale. Deux réponses sont alors apportées qui reflètent toutes deux l’état de la société russe : N.M. Mouraviov, conscient de l’inculture et de l’incompétence de l’immense majorité du peuple russe, restreint drastiquement l’accès aux urnes ; P.I. Pestel ouvre très largement l’accès aux urnes, mais instaure une véritable « dictature de la loi », destinée à combler les défaillances du civisme des Russes à peine sortis du servage.

L’adhésion aux idées européennes a donc conduit les Décembristes à emprunter à la culture juridique européenne sa conception de la loi : universalité de la loi, égalité de tous les citoyens devant la loi, justice équitable pour tous et respect de tous les citoyens pour la loi sont autant d’emprunts qui bouleversent profondément la culture juridique et politique de la Russie impériale et autocratique. Toutefois, N.M. Mouraviov et P.I. Pestel ont tous deux conscience de l’irréductibilité du « terroir russe » et des problèmes spécifiques qui se posent à la Russie, du fait du servage et de la division de la société en différentes conditions.

Ce rapide parcours sur l’émergence de la notion de loi, son évolution et sa transposition en territoire russe, a mis à jour les échanges intellectuels féconds entre l’Europe et la Russie, au début du XIXe siècle, les influences subies et le léger écart constaté entre le modèle initial et sa réception en Russie. Cette évolution se vérifie pour d’autres notions que la loi. Dans le domaine politique, il est donc plus juste parler de transposition des concepts, plutôt que de simple transfert. Cette constatation ouvre à l’historien des idées, mais aussi au linguiste et au sociologue, un vaste horizon de recherche : depuis la lecture attentive des textes politiques qui cristallisent une pensée, jusqu’à ces éléments parfois difficiles à appréhender – pratiques, opinion publique, littérature – qui forment une culture politique.

 

Notes

[1] Catherine II, Наказ Её Императорского Величества Екатерины Вторыя, самодержицы Всероссийския, данный Коммииссии о сочинении проекта новаго уложения (Nakaz Eë Imperatorskago Veličestva Ekateriny Vtoryâ, samoderžicy Vserossijskyâ, dannyj Kommissii o sočinenii proekta novago uloženiâ [Instruction de Sa Majesté Impériale Catherine II pour la commission chargée d’élaborer le projet d’un nouveau code de lois]), Sankt-Peterburg, Imperatorskaâ Akademiâ Nauk, 1770. Le texte original est publié en quatre langues : russe, allemand, latin et français.

[2] N.M. Murav’ëv, Конституция (Konstituciâ [Constitution]), publiée une première fois dans la collection Восстание декабристов (Vosstanie dekabristov [Le soulèvement des Décembristes]), Moskva/Leningrad, Gosudarstvennyj arhiv, 1952, tome IV ; rééditée avec une étude minutieuse de l’historien N.M. Družinin in DRUŽININ, N.M., Избранные труды. Том 1: Революционное движение в России в 19 веке, (Izbrannye trudy. Tom I : Revolûcionnoe dviženie v Rossii v Rossii v XIX v. [Œuvres choisies, tome I : Le mouvement révolutionnaires en Russie au XIXe siècle]), Moskva, Nauka, 1985. L’édition de N.M. Družinin sera notre édition de référence.

[3] P.I. Pestel’, Русская правда (Russkaâ pravda [Justice russe]), in Восстание декабристов (Vosstanie dekabristov [Le soulèvement des Décembristes]), Moskva/Leningrad, Gosudarstvennoe izdatel’stvo političeskoj literatury, 1958, tome VII, pp.113-218. Le projet de P.I. Pestel’ devait initialement comporter dix chapitres ; seuls les cinq premiers ont été rédigés. Ils nous sont parvenus sous deux variantes : les chapitres III, IV et V appartiennent à la première rédaction (1820), tandis que l’introduction, les chapitres I et II, et la fin du chapitre III sont le fruit d’une deuxième rédaction (1822-1824).

[4] N.I. Turgenev, La Russie et les Russes, Paris, Comptoir des Imprimeurs unis, 1847, tomes I à III. Le tome I, mémoire justificatif vis-à-vis des accusations portées par la Commission d’enquête contre l’auteur, retiendra tout particulièrement notre attention.

[5] De 1770 à 1830, les élites russes demeurent fascinées par l’Angleterre et la monarchie constitutionnelle, modèle politique équilibré et stable. L’Allemagne est réputée pour ses universités, l’enseignement en philosophie et en droit (S. Pufendorf) ; et l’Italie pour la réflexion sur la justice et la législation (C. Beccaria, G. Filangieri). La France, après avoir exercé une forte attraction par sa vie intellectuelle intense, repousse les Russes contemporains de la Révolution française ; elle exerce néanmoins un certain attrait chez les jeunes officiers avides de nouvelles expériences politiques.

[6] La pensée juridique russe connaîtra une évolution spécifique dans la seconde moitié du XIXe siècle, marquée par l’apparition d’un certain nihilisme juridique, chez les anarchistes, mais aussi chez les slavophiles.

[7] Catherine II ne limite pas ses emprunts au seul Montesquieu. Elle reprend des passages entiers de l’ouvrage de Beccaria, Des délits et des peines.

[8] Selon le terme utilisé dans la version française de l’Instruction, op.cit., chapitre XIX, §442, p 289.

[9] Catherine II, Nakaz, op.cit., chapitre XIX, §444, 445 et 446 : « 444. Под словом законы разумеется все те установления, которые ни в какое время не могут перемениться, и таковых числу быть не можно великому. 445. Под названием пременные учреждения разумеется тот порядок, которым все дела должны отправляемы быть, и разные о том наказы и указы. 446. Имя указы заключает в себе все то, что для каких нибудь делается приключений, и что только есть случайное, или на чью особу относящееся, и может со временем перемениться.»

[10] Catherine II, Nakaz, op.cit., Chapitre XIX, §448 : « Всякий закон должен написан быть словами вразумительными для всех.»

[11] Catherine II, Nakaz, op.cit., chapitre XIX, §452 : « Законы не должны быть тонкостями от остроумия происходящими наполнены; они сделаны для людей посредственного разума равномерным образом, как и для остроумных; в них содержится не наука предписывающая правила человеческому уму, но простое и правое разсуждение отца о чадах и домашних своих пекущагося.»

[12] Catherine II, Nakaz, op.cit., chapitre III, §19 : « […] В Самой вещи Государь есть источник всякия государственныя и гражданския власти.»

[13] Exemple emprunté à V.A. Tomsinov, article « Правовая культура » (« Pravovaâ kul’tura » [La culture juridique]), in Очерки русской культуры (Očerki russkoj kul’tury [Essais sur la culture russe]), Moskva, MGU, 2000, tome II, p. 102-166.

[14] Remarque d’Alexandre Ier citée in V.A. Tomsinov, Очерки русской культуры (Očerki russkoj kul’tury), op.cit., p.108 : « Отсюда всеобщее смешение прав и обязанностей каждого, мрак, облежащий равно судью и подсудимого, бессилие законов в их исполнении и удобность переменить их по первому движению прихоти или самовластия. »

[15] Texte publié en 1821 : Основания российского права, извлечённые из существующих законов Российской империи (Osnovaniâ rossijskago prava, izvlečënnye iz suŝestvuûŝih zakonov Rossijskoj imperii [Fondements du droit russe, extraits des lois en vigueur dans l’Empire de toutes les Russies]).

[16] Полный хронологический реестр законодательских актов со времени правления Алексея Михайловича до 1825 года (Polnyj hronologičeskij reestr zakonodatel’nyh aktov so vremeni pravleniâ Alekseâ Mihajloviča do 1825 goda [Registre chronologique complet des actes législatifs depuis l’époque du règne d’Aleksij Mihajlovič jusqu’en 1825]).

[17] Titre en russe : Полное собрание законов Российской империи (Polnoe sobranie zakonov Rossijskoj imperii [Recueil intégral des lois de l’Empire de toutes les Russies]). Cette collection comprenait 30 600 textes législatifs (lois, ordonnances, oukazes, décrets, etc.), compilés en quarante-cinq tomes volumineux.

[18] En russe : Свод законов Российской империи (Svod zakonov Rossijskoj imperii [Recueil des lois de l'Empire de toutes les Russies]). Ce code ne recensait que 42 000 lois, réparties en quinze volumes.

[19] N.M. Karamzine, cité en français in N.I. Turgenev, La Russie et les Russes, op.cit., tome I, p. 495-496.

[20Ibidem ; nous soulignons.

[21Idem, p 504.

[22] M. Raeff, Plans for Political Reforms in Imperial Russia, 1730-1905, New York, Prentice Hall, 1966, p 20.

[23] De tous les Décembristes, P.I. Pestel’ est l’auteur qui fait le plus souvent allusion au droit naturel. On rencontre sous sa plume, dans l’introduction de son projet constitutionnel, des expressions telles que : « loi naturelle » (закон естественный, zakon estestvennyj, revient à trois reprises) ; « loi de la nature » (закон природы, zakon prirody).

[24] D. Diderot, Œuvres, Paris, Collection Bouquins, éditions Robert Laffont, 1995, tome III : « Politique », pp.46-47.

[25] Catherine II et P.I. Pestel’ à sa suite reprendront cette fiction de l’état de nature pour expliquer la naissance des sociétés. La théorie jusnaturaliste est diffusée en Russie grâce au professeur A.P. Kunicyn, qui laisse notamment un cours d’introduction au droit naturel. L’impact du droit naturel en Russie ne fait donc aucun doute. Le cours d’A.P. Kunicyn est disponible dans le recueil Избранные социально-политические и философские произведения декабристов (Izbrannye social'no-političeskie i filosofskie proizvedeniâ dekabristov [Florilège d'oeuvres socio-politiques et philosophiques des Décembristes]), Moskva, Gosudarstvennoe izdatel'stvo političeskoj Literatury, 1951, tome I, «Энциклопедия прав» (Enciklopediâ prav [Encyclopédie des droits]), p. 591-654.

[26] Constitution française de l’an I (1793), article 2 : « Ces droits sont l’égalité, la liberté, la sûreté et la propriété. » On remarquera qu’aux droits énumérés par Locke, les révolutionnaires français ajoutaient l’égalité.

[27] P.I. Pestel’, Русская правда (Russkaâ pravda), introduction, §7 : «Народ российский не есть принадлежность или собственность какого либо лица или семейства.»

[28] N.M. Murav’ëv, Конституция (Konstituciâ), chapitre I, §1 : « Русский народ, свободный и независимый, не есть и не может быть принадлежностью никакого лица и никакого семейства. »

[29] N.M. Murav’ëv, Конституция (Konstituciâ), chapitre III, §23 : « Право собственности, заключающее в себе одни вещи, священно и неприкосновенно. »

[30] P.I. Pestel’, Русская правда, introduction, §9 : « Государственное благоденствие состоит из двух главных предметов : из безопасности и благосостояния. »

[31] P.I. Pestel’, Русская правда, introduction, §10 : « Таковы коренные начальные понятия, на которых основаны быть должны существование, жизнь и образование всякого благоустроенного Государства : дабы оно находилось под властью и управлением законов общественных, а не прихотей личных властителей.»

[32] N.M. Murav’ëv, Konstituciâ, Introduction : « Ставя себя выше законов, государи забыли, что они в таком случае вне законов – вне человечества ! » L’auteur souligne.

[33] « Мы предполагали установить общество, целью которого бы было в то время, когда члены оного значительно умножатся, требовать от Государя положительных законов, коим бы он сам был подчинён. » Dossier d’instruction de P.I. Borisov, in Восстание декабристов (Vosstanie dekabristov [Le soulèvement des Décembristes]), Moskva/Leningrad, Gosudarstvennoe izdatel'stvo političeskoj literatury, 1951, tome V, p.52. Nous soulignons.

[34] Constitution française de 1793, article 3 : « Tous les hommes sont égaux par la nature et devant la loi. »

[35] N.M. Murav’ëv, Konstituciâ, chapitre III, §10 : « Все Русские равны перед законом. »

[36] P.I. Pestel’, R.P., introduction : « Все должны быть перед Законом ровны.»

[37Ibidem : «Из сего явствует, что все люди в Государстве должны непременно быть перед Законом соверщенно ровны.»

[38Ibidem : « […] всякое постановление нарушающее сие равенство всех перел Законом есть нетерпимое Зловластие, долженствующее непременно быть уничтоженным.»

[39Ibidem : « Равенство всех перед Законом – главнейшее основание правильного государственного установления. »

[40] Cité in Развитие российского права во второй половине – начале ХХ в. (Razvitie rossijskogo prava vo vtoroj polovine XIX – načale XX v. [Développement du droit russe dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle]), Moskva, Nauka, 1994, p 134.

[41] N.M. Murav’ëv, Konstituciâ, introduction : « Нельзя допустить основанием правительства – произвол одного человека.»

[42] N.M. Murav’ëv, Konstituciâ, chapitre I, §2 : « Источник Верховной власти есть народ, которому принадлежит исключительное право делать основные постановления для самого себя. » Nous soulignons.

[43] J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, Paris, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1964, tome III : Lettres écrites de la montagne, p. 806-808.

[44] J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, op.cit., tome III : Fragments politiques, p 492.

[45] N.M. Murav’ëv, Konstituciâ, chapitre IV, §59 : « Народное вече, состоящия из Верховной Думы и Палаты народных представителей, облечено всею законодательною властью.»

[46] La plupart des Décembristes se référaient souvent à l’Antiquité pour définir le modèle politique idéal ; certains évoquaient la démocratie athénienne, d’autre la république romaine. P.I. Pestel montrait une préférence marquée pour les modèles historiques russes : la cité de Novgorod, avec ses institutions politiques « libres », est une référence récurrente dans ses textes.

[47] Les Décembristes prolongent ici, en terre russe, le débat américain de 1787-1788.

[48] P.I. Pestel’, Russkaâ pravda, chapitre IV, §16 : « Окружные наместные собрания […] назначают народных представителей в Народное Вече, образующее Верховную Законодательную Власть. »

[49] P.I. Pestel’, Russkaâ pravda, chapitre IV, §17 : « Дворяне и богатые будут вероятно чаще других граждан избираемы, есть ли будут просвещеннее прочих ; но таковой выбор основанной на общем доверии не есть политическое право для лица, а есть общая выгода для всего государства. »

[50] P.I. Pestel’, Государственный завет (Gosudarstvennyj zavet [Testament d’Etat]), in Восстание декабpистов (Vosstanie dekabristov [Le soulèvement des Décembristes]), op.cit., tome VII, p 214.

[51] P.I. Pestel’, Russkaâ pravda, chapitre IV, §14 : « Повиновение Законам есть вещь священная. »

 

Pour citer cet article

Julie Grandhaye, « Les décembristes et la Loi - Genèse d'un concept », in Sylvie Martin (dir.) Circulation des concepts entre Occident et Russie, [en ligne], Lyon, ENS LSH, mis en ligne le 10 décembre 2008. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article146