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La critique des notions politiques occidentales en Russie contemporaine : entre rejet et réappropriation

Véra NIKOLSKI

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - CRPS

Index matières

Mots-clés : Russie, patriotisme, démocratie, libéralisme, intellectuels

Plan de l'article

Texte intégral

Dans l’histoire russe des idées, la ligne de clivage opposant un camp pro-occidental et un camp anti-occidental est très ancienne. La position géographique de la Russie, à cheval entre l’Europe et l’Asie, son histoire qui l’a vue plusieurs fois tantôt s’ouvrir, tantôt se fermer à l’Occident, sa culture qui hérite d’influences diverses – tout contribue à faire de l’identité du pays un sujet ouvert à la discussion.

Cette discussion prend une forme construite au XIXe siècle, lorsque deux courants philosophiques – les occidentalistes et les slavophiles (počvenniki) – la mettent au centre de leurs analyses divergentes. Les premiers estiment que la Russie doit adopter le modèle européen de développement ; les seconds considèrent qu’elle doit suivre une voie spécifique. Au début du XXe siècle, la position particulariste de l’identité russe est reprise par l’eurasisme classique qui agrémente l’idée d’une voie spécifiquement russe de quelques nouveaux éléments : la Russie devient le centre d’un espace civilisationnel – l’Eurasie – distinct de l’Occident et fédérant l’ensemble des peuples habitant ce vaste territoire autour d’un destin commun.

Comme le montrent plusieurs auteurs, le paysage intellectuel et politique de la Russie actuelle est toujours profondément marqué par cette dichotomie où un camp est qualifié d’« occidentaliste », « démocrate » ou « libéral » et l’autre de « patriote ».[1] Sans doute, le sens de ces mots ne correspond-il pas toujours au contenu des convictions politiques des uns et des autres.[2] Cependant, la prégnance de cette opposition dans les discours montre que le rapport à l’Occident continue de représenter une source d’interrogations pour les penseurs et d’être exploité par les politiques.

Le présent article se propose d’examiner l’état des débats actuels sur la question à partir d’un angle particulier, celui du rapport aux notions politiques occidentales de démocratie et de libéralisme dans les écrits et les discours politiques contemporains. La question centrale à laquelle il va essayer de répondre est la suivante : y a-t-il aujourd’hui en Russie un ou des discours construits de critique de ces notions, et quelles en sont les caractéristiques ? S’agit-t-il d’un rejet des institutions et des pratiques réelles que les concepts en questions sont censés recouvrir ou bien d’une opposition plus symbolique portant sur leur origine occidentale ? Enfin quelle est la portée de ces discours, leur utilisation dans la sphère politique ?

On va voir que si les discours de critique des notions de démocratie et de libéralisme existent bien et sont multiformes, leur portée semble dépendre aujourd’hui de leur radicalité. Les rhétoriques les plus extrêmes dans leur rejet de l’Occident restent cantonnées à un faible niveau de diffusion et une représentation politique minoritaire ; en revanche, des formes plus modérées de la critique proposant une réappropriation des concepts occidentaux (en particulier du concept de démocratie) qui les ancre dans la spécificité nationale sont au contraire dominants dans le débat public, signe que le patriotisme constitue bien un consensus autour duquel se structure la majorité des discours politiques.

Le poids du contexte dans le rapport aux notions occidentales

Il ne s’agit pas de retracer ici l’histoire des notions de démocratie et de libéralisme en Russie. Cependant, le passé récent fournit des éléments utiles à la compréhension de leur place dans le débat politique actuel.

De la fin des années 1940 au début des années 1980, l’URSS et l’Occident entretenaient des rapports d’opposition quasi absolue. La fin de la guerre froide, la perestroïka et plus encore les réformes des années 1990 ont au contraire symbolisé une ouverture à l’Occident, tant au plan géopolitique qu’au niveau des idées. Le modèle soviétique étant déclaré défaillant et caduc, les changements effectués ont, en effet, été le plus souvent présentés comme relevant d’une « transition » vers la démocratie et l’économie du marché, institutions caractéristiques des sociétés industrialisées occidentales.[3]

La rhétorique de l’époque rendait fortement solidaires les deux sphères concernées – la politique et l’économie – démocratie et capitalisme faisant partie d’un « pack » commun qu’il s’agissait d’adopter en entier[4]. Par la critique de l’inefficacité de l’économie planifiée et de l’iniquité de l’Etat totalitaire, elle établissait en plus un lien, explicite ou implicite, entre l’adoption de ces institutions et l’avènement d’une ère de prospérité pour l’ensemble de la population. Iouri Levada remarque ainsi que la notion de « démocratie » était, dans les années 1990, fortement associée à celle de « richesse »[5]. Cette atmosphère d'espoir et de foi dans l'avenir explique le degré d'enthousiasme relativement haut du début des années 1990.

Cependant, la réalité se révèle rapidement décevante. Les réformes se sont traduites par un effondrement des services publics, une détérioration du niveau de vie et une hausse des inégalités sociales ; pour la majorité de la population, les changements sont douloureux. L’objet de cet article n’est pas de discuter des causes de cette dégradation des conditions de vie en Russie après 1991 ; ce qui compte pour cette étude, c’est que les réformes des années 1990 ont été menées au nom de la démocratisation de la société et de la libéralisation de l’économie. Par conséquent, la déception provoquée par les réformes a déteint non seulement sur des mesures ou des personnes concrètes – comme par exemple Anatoli Tchoubaïs, le père de la privatisation par bons (vaučer) – mais aussi sur les notions elles-mêmes : démocratie surtout, mais aussi libéralisme, et sur le rapport à l’Occident dans son ensemble.

Sous le régime soviétique, c’est surtout une partie de l’intelligentsia opposée au régime qui était attachée aux concepts occidentaux de démocratie et libéralisme, censés représenter le contraire du totalitarisme politique et économique. Cette intelligentsia a naturellement salué la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev et les réformes des années 1990 qui devaient amener la Russie à adopter la voie occidentale de développement. Cependant, cette fraction instruite et politisée de la population n’était pas représentative de la société.[6] D’ailleurs, au référendum de 1991 qui a précédé le démantèlement de l’URSS, une majorité de citoyens soviétiques s’étaient prononcés en faveur du maintien de l’ancienne structure.

Les hommes politiques ayant participé aux transformations de la perestroïka et à la « thérapie de choc » des années 1990 – Mikhail Gorbatchev, Egor Gaïdar, Anatoli Tchoubaïs – ont par la suite personnifié ces notions aux yeux de la population. Comme les réformes politiques et économiques ont été qualifiées de « démocratiques », ces acteurs ont été appelés « démocrates ». La faillite de l’économie russe dans les années 1990 a par conséquent provoqué une réaction de rejet, voire de haine, de la part de la population envers ces hommes politiques.[7] Or, ce rejet des « démocrates » discrédite par contagion la notion même de démocratie. Levada remarque ainsi que le mot « démocrate » en était venu, à cette époque, à être utilisé comme une insulte courante.[8]

Par suite de ces événements, défendre la démocratie et le libéralisme ou en faire la base d’un programme politique est devenu, dès le milieu des années 1990, délicat. Les partis et les hommes politiques dont le discours s’en inspire le plus explicitement – les deux principaux partis, Iabloko avec Grigori Iavlinski et l’Union des Forces de droite (Sojuz pravyh sil, SPS) avec Boris Nemtsov, puis Nikita Belyh, et les partis plus petits, comme Notre choix (Naš Vybor) avec Irina Khakamada – n’ont que peu de soutien auprès de l’électorat, comme le montrent aussi bien les sondages que les résultats des élections. De plus, des études montrent que le fossé entre les élites et la masse est toujours aussi actuel, les premières se montrant souvent favorables à la démocratie libérale, mais la seconde la rejetant largement.[9] En décembre 2003, aucun de ces partis n’a réussi à franchir la barre des 5% nécessaires pour accéder à la Douma.

D'après Grigori Kertman, sociologue à l’institut de sondages Opinion publique (Fond Obŝestvennoe Mnenie, FOM), le mot « démocrate » a tellement souffert des déceptions des années 1990, et les leaders « démocratiques » associés à cette époque sont tellement impopulaires, que les leaders de droite évitent aujourd'hui la référence à cette notion, préférant se faire appeler « libéraux » ; ce mot, moins connu du public, est aussi moins associé à la « thérapie de choc », et donc perçu moins négativement.[10]

Dans cette situation, il y a peu de chances pour qu’un discours politique ou théorique basé exclusivement sur les notions de démocratie ou même de libéralisme, puisse trouver un écho favorable auprès de la population.[11] Cependant peut-on dire que la critique de ces notions soit, par opposition, un thème porteur ? Est-elle constituée en discours audible dans l’espace public ?

La critique des notions occidentales : un discours pluriel et hétérogène

Un discours centré sur la critique des notions de démocratie et de libéralisme existe effectivement aujourd’hui en Russie ; lorsqu’on l’étudie, on est même d’abord frappé par sa diversité. Les auteurs contemporains qui théorisent cette critique en construisant une argumentation structurée ne constituent pas un « camp » unifié, mais plutôt une constellation aux caractéristiques hétérogènes.

Tout d’abord ils ne sont pas d’égale notoriété : si certains sont des acteurs publics dont le discours est relayé par des médias de masse, d’autres au contraire sont des intellectuels aux écrits quasi confidentiels. Ensuite, ils n’ont pas de socle idéologique commun ; leur critique des notions occidentales obéit à des logiques diverses et conduit les auteurs à construire des théories différenciées.

Cependant, comme on va le voir par la suite, cet ensemble des discours qu’on peut qualifier d’anti-occidentaux est aujourd’hui assez important ; certaines variantes sont largement audibles dans le débat public et, au-delà de cette audibilité des auteurs concrets, les théories qu’ils diffusent constituent un élément important dont l’empreinte est visible auprès d’une grande partie des forces politiques du pays. On peut noter, à ce propos, que les théoriciens de la critique de la démocratie et du libéralisme sont en général peu ou pas connus en Occident (en particulier en France), et sont rarement pris en compte en tant que composante du paysage politique russe, les médias occidentaux ayant souvent tendance à réduire ce dernier à un pouvoir vaguement anti-occidental et une opposition démocratique pro-occidentale (Iabloko, SPS, et autres petits partis). Or, ces deux figures sont loin d’épuiser le spectre des forces politiques qui s’expriment aujourd’hui en Russie. Ainsi, les théoriciens de la critique des notions occidentales sont producteurs d’un discours qui n’est ni celui du pouvoir, ni celui de l’opposition qu’on qualifie habituellement de démocratique. Cependant leurs théories se retrouvent, sous des formes plus ou moins modifiées, dans de nombreux partis et mouvements, sans qu’il soit toujours possible de déterminer s’il s’agit d’une influence des auteurs en question ou d’une production de discours autonome de la part des acteurs politiques. Dans les deux cas cependant, le fait de retrouver les mêmes idées dans les écrits d’une part, et dans certains discours politiques d’autre part indique que les idées en question sont, si l’on peut dire, dans l’air du temps.

La constante importante dans la rhétorique de presque tous les auteurs concernés consiste dans la référence implicite ou explicite à l’existence d’une « voie russe » spécifique de développement. La Russie est considérée comme un pôle de civilisation à part, distinct de l’Occident. Cette idée, déjà présente dans le courant slavophile et l’eurasisme classique, implique que la Russie ne doit pas adopter les modes de vie, institutions et valeurs occidentales, mais inventer ou garder des structures originales qui lui seraient propres et qui correspondraient à son identité spécifique déterminée par son histoire, sa culture, sa mentalité collective.

Ainsi la référence à la spécificité de la voie russe amène logiquement à une critique forte de la prétendue portée universelle des notions politiques occidentales telles que la démocratie ou le libéralisme. Ces notions sont vues non comme propres à l’humanité, mais comme appartenant à un moment déterminé de l’espace-temps, à savoir l’Occident moderne/contemporain. Pour le reste du monde, elles seraient inapplicables telles quelles, étrangères et nuisibles car détruisant les bases de l’identité nationale et donc sapant la viabilité même des pays.[12] Reflet de tout ce que l’Occident peut représenter de négatif, elles se présentent comme les incarnations de l’individualisme (liberté et égalité purement formelles, droits de l’homme où l’individu prime sur le collectif), du matérialisme (course au profit, société de consommation) et du rationalisme (absence de références spirituelles, du souci de l’âme), et s’opposent donc à ce que les auteurs critiques considèrent comme étant l’identité nationale de la Russie.

A partir de l’idée d’une voie russe spécifique, la rhétorique admet cependant deux développements distincts aux implications importantes. L’un – le plus radical – s’appuie sur la référence au passé pour justifier un rejet absolu des notions occidentales ; l’autre – plus modéré – suggère que si ces notions ne peuvent pas être adoptées telles quelles en raison de leur appartenance à une culture étrangère, elles peuvent néanmoins être réappropriées à condition d’être réinventées à partir du contexte spécifique du pays. Cette réinvention, sans en changer radicalement le contenu, les modifie suffisamment pour les présenter comme une création autochtone, ancrée dans l’histoire et l’imaginaire national.[13]

Dans le premier cas, la notion est rejetée car les institutions et pratiques qu’elle est supposée recouvrir sont jugées incompatibles avec l’identité nationale. Dans le deuxième, même si le contenu de la notion, c’est-à-dire les institutions et pratiques réelles, subit des modifications afin de devenir acceptable, c’est plutôt l’origine du mot, le statut d’élément importé qui pose problème ; l’enjeu devient alors beaucoup plus symbolique, puisqu’il s’agit non seulement de trouver des formes originales d’organisation sociale, mais aussi – et peut-être surtout – d’imposer une mythologie légitime sur les origines des notions employées.

Ces deux développements rhétoriques ne sont pas mutuellement exclusifs ; au contraire, bien souvent ils constituent deux phases de l’argumentation dans l’œuvre d’un seul auteur. Après avoir rejeté la démocratie et/ou le libéralisme comme incompatibles avec la nature de la Russie, le discours va plus loin en avançant que la même notion, à condition d’être « russifiée », s’intègre dans la culture du pays, voire en devient un élément essentiel.

Mais malgré cette cohabitation fréquente des deux types de rhétorique, leur portée n’est pas la même. Comme on va le voir par la suite, c’est le volet modéré proposant une « russification » des notions occidentales qui exerce l’influence la plus importante sur l’ensemble des forces politiques du pays, la version radicale étant plutôt réservée aux courants extrémistes et peu représentés.

Parallèlement à cette dualité, on peut dresser une typologie d’auteurs basée sur les éléments centraux de leur discours. Ces catégories sont très schématiques, mais elles constituent un outil qui permet de dégager les grands axes de similitude et de différenciation. Selon le type de rhétorique utilisée, on peut distinguer quatre principaux groupes d’auteurs : les patriotes rouges, les patriotes rouge-brun, les patriotes étatistes et les patriotes traditionnels.

Les patriotes rouges les plus connus sont Sergueï Kara-Mourza et Alexandre Zinoviev, mais il y a également quantité d’auteurs secondaires, comme par exemple Alexandre Kazintsev. Au centre de la rhétorique de ces auteurs se trouve une relecture de l’expérience soviétique qui en fait le point focal de l’histoire russe. Les patriotes rouge-brun, dont les figures marquantes sont Alexandre Douguine, Alexandre Prohanov et, dans une certaine mesure, Edouard Limonov, procèdent à une synthèse d’éléments de rhétorique d’extrême gauche et d’extrême droite, avec une insistance particulière sur l’idée d’Empire. Les patriotes étatistes, parmi lesquels je classe les journalistes et publicistes tels que Mikhaïl Leontiev ou Alexei Pouchkov mettent en avant l’idée d’indépendance nationale et l’importance de l’Etat. Enfin, les patriotes traditionnels, qui regroupent des auteurs tels que Igor Chafarevitch ou Mikhaïl Nazarov, axent leur discours sur les traditions anciennes et le rôle central de la religion orthodoxe.

Comme indiqué plus haut, ces groupes sont évidemment schématiques, l’argumentation de chaque auteur n’étant pas toujours aussi tranchée. Souvent, chez un même auteur, on peut observer une évolution, ou bien une coexistence d'opinions diverses. Mais ces groupes permettent d'isoler au moins quelques idéaux-types qui aident à appréhender et analyser la pluralité des points de vue.

On va revenir plus en détail sur les points particuliers de la rhétorique de ces différentes catégories ; mais on peut noter d’ores et déjà que les auteurs des quatre groupes identifiés ne possèdent pas la même notoriété. Les plus visibles sont les patriotes rouge-brun et les patriotes étatistes. Qu’ils appartiennent au camp du pouvoir ou à l’opposition, ce sont eux qui apparaissent le plus souvent à la télévision et dans la presse à large diffusion ; comme on va le voir, ce sont eux également qui exercent la plus grande influence sur le paysage politique. Les patriotes rouges sont moins connus ; s’ils exercent une influence certaine sur les partis de gauche (en particulier sur le KPRF, le parti communiste), ils sont peu sollicités par les médias de masse et peu connus du large public. Enfin, les patriotes traditionnels sont les moins visibles et les moins influents de tous. Confinés à des canaux d’expression spécialisés (tels que le journal Naš Sovremennik), ils développent un discours qui ne trouve pas de contrepartie audible dans le champ d’expression politique.

Le rejet radical : référence au passé et extrémisme politique

Le rejet radical des notions occidentales peut être repéré dans le discours d’auteurs appartenant aux trois des quatre catégories identifiées plus haut : les patriotes rouges, les patriotes rouge-brun et les patriotes traditionnels, la rhétorique des patriotes étatistes en étant pratiquement exempte.

Comme indiqué plus haut, lorsque les notions de démocratie et/ou de libéralisme sont rejetées comme inadaptées à la Russie, ce rejet procède généralement d’une référence au passé censé « prouver » la spécificité de la Russie et son incompatibilité avec les institutions et pratiques que recouvrent ces notions occidentales.[14] Ce passé auquel on se réfère est cependant différent d'un auteur à l'autre. Si tous affirment ou sous-entendent une sorte de continuité historique entre différents moments de l'histoire qui fait que la Russie se voit dotée d’une identité permanente, les périodes convoquées pour la démonstration ne sont pas les mêmes.

Les patriotes rouges privilégient la période soviétique, dont ils ont une perception essentiellement positive.[15] L’URSS est présentée comme la perpétuation des traditions russes, et même comme leur meilleure incarnation. Le communisme, dans cette analyse, devient souvent l’héritier du « mir », la communauté paysanne russe. Les références au marxisme classique sont pratiquement absentes, voire rejetées, comme c’est le cas pour Alexandre Zinoviev.[16] Le communisme soviétique est vu comme une particularité nationale russe, et non comme l’application d'une doctrine universelle abstraite.

Dans cette perspective, la démocratie et le libéralisme apparaissent comme des notions profondément étrangères à la culture russe dont le telos politique réside au contraire dans les institutions de l’époque soviétique que les auteurs concernés chargent d’un ensemble de valeurs opposé à l’individualisme, matérialisme et rationalisme occidentaux, à savoir la justice sociale, l'égalité, le partage, l'esprit communautaire et la priorité de l'élément spirituel sur l'élément matériel. Dans plusieurs de ses travaux[17] (ainsi que dans un entretien accordé à l’auteur), Sergueï Kara-Mourza explique, par exemple, que la démocratie occidentale, en tant que régime reposant sur la compétition politique et la lutte de formations aux convictions divergentes, est contraire à la mentalité russe qui privilégie le consensus, gage de paix à l’intérieur du collectif. Ainsi, importer en Russie ce régime qui divise la population en une majorité gagnante et une minorité perdante, et qui met donc la société en situation de conflit latent et permanent, fait dévier la Russie de sa voie propre.

Les patriotes rouge-brun sont moins unanimes dans le choix de la période à valoriser. La continuité historique est à leurs yeux primordiale, qui minimise la différence entre divers régimes politiques. La Russie est perçue comme une entité métaphysique intemporelle et inaltérable.[18] Ainsi, Alexandre Douguine et Edouard Limonov célèbrent-ils toutes les pages glorieuses de l'histoire russe, Douguine étant particulièrement attiré par la période d’Ivan le Terrible[19], et Limonov choisissant pour sa part celle d’Alexandre Nevski (son Parti National Bolchevique (Nacional-Bolševistskaâ Partiâ, NBP) a pour fête officielle le 5 avril, en référence à La Bataille de Glace de 1242[20]).

La période soviétique fait partie de ces périodes glorieuses. Certains auteurs, comme l’écrivain et publiciste Alexandre Prohanov, insistent d’ailleurs particulièrement là-dessus.[21] La différence avec les patriotes rouges tient d’ailleurs moins à la période historique privilégiée qu’aux traits que ces auteurs estiment être les plus caractéristiques de la civilisation russe. Si les patriotes rouges se concentrent sur les aspects sociaux, les rouge-brun mettent au centre la nature impériale du pays. Le destin de la Russie serait de ne pouvoir être elle-même qu’en cultivant sa puissance (aussi bien à l’intérieur, par un pouvoir fort, qu’à l’extérieur, par la puissance militaire et l’importance sur la scène internationale), mais aussi sa capacité à rassembler les peuples. L’Empire (russe ou soviétique) serait, en effet, cette formation géopolitique qui permet aux différentes populations de vivre ensemble, autour d'un projet de grandeur commun.

On voit ici l’inspiration eurasiste que les patriotes rouge-brun assument pleinement. Certains d’entre eux, comme Alexandre Panarine[22], Alexandre Douguine ou Edouard Limonov (au moins jusqu’à récemment pour ce dernier[23]) revendiquent même l’étiquette de néo-eurasisme.[24] Nouvelle idéologie conservatrice[25], le néo-eurasisme est radicalement opposé au libéralisme qu’il perçoit comme le principal mal du monde moderne.[26] Quant à la démocratie, elle est également rejetée dans sa forme occidentale puisqu’elle s’oppose au projet impérial.[27]

Le dernier groupe d’auteurs qui développent une argumentation justifiant le rejet des notions de démocratie et de libéralisme est celui des patriotes traditionnels. Ces derniers ont pour particularité de se référer à un passé lointain et de refuser l'expérience soviétique perçue comme une déviation qui a détourné la Russie de sa voie spécifique. La période valorisée est donc celle d’avant 1917. De plus, ce n’est pas tant le régime politique qui importe pour ces auteurs que les valeurs et modes de vie en vigueur à cette époque. Nazarov, par exemple, insiste sur la centralité des valeurs religieuses comme socle de l’identité russe.[28] Quant à Chafarevitch, célèbre pour son concept de « russophobie »[29], il décrit la société traditionnelle russe comme une civilisation non technologique, par opposition aussi bien au socialisme qu’au capitalisme moderne.[30] Pour ces auteurs très conservateurs, la démocratie occidentale et le libéralisme sont à l’opposé du monde ancien et authentiquement national dont ils regrettent la disparition. Leur position peut être rapprochée de celle des slavophiles. Certains écrits d’Alexandre Soljenitsyne développent d’ailleurs des théories qui ne sont pas très éloignées de celles de ce groupe : critiquant l’URSS, il rejette également les réformes libérales des années 1990, au nom d'une voie russe spécifique, ni communiste ni occidentale.[31]

Comme mentionné plus haut, ce dernier groupe d’auteurs n’a pas beaucoup d’influence directement perceptible au niveau du paysage politique national. En revanche, les thèmes soulevés par les patriotes rouges et surtout rouge-brun se retrouvent, sous une forme plus ou moins élaborée, dans nombre de discours politiques publics.

Les patriotes rouges sont surtout liés aux partis de gauche, principalement au Parti Communiste de la Fédération de Russie (Kommunističeskaâ Partiâ Rossijskoj Federacii, KPRF). Alexandre Zinoviev avait publié certains ouvrages[32] dans la série « Diskussionnyj klub KPRF » (« Club de discussion du KPRF ») ; les écrits de Kara-Mourza sont connus de beaucoup de militants du KPRF et d’autres partis de gauche. Quant à Kazintsev, c’est un ami proche du président du KPRF Guennadi Ziouganov. L’idéologie officielle du KPRF développe des thèmes très proches de la rhétorique des patriotes rouges : rejet du libéralisme, réhabilitation de la période soviétique, oblitération des références marxistes au profit d’un communisme d’essence nationale.[33] Cependant, dans cette oblitération du marxisme le KPRF semble aller même plus loin que les auteurs mentionnés, semblant se rapprocher de plus en plus des thématiques développées par les patriotes rouge-brun.[34]

Le rejet des notions occidentales par les patriotes rouge-brun s’appuie, en effet, sur un patriotisme intemporel qui célèbre la grandeur impériale de la Russie sous toutes ses incarnations. C’est cette tendance qui semble aujourd’hui prévaloir au sein du KPRF. Le parti est, de fait, divisé entre une tendance de gauche qui professe un marxisme orthodoxe – et se veut donc universaliste et cosmopolite – et une tendance qu’on pourrait qualifier de droite qui abandonne ce qu’elle traite de « trotskisme » au profit d’une idéologie qui célèbre un marxisme national, ancré dans les traditions russes et garant de la grandeur du pays, désignée par le mot deržava. Au niveau des militants, en particulier au sein des jeunesses communistes, cette division donne lieu à des conflits entre les deux fractions concurrentes, la seconde semblant l’emporter largement sur la première. Ainsi, certaines sections des jeunesses communistes sont-elles entièrement dominées par une idéologie qui met en avant le culte de Staline (en tant que leader national qui a su hisser le pays au rang de grande puissance) et un nationalisme poussé, ainsi qu’un rejet radical de tout ce qui peut venir de l’Occident.

La rhétorique rouge-brun s’épanouit avec le plus de vigueur au niveau des partis et formations extrémistes, tels le NBP ou l’Union de la Jeunesse Eurasienne (Soûz Evrazijskoj Molodeži, ESM). Ces deux organisations sont directement liées à Douguine et Limonov : les deux hommes ont durant plusieurs années co-présidé le NBP qu’ils ont créé ensemble en 1993. Quels que soient les désaccords actuels entre eux, le national-bolchevisme est une doctrine qui résume assez bien les arguments des patriotes rouge-brun : éléments de justice sociale et de grandeur nationale, et une vision de la Russie comme la puissance impériale qui devrait unifier les peuples eurasiens en une entité forte, égalitaire et opposée à la civilisation occidentale.

Limonov est aujourd'hui le seul chef du NBP, Douguine l’ayant quitté en 1998. La plateforme idéologique du parti est depuis devenue bien moins structurée – Limonov essayant actuellement de s’allier à l’opposition « démocratique » pour contrer le pouvoir de Poutine – mais le NBP est toujours un petit, mais très visible parti de jeunes dont la base militante reste fortement opposée à la pénétration des valeurs occidentales dans le pays.

Douguine a depuis créé le Mouvement Eurasiste International (Meždunarodnoe Evrazijskoe Dviženie, MED), directement dérivé de ses théories néo-eurasistes. Le mouvement est petit et sans réelle influence (on verra plus loin que l’influence essentielle de Douguine passe par un autre canal) ; cependant, sa section de jeunesse, l’ESM, est très active dans son opposition à ce qu’elle perçoit comme les formations « oranges » (par référence à la révolution orange en Ukraine), c’est-à-dire les mouvements de jeunesse pro-démocratiques. L’ESM voit dans ces mouvements la main de l’Occident qui chercherait, par leur intermédiaire, à imposer à la Russie un régime politique et économique ainsi que des leaders conformes à ses propres intérêts. Contre cette jeunesse anti-patriote, l’ESM se propose de devenir une nouvelle « opričnina » qui, tel ce corps créé par Ivan le Terrible, va traquer et anéantir les ennemis de l’Etat russe.[35]

A part ces formations créées par les auteurs eux-mêmes, il y a en Russie un grand nombre de petits partis et mouvements d'opposition d'orientation communiste ou nationaliste, qui utilisent la rhétorique des patriotes rouges et, surtout, rouge-brun. A l’exemple déjà cité des jeunesses communistes du KPRF – L’Union de la Jeunesse Communiste (Soûz Kommunističeskoj Molodeži, SKM) – on peut ainsi ajouter un mouvement de jeunes comme l’Avant-garde de la Jeunesse Rouge (Avangard Krasnoj Molodeži, AKM). Les deux organisations font d’ailleurs de temps en temps des actions communes avec le NBP, malgré la vive critique de quelques militants qui contestent cette dérive vers le nationalisme et l’abandon des positions traditionnelles de gauche.

Enfin on peut citer les différents avatars du parti La Patrie (Rodina) (et de ses pendants chez les jeunes, La Patrie des Jeunes (Molodežnaâ Rodina), Hourrah (Ura), etc.), dont l’idéologie était à l’origine semblable à celle du KPRF – l’un de ses fondateurs, Sergei Glaziev, a ainsi co-signé avec Kara-Mourza un ouvrage qui dénonce les ravages du libéralisme en Russie[36] – avec une prédominance encore plus forte des éléments rouge-brun. Ces derniers tendent cependant à s’atténuer avec les récentes transformations du parti (devenu Russie Juste, Spravedlivaâ Rossiâ), de plus en plus proche du pouvoir.

La réappropriation : une réconciliation des notions occidentales avec le patriotisme

Le deuxième point de la critique des notions de démocratie et/ou de libéralisme consiste à passer de leur rejet à leur réappropriation. Cette dernière passe par leur réinvention qui permet de les considérer comme un élément non plus étranger, mais au contraire authentiquement national.

Cette réappropriation concerne en premier lieu la notion de démocratie. On a vu plus haut que l’échec des réformes des années 1990 avait discrédité le mot « démocratie » et surtout le mot « démocrate » que la population considérait avec beaucoup de méfiance. Cependant il n’est pas sûr que le contenu du concept ait jamais été réellement refusé. Il est difficile de tirer des conclusions à partir des sondages d’opinion, tant la notion de « démocratie » semble diversement comprise par les sondés, mais ils montrent néanmoins que si certaines institutions habituellement associées à ce régime politique – comme le multipartisme – sont considérées comme peu importantes, voire nuisibles par la population, d’autres – comme l’élection des dirigeants au suffrage universel – sont au contraire jugées très positivement.

De même, les auteurs qui développent une critique de la notion de démocratie s’en tiennent rarement au pur rejet. Le plus souvent, une fois mise en évidence l’incompatibilité de la démocratie occidentale avec l’identité russe, ils tentent d’en dégager une autre version. Un exemple d’argumentation étayée en la matière se trouve dans l’œuvre de Douguine : il propose, en effet, de remplacer le concept de démocratie par celui de demotiâ, trouvant ainsi nécessaire non seulement de réinterpréter la démocratie, mais également de la renommer. Ce concept se retrouve déjà dans les écrits des eurasistes classiques.[37] Par opposition à la démocratie libérale dans laquelle les eurasistes voient le triomphe de l’idéologie individualiste, il désigne une démocratie organique qui suppose une participation du peuple – entité supra-individuelle – à son destin. Le site Internet du mouvement de Douguine propose un bref résumé de la spécificité de la notion de demotiâ :

La démocratie occidentale s’est constituée dans les conditions spécifiques de l’Antiquité athénienne et, bien des siècles plus tard, de l’Angleterre insulaire. Cette démocratie reflète les caractéristiques spécifiques du ‘lieu-développement’ européen. Cette ‘démocratie’ ne représente pas un canon universel. D’autres ‘lieu-développements’ proposent d’autres formes de participation des peuples à la gestion politique ; elles varient selon des critères aussi bien formels qu’essentiels. Pour la Russie-Eurasie, copier les normes de la ‘démocratie libérale’ européenne est dénué de sens, impossible et nuisible. La participation du peuple russe à la gestion politique doit être désignée par un autre terme – « démotiâ’ » du grec « demos » – « peuple ». Cette participation ne rejette pas la hiérarchie, ne doit pas être formalisée dans des structures de partis parlementaires. […] La ‘demotiâ’ se développe sur les bases de l’autogestion communautaire, du mir paysan. Un exemple de « demotiâ » est fourni par l’électivité du supérieur de l’Eglise par les paroissiens en Russie Moscovite. Si la ‘démocratie’ est formellement opposée à l’autocratie, la ‘demotiâ eurasiste’ peut très bien se combiner à un « autoritarisme eurasiste ».[38]

Il y a ici toutes les idées essentielles propres à l’argument de réinterprétation : critique de la portée universelle de la démocratie occidentale, caractère nuisible de son implantation en Russie, rejet de certaines institutions caractéristiques de ce régime, nécessité d’un nouveau concept pour désigner la participation du peuple au pouvoir, référence au passé prouvant l’ancrage de cette démocratie réinventée dans l’histoire russe. Le point essentiel semble bien être le refus de l’universalité revendiquée par la culture politique occidentale. Marlène Laruelle remarque à ce propos que si « le postulat fondateur de la pensée eurasiste est le rejet de l’Occident » capitaliste, hédoniste et consommateur, « l’Europe est également et surtout récusée sur un plan que l’on pourrait définir comme méthodologique : l’universalité ne peut être que le résultat de l’hégémonie d’une culture particulière, celle de l’Europe, qui colonise de l’intérieur les autres civilisations en leur donnant un barème d’autoconscience faussé car européocentré. Ce dernier présuppose une unilatéralité de développement, une hiérarchie de culture entre pays donneurs et pays receveurs »[39], hiérarchie que le néo-eurasisme entend renverser en ancrant le concept de démocratie dans la spécificité nationale.

Cette volonté d’inventer une démocratie spéciale, russe, différente de la démocratie occidentale et adaptée à l’esprit national se retrouve également chez Kara-Mourza[40]. Si l’auteur rejette la démocratie occidentale parce qu’il considère que la compétition politique qu’elle renferme est contraire à la culture russe, il conteste à ce régime le droit exclusif à l’appellation « démocratie ». Ainsi pour lui, la démocratie devrait-elle être basée sur une procédure qui saurait faire parvenir la communauté à un véritable consensus sur toutes les questions importantes, à la manière du conseil familial ou des communautés paysannes traditionnelles basées sur l’esprit de sobornost’. Dans cette perspective, Kara-Mourza estime donc que les Soviets révolutionnaires, mais également les procédures soviétiques étaient plus proches de la véritable démocratie que les institutions occidentales contemporaines. Il oppose ainsi les débats parlementaires en Occident où les partis adverses ne chercheraient qu’à confronter des points de vue irréconciliables aux discussions dans les Soviets qui viseraient un consensus acceptable pour tous. De même, le vote à main levée lui semble une manière plus démocratique de prendre des décisions que le vote secret et anonyme : le « oui » unanime, même s’il est influencé par la pression du groupe, lui apparaît comme un symbole de réconciliation de la communauté et une façon de célébrer l’entente collective.

On peut faire l’hypothèse que cette volonté de définir la démocratie d'une manière spéciale, nationale, ce désir d'inventer une notion politique propre, et non d'accepter un concept qui est présenté comme universel, peut être lié au désir plus général de voir la Russie dans un rôle de leader et non de suiveur. Car idée d'une Russie forte, indépendante et influente est par ailleurs toujours présente dans la rhétorique des auteurs évoqués. Cette idée est centrale dans le néo-eurasisme, avec le thème impérial et l’importance accordée à la géopolitique : face à l’espace Russie-Eurasie représentant un pôle civilisationnel distinct et autonome, l’Occident, avec sa volonté d’hégémonie, apparaît comme un ennemi stratégique.[41] Cette vision de l’Occident en tant que « rival », voire vainqueur dans le jeu des relations internationales n’est sans doute pas sans rapport avec la volonté des auteurs patriotes de rejeter les notions « empruntées » au profit de concepts nationaux, autonomes. Car en matière d’idées comme en matière de diplomatie, la Russie devrait pour eux recouvrer sa pleine souveraineté. Dans cette perspective, être un « pays receveur » de concepts (pour reprendre l’expression de Laruelle) devient intolérable pour la fierté nationale.

Les notions occidentales peuvent donc être critiquées parce qu'elles ne conviennent pas à la société russe, mais elles sont aussi rejetées parce qu'elles sont perçues comme imposées, subies et non choisies. Et même pour les auteurs très critiques à leur égard, elles deviennent immédiatement plus acceptables lorsqu’elles sont dépouillées de leur prétention à l'universalité et habillées de couleurs nationales.

Le soubassement géopolitique de la critique des notions occidentales est encore plus évident pour le dernier groupe d’auteurs, les patriotes étatistes. Il s’agit de journalistes et publicistes ayant une position fortement patriotique et méfiants vis-à-vis de l’Occident, tels qu’Alexeï Pouchkov, présentateur de l’émission politique Post-Scriptum sur Canal 3 ou Mikhaïl Leontiev, journaliste du Canal 1 et rédacteur en chef de la revue Profil. Leur discours est beaucoup moins théorique et moins complexe que celui des auteurs des autres groupes. Leur attachement à l’Etat se fonde sur un syllogisme : soucieux de la Patrie, ils voient dans l’Etat la forme faite pour la protéger ; la stabilité de l’Etat est donc pour eux primordiale. Leur méfiance vis-à-vis de l’Occident est motivée par un raisonnement en termes de rapports de forces : les patriotes étatistes voient dans l’Occident une puissance rivale qui cherche à affaiblir la Russie ; cette dernière doit donc résister. La notion d’indépendance, de souveraineté est centrale dans leur discours.

Le plus souvent, les patriotes d’Etat ne théorisent pas le rejet des notions de démocratie et de libéralisme. Ils en préconisent plutôt une autre définition qui, sans en changer radicalement le contenu, leur permet d’acquérir le statut d’éléments adoptés librement et indépendamment de ce qu’ils perçoivent comme la volonté d’hégémonie de l’Occident. En ce qui concerne la démocratie, ils soutiennent l’idée que la Russie devrait être la seule à déterminer le sens de cette notion sur son territoire (d’où l’expression de la « démocratie souveraine », officiellement reprise par le pouvoir). Les fréquentes critiques occidentales envers le manque de démocratie en Russie leur semblent donc sans objet. Pour eux, le but premier est l’indépendance, tant dans le domaine géopolitique que dans celui des institutions.

En ce qui concerne le libéralisme, on peut rapprocher leur discours des théories d’Andreï Parchev. Cet auteur, proche de Kojinov et de Kara-Mourza, est en effet, l’un des seuls à développer une argumentation construite qui applique à la notion de libéralisme une « réinvention » analogue à celle que d’autres auteurs font subir à la démocratie. Parchev considère que la Russie, du fait de sa spécificité géographique (un climat trop froid) qui augmente le coût de la production, sera forcément perdante dans la concurrence économique avec les autres pays du monde. Un libéralisme économique qui suppose l’ouverture totale des frontières ne peut donc que saper sa viabilité. La solution est d’adapter le libéralisme à la particularité nationale : la Russie peut l’instaurer à l’intérieur de ses frontières, à condition d’adopter en même temps un isolationnisme rigoureux ainsi qu’un contrôle étatique de certains secteurs stratégiques et du mouvement des capitaux.[42] Une semblable combinaison du libéralisme et du protectionnisme se retrouve par exemple dans le discours de Leontiev.[43]

Les patriotes étatistes sont plus directement liés au pouvoir que toutes les autres catégories d’auteurs mentionnées. Ils soutiennent en effet largement le Président Vladimir Poutine et son gouvernement, même s’ils se permettent de les critiquer. Leur discours bénéficie d’une large diffusion, puisqu’il s’agit de l’élite journalistique bien représentée à la télévision et dans la presse écrite. On peut remarquer que leur position sur la démocratie semble partagée par V. Poutine lui-même ; à plusieurs reprises – comme par exemple en automne 2004, lors de la suppression des élections des gouverneurs de provinces – le Président avait, en effet, affirmé que la démocratie russe n’avait pas à reproduire mécaniquement les institutions occidentales, et que la Russie seule devait déterminer quelle sorte de démocratie lui convenait.[44]

L’idée de réappropriation des notions occidentales peut donc prendre des formes différentes, mais le fait que le pouvoir lui-même adopte une position qui s’inscrit dans ce discours en montre l’importance dans le paysage politique actuel. On peut d’ailleurs noter la place spéciale qu’occupe Douguine parmi les promoteurs de cette idée. Auteur d’une œuvre très théorique et souvent difficile d’accès, professant des opinions volontiers radicales, il se trouve néanmoins proche de l’administration présidentielle, et de plus en plus lié avec les patriotes étatistes (comme Leontiev). Et même si les déclarations de V. Poutine sont bien loin de la rhétorique anti-occidentale de Douguine, il est probable que son influence ne soit pas nulle dans la manière dont l’idée d’une démocratie « russe » s’impose en tant que discours dominant.[45]

La portée de ces idées peut enfin être appréciée par le fait que l’invention de nouveaux concepts ou combinaisons de concepts liant les notions occidentales à la spécificité russe va jusqu’à gagner le camp dit « démocratique ». Dans ce cas, la réinvention concerne d’ailleurs plutôt la notion de libéralisme. On en a un exemple avec « l’Empire libéral » de Tchoubaïs[46] ou avec le programme du petit mouvement Nouvelle Droite (Novye Pravye) qui propose d’allier libéralisme économique et patriotisme. Ce syncrétisme est d’autant plus frappant que durant longtemps en Russie le libéralisme et le nationalisme étaient vus comme totalement opposés. Le consensus autour d’un patriotisme qui exige de fonder les concepts utilisés dans le contexte national semble donc être une tendance lourde.[47]

La place de la Russie par rapport à l’Occident n’a pas fini de provoquer des débats, et celle des notions de démocratie et de libéralisme dans le discours intellectuel et politique ne semble toujours pas définitivement arrêtée. Dans les années 1990, la rhétorique de rejet radical s’est développée en réaction aux réformes trop brutales et à une présentation idéalisée des institutions politiques et économiques de l’Occident de la part des promoteurs de ces réformes. Les auteurs de cette critique extrême présentaient leur rejet des notions occidentales comme une marque de patriotisme et accusaient, par opposition, leurs adversaires d’en manquer. Loin de s’atténuer, l’importance de l’argument patriotique est au contraire allée croissant dans le discours politique russe.[48] Mais au lieu de rester un facteur de rejet des notions politiques occidentales, le patriotisme a p. être réconcilié avec ces dernières au moyen de leur « russification ». Moins utilisée pour le libéralisme, cette rhétorique s’est révélée très efficace pour la démocratie, l’idée d’une démocratie nationale spécifique faisant aujourd’hui partie du discours politique dominant.

Ni rejet de l’Occident ni son imitation mécanique, cette tendance s’inscrit dans une volonté de construire « un Occident non occidental »[49]. Mais si, comme le soutient l’auteur de cette expression, cette voie de développement a des chances de l’emporter en Russie dans le proche avenir, rien n’est encore joué. Le délai est trop court pour pouvoir parler d’une orientation définitive ; tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’elle semble plus probable qu’un retour vers des idéologies de spécificité radicale ou vers celles d’un universalisme absolu.

 

Notes

[1] Cf. par exemple Job, S., « Globalising Russia ? : the neoliberal/nationalist two-step and the russification of the West », Third World Quarterly, vol.22, n°6, déc. 2001, p.931-949. L’auteur remarque notamment comment cette dichotomie du champ politique empêche l’émergence de courants politiques alternatifs, en particulier d’une gauche internationaliste. Quant à Bilenkin, il distingue dans le champ politique des années 1990 des occidentalistes et des eurasistes (Bilenkin, V., « The ideology of Russia's rulers in 1995 : Westernizers and Eurasians », Monthly Review, vol.47, n°5, oct. 1995, p. 24-36).

[2] Kagarličkij, B. Û., « Lovuški "zapadničestva" i tupiki "počvenničestva". Političeskaâ kultura postsovetskoj psevdodemokratii » [Les pièges de l’‘occidentalisme’ et les impasses du ‘slavophilisme’. La culture politique de la pseudo démocratie postsoviétique], Svobodnaâ mysl', n° 7, n° 1485, 1999, p 28-41.

[3] Sur la question des « transitions démocratiques », voir « Les transitions démocratiques : regards sur l’état de la ‘transitologie’ », RFSP, 2000-08/10, vol. 50, n° 4-5, p. 579-764.

[4] Cf. Dobry, Michel, « Paths, choices, outcomes, and uncertainty » in Dobry, Michel (Ed.), Democratic and Capitalist Transitions in Eastern Europe. Lessons for the Social Sciences, Dordrecht, Boston, London, Kluwer Academic Publishers, 2000, p. 19-47.

[5] Ûrij Levada, directeur de l’institut de sondages sociologiques « Centre Analytique Levada », dans un entretien accordé à l’auteur en mars 2005.

[6] Cette situation apparaît à certains spécialistes de la Russie comme caractéristique de l’histoire russe en général. Marc Raeff affirme par exemple à propos de la Russie : « more than anywhere in Europe the elites and the common people seem to have followed different paths » ; ainsi, la Russie d’avant la révolution de 1917 est selon lui marquée par un clivage fort entre la population, demeurée attachée aux traditions de la culture Moscovite et l’intelligentsia largement convertie à la culture occidentale (Raeff, M., « The people, the intelligentsia and Russian political culture », Political Studies, 41, 1993, p. 93-106).

[7] On peut citer Jacques Sapir qui montre combien les excès des « démocrates »/« libéraux » au pouvoir ont exaspéré la population (Sapir, 1996).

[8] Ûrij Levada, entretien cité.

[9] Kullberg, J., Zimmerman, W., « Liberal elites, socialist masses, and problems of Russian democracy », World Politics, vol 51: n°3, avr. 1999, p. 323-358. Se basant sur des études d’opinion de large ampleur menées dans les années 1990, les auteurs remarquent ainsi : « Whereas elites overwhelmingly opt for liberal democracy, the Russian mass public is thoroughly divided. (…) [A] substantial segment of the Russian electorate has not accepted the westernizing liberalism of those who led the democratic revolution and has instead opted for socialism or authoritarian nationalism and the corresponding “red” or “brown” political parties ».

[10] Grigorij Kertman, dans un entretien accordé à l’auteur en mars 2005.

[11] Vâčeslav Nikonov développe une argumentation semblable pour affirmer qu’« une pure démocratie ne peut devenir une idée nationale en Russie : non seulement la démocratie n’y est pas organique, mais elle est discréditée par une décennie de réformes bien douloureuses » (Nikonov, V., « La tentation d'un Occident non occidental », dans « Où va la Russie de Poutine? », Débat, Paris, n°130, 05/08/2004, p. 45-103, p. 92).

[12] La portée universelle des notions de démocratie et de l’économie de marché a également été critiquée d’un point de vue plus académique dans la controverse sur la notion de « transitions démocratiques » et sur les analyses de la « transitologie ». Ainsi, l’approche linéaire de la transitologie classique qui suppose que les régimes autoritaires sont nécessairement remplacés par une démocratie de type occidental a été attaquée, notamment en Russie, car elle oblitère le fait qu’un pays peut prendre une direction originale qui ne rentre pas dans les cadres fixés par les concepts de « démocratie » ou de « capitalisme » (Cf. par exemple Kapustin, B., « Konec "tranzitologii" ? O teoretičeskom osmyslenii pervogo postkommunističeskogo desâtiletiâ » [La fin de la ‘transitologie’ ? Sur la signification théorique de la première décennie postcommuniste], Polis (Moskva), n° 4, 2001, p. 6-26). Cependant, la critique dont il s’agit là est d’un ordre très différent : elle remet en question la pertinence des concepts occidentaux pour qualifier l’état réel de la société russe contemporaine, tandis que celle dont traite le présent article affirme la nocivité ou du moins l’inadaptation de ces concepts à la culture et à l’identité russes.

[13] On peut noter que cette réinvention concerne presque toujours la seule notion de démocratie, le libéralisme étant plus souvent radicalement rejeté.

[14] Natal’a Ivanova montre à quel point les références au passé – qu’il soit tsariste ou soviétique – sont importantes dans la recherche contemporaine d’une nouvelle « identité russe » (Ivanova, N., « Russkij proekt vmesto russkoj idei », Znamâ (Moskva), n°3, mars 1999, p. 153-175).

[15] Cf. les travaux de Sergej Kara-Murza, en particulier Kara-Murza, S., Sovetskaâ civilizaciâ [La civilisation soviétique], t. 1 & 2, Moskva, Algoritm, 2001, ainsi que Kazincev, A., Na čto my promenâli SSSR [Contre quoi nous avons échangé l’URSS], Moskva, Âuza-Èksmo, 2004 et Kožinov, V., Rossiâ vek XX, 1901-1939 [La Russie, XX siècle, 1901-1939], Moskva, Algoritm – Krymskij Most, 1999, Kožinov, V., Rossiâ vek XX, 1939-1964 [La Russie, XX siècle, 1939-1964], Moskva, Algoritm, 2001, Kožinov étant l’auteur auquel Kara-Murza doit une partie de ses analyses.

[16] Dans plusieurs de ses travaux (en particulier Zinov’ev, A., Gibel’ russkogo kommunizma [La chute du communisme russe], Moskva, Centrpoligraf, 2001), Zinov’ev explique ainsi que le régime qui a existé en URSS et qu’il appelle « communisme russe » n’avait rien à voir avec le communisme théorique du marxisme.

[17] Par exemple Kara-Murza, S., Istoriâ gosudarstva i prava Rossii [L’histoire de l’Etat et du droit russes], Moskva, Bylina, 1998.

[18] Cf. par exemple Dugin, A., Russkaâ veŝ’ [La chose russe], Moskva, Arktogeâ, 2001.

[19] Cf. « Metafizika opričniny », le texte d’intervention de Dugin au Congrès constituant de l’Union de la Jeunesse Eurasienne, le 26 février 2005, au palais d’Ivan le Terrible à Aleksandrovskaâ Sloboda. Texte consultable sur le site Internet Arktogeâ, à l’adresse : http://www.arcto.ru/modules.php?name=News&file=article&sid=1252.

[20] Lors de la Bataille de Glace, le 5 avril 1242, les troupes d’Aleksandr Nevskij triomphent de l’invasion des chevaliers teutoniques.

[21] Cf. par exemple l’article récent de Prohanov, « Simfoniâ ‘Pâtoj Imperii’ » [La symphonie du ‘Cinquième Empire’], publié le 26 juin 2006 sur le site Internet www.apn.ru. L’Empire « rouge » y figure comme l’héritier des empires de Kiev, de la Moscovie, et des Romanov.

[22] Décédé en 2003, Panarin était considéré comme le plus académique des néo-eurasistes. Pour sa critique de la démocratie et du libéralisme occidentaux, cf. par exemple « ‘Liberal’noe’ razrušenie obŝestva » [« La destruction libérale de la société »] dans Panarin, A., Strategičeskaâ nestabil’nost’ v XXI veke [L’instabilité stratégique au XXIe siècle], Moskva, Algoritm, 2003.

[23] Limonov est une figure à part en tant que son idéologie hétéroclite offre, à côté de la glorification de l’Empire eurasien, des éléments très anti-traditionnels tels que l’exaltation de la jeunesse, le refus de la famille, etc. (Limonov, E., Drugaâ Rossiâ. Očertaniâ buduŝego [Une autre Russie. Les contours du futur], Moskva, Ultra.Kul’tura, 2003). Cependant, le Parti National-Bolchevique qu’il dirige a hérité d’une partie des thèses de Dugin qui en était le co-fondateur. Limonov, que son évolution personnelle amène de plus en plus vers des positions essentiellement libertaires, est donc lié à cette tendance presque malgré lui.

[24] Pour l’étude détaillée du phénomène néo-eurasiste, cf. Laruelle, M., « Le néo-eurasisme russe : l'empire après l'empire ? », Cahiers du monde russe, vol. 42, n° 1, 01/03/2001, p. 71-94 ; Laruelle, M., La quête d’une identité impériale. Le néo-eurasisme dans la Russie contemporaine, Paris, Petra Editions, 2007 ; Shlapentokh, D., « Eurasianism : past and present », Communist and Post-Communist Studies, vol. 30, n° 2, juin 1997, p. 129-151 ; Shlapentokh, D., Russia between East and West : scholarly debates on Eurasianism, Leiden, Boston: Brill, 2007 ; Kolombet, L., Le néo-eurasisme, la renaissance d'une idée russe : 1991-1996, Mém. DEA : Etud. comp. de la transition démocratique dans l'Europe post-communiste, Paris, IEP, 1996.

[25] Le néo-eurasisme de Dugin, en particulier, se veut proche des théoriciens de la révolution conservatrice allemande et de la nouvelle droite européenne, Dugin empruntant de nombreuses analyses à Arthur Moeller Van der Brück et Carl Schmitt ou encore René Guénon et Julius Evola et se déclarant proche d’intellectuels issus du courant de la Nouvelle Droite européenne tels que Alain de Benoist ou Jean-François Thiriart.

[26] Cf. par exemple « Krestovyj pohod protiv nas » [« La croisade contre nous »] dans Dugin, A., Filosofiâ voiny [Philosophie de la guerre], Moskva, Âuza, 2004.

[27] Anatolij Frenkin souligne la radicalité de cette doctrine et son extrémisme politique qui se dissimulent derrière des considérations savantes (Frenkin, A., « Pravoe političeskoe soznanie » [« La conscience politique de droite »], Voprosy filosofii, 2000, n°5, p. 3-14). Pour l’exposé de la pensée politique de Dugin, cf. par exemple Dugin, A., Konservativnaâ revoluciâ [La révolution conservatrice], Moskva, Arktogeja, 1994.

[28] Nazarov, M., Tajna Rossii. Istoriosofiâ XX veka [Le secret de la Russie. Istoriosophie du XXe siècle], Moskva, Russkaâ Ideâ, 1999.

[29] Les essais « Rusofobiâ » [« Russophobie »] et « Rusofobiâ : desât’ let spustâ » [« Russophobie : dix ans plus tard »] sont republiés dans Šafarevič, I., Russkij vopros [La question russe], Moskva, Algoritm, 2005.

[30] Šafarevič, I., Dve dorogi – k odnomu obryvu [Deux chemins vers un même abîme], Moskva, Airis-Press, 2003.

[31] Cf. par exemple Solženicyn, A., Rossiâ v obvale [La Russie sous l’avalanche], Moskva, Russkij put’, 1998.

[32] Par exemple Zinov’ev, A., Ideologiâ partii buduŝego [L’idéologie du parti du futur], Moskva, Algoritm, 2003.

[33] Dès sa création, le KPRF a pris pour devise « narodnost’, gosudarstvennost’, patriotizm » [« peuple, Etat, patriotisme »], ce qui est très loin des doctrines de Marx et Lénine, comme le remarque Aleksej Kiva (Kiva, A., « Intelligenciâ v čas ispytanij » [« L’intelligentsia à l’heure des épreuves »], Novyj mir, (8), août 1993 : p. 160-177). On peut également citer les ouvrages du chef du KPRF, Zûganov, qui exaltent les liens de l’idée communiste avec la tradition russe et la foi orthodoxe (Zûganov, G., Svâtaâ Rus’ i Koŝeevo Carstvo [La Sainte Russie et le Royaume de Koschei], Moskva, IPK “Rezerv”, 2003.

[34] Le néo-eurasiste Aleksandr Dugin a exercé une influence certaine sur Zûganov au moment de la formation du KPRF.

[35] Lors du Congrès constituant de l’organisation, en février 2005, le thème de la « nouvelle opričnina » a été développé par Dugin devant une assemblée approbatrice. Quant aux jeunes militants, leurs interventions portaient essentiellement sur l’attachement à la patrie, la volonté de construire un nouvel Empire et le danger de la « peste orange » qui tente de saper le pays avec son poison occidental.

[36] Kara-Murza, S., Glaz’ev, S., Batčikov, S., Belaâ kniga. Èkonomičeskie reformy v Rossii 1991-2001 gg. [Le livre blanc. Les réformes économiques en Russie. 1991-2001], Moskva, Èksmo, 2003.

[37] Cf. par exemple Alekseev, N., « Obâzannost’ i pravo » [« Le devoir et le droit »], Evrazijskaâ hronika, Paris, 1928, n° 10 ; Karsavin, L., « Ideokratiâ kak sistema universalizma » [« L’idéocratie comme système d’universalisme »], Evraziâ, Paris, 1929, n° 12 ; Puškarev, S., « O parlamentarizme » [« Sur le parlementarisme »], Evrazijskaâ hronika, Paris, 1927, n° 8.

[38] http://eurasia.com.ru/vehi1.html.

[39] Laruelle, M., « Le néo-eurasisme russe : l'empire après l'empire ? », Cahiers du monde russe, vol. 42, n° 1, 01/03/2001, p. 71-94, p. 74.

[40] Cf. par exemple « Zapadnoe i sovetskoe obŝestvo kak poroždenie dvuh raznyh tipov civilizacii » [« La société occidentale et soviétique comme produits de deux types différents de civilisation »] dans Kara-Murza, S., Istoriâ gosudarstva i prava Rossii [L’histoire de l’Etat et du droit russes], Moskva, Bylina, 1998.

[41] Cf. par exemple Thom, F., « Eurasisme et néo-eurasisme », Commentaire (Julliard), 18 (66), été 94, p. 303-309.

[42] Paršev, A., Počemu Rossiâ ne Amerika [Pourquoi la Russie n’est pas l’Amérique], Moskva, Krymskij Most – 9D, 2005.

[43] Cf. Leont’ev, M., « Proŝanie s liberalizmom » [“Adieu au libéralisme »], Glavnaia Tema, n°1, nov. 2004, p. 6-11. Dans cet article, Leont’ev remarque entre autre que « le libéralisme, c’est la politique du fort à l’égard du faible qui prive le faible de toute chance de devenir fort », et affirme qu’adopter le libéralisme dans sa définition occidentale équivaut pour la Russie à capituler devant l’Occident, voire cesser d’exister.

[44] On peut remarquer que même les critiques les plus radicaux de la démocratie autoritaire de Poutine admettent que la majorité de la population semble soutenir le régime (par exemple Privalov, K., « La recette russe : la démocratie autoritaire », dans « Où va la Russie de Poutine? », Débat, Paris, n° 130, 05/08/2004, p. 45-103).

[45] Pour l’histoire de l’ascension de Dugin, cf. Umland, A., « Formirovanie fašistskogo "neoevrazijskogo" intellektual'nogo dviženiâ v Rossii : put' Aleksandra Dugina ot marginal'nogo ekstremista do vdohnovitelâ postsovetskoj akademičeskoj i političeskoj elity (1989-2001 gg.) » [« La formation du mouvement intellectuel fasciste « néo-eurasiste » en Russie : la trajectoire d’Alexandr Dugin, de l’extrémiste marginal à l’inspirateur de l’élite académique et politique post-soviétique (1989-2001) »], dans « Poisk centra : russkij nacionalizm » [« La recherche du centre : le nationalisme russe »], Ab imperio, n° 3, 2003, p. 9-484). L’auteur estime notamment que la popularité de Dugin et sa notoriété dans les champs académique (par le biais de la reconnaissance du chercheur eurasiste Panarin) et médiatique témoignent d’un « affaiblissement des positions du libéralisme, du rationalisme philosophique et de l’universalisme éthique en Russie contemporaine » (p. 302).

[46] Sur la naissance et les implications de ce concept, cf. Gerasimov, I., « "Kutež treh knâzej v zelenom dvorike", ili roždenie "liberal'noj imperii" » [« ‘L’orgie de trois princes dans une courette verte’, ou la naissance de ‘l’empire libéral’ »], in « Poisk centra : russkij nacionalizm » [« La recherche du centre : le nationalisme russe »], Ab imperio, n° 3, 2003, p. 9-484.

[47] Nikonov considère également que la démocratie ne sera acceptée en Russie qu’à condition de s’allier, d’une manière ou d’une autre, au patriotisme : si, d’après lui, « une pure démocratie ne peut devenir une idée nationale en Russie », elle « peut néanmoins participer à l’idée nationale, à côté du patriotisme » (Nikonov, V., « La tentation d'un Occident non occidental », dans « Où va la Russie de Poutine? », Débat, Paris, n°130, 05/08/2004, p. 45-103, p. 92).

[48] On peut se demander, avec Kagarličkij, s’il s’agit de « vrais patriotes », mais l’importance du patriotisme dans le discours est indéniable.

[49] Nikonov, V., « La tentation d'un Occident non occidental », dans « Où va la Russie de Poutine? », Débat, Paris, n°130, 05/08/2004, p. 45-103.

 

Pour citer cet article

Pour citer cet article : Véra Nikolski, « La critique des notions politiques occidentales en Russie contemporaine : entre rejet et réappropriation », in Sylvie Martin (dir.) Circulation des concepts entre Occident et Russie, [en ligne], Lyon, ENS LSH, mis en ligne le 10 décembre 2008. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article149