Vous êtes ici : Accueil > Publications et travaux > Ouvrages collectifs > Circulation des concepts entre Occident et Russie > Les transferts des énoncés du discours de la mode occidentale dans la presse (...)

Les transferts des énoncés du discours de la mode occidentale dans la presse de mode soviétique dans les années 1950-1960

Larissa Zakharova

EHESS, CERCEC

Index matières

Mots-clés : magazine de mode, URSS, Occident, transfert, discours.

Plan de l'article

Texte intégral

La période des années 1950-1960 est charnière dans l’histoire du dialogue entre l’URSS et l’Occident. Le climat du « Dégel » contribue à une certaine ouverture de la société soviétique vers l’extérieur et à la reprise de contacts avec les pays européens à plusieurs niveaux et pour des raisons diverses. La reconnaissance officielle des insuffisances du système socialiste auxquelles on décide de remédier à l’aide de l’expérience occidentale, est un facteur important pour ce tournant vers l’Ouest. Le paradigme de la coexistence pacifique qui ne réfute tout de même pas l’idée d’une compétition de deux systèmes joue également un rôle décisif pour ce changement de la nature des rapports entre l’URSS et les pays capitalistes. Cette compétition couvre plusieurs domaines qui correspondent aux objectifs définis comme primordiaux dans la politique intérieure. Un de ces objectifs consiste à améliorer les conditions matérielles des Soviétiques, y compris leur approvisionnement en vêtements et en chaussures.

La légitimation de l’emprunt de l’expérience étrangère dans ce domaine se passe initialement au niveau industriel : il est nécessaire de moderniser l’équipement et la technologie de l’industrie textile et de confection. Mais la dimension culturelle s’y mêle par la suite, à cause du rôle des créateurs de mode soviétiques dont la culture professionnelle implique des préoccupations artistiques et stylistiques. Ces gens sont également engagés dans la compétition entre les deux blocs. Une de leurs tâches consiste à définir le concept de la mode socialiste, opposée et supérieure à la mode bourgeoise. C’est un exercice scolastique pour eux, une sorte de tour de passe-passe discursif, car ils construisent ce concept de la mode socialiste à partir des énoncés de la mode occidentale, tout en critiquant leur source d’idées. Ils rendent ce concept public sur les pages des magazines de mode. Un concept de la mode peut être défini comme tout un système de normes et de règles qui se trouve, grâce à sa rhétorique, en contact direct avec la société. Les fonctions sociales de la mode sont à la fois réflectives et régulatrices : les normes proposées s’appuient sur les dispositifs sociaux en vigueur et imposent à la fois l’idéal à laquelle les représentations sociales doivent aspirer et se conformer.

Ainsi, je vais analyser et déchiffrer le processus de transfert des énoncés de mode occidentale dans le discours de mode soviétique qui ne se réduit pas à une simple imitation et reproduction, mais nécessite une certaine contextualisation[1] qui doit libérer ce discours de la connotation négative de la mode bourgeoise, déterminée par la vision bipolaire du monde. En analysant la structure verbale de la mode soviétique, il est possible d’évaluer le degré et la qualité d’emprunt de la mode occidentale et notamment française. Cette étude est construite autours de trois axes. Premièrement, je définirai l’échelle de références qui apparaît lors des transferts des énoncés du discours de la mode française dans la presse de mode soviétique. Elle reflète la distinction entre les différents magazines calquée sur celle de la presse occidentale. Deuxièmement, j’étudierai la transformation du principe de fonctionnalité de la mode française dans les textes des magazines soviétiques. Troisièmement, je procéderai par la comparaison de la rhétorique de revues françaises et soviétiques. La forme stylistique qui englobe les différents types de discours a un rapport direct avec les fonctions des textes : leurs auteurs peuvent envisager une mise en réel des conseils qu’ils donnent aux lecteurs ou considérer ces prescriptions comme irréalisables et purement symboliques. Cette problématique aidera à comprendre dans quelle mesure les discours instituent les pratiques vestimentaires en France et en URSS.

Echelle de références

La légitimité de la comparaison entre les revues de mode soviétiques et françaises pourrait être remise en question en raison d’une différence de motivations économiques entre les discours de la mode en URSS et en Occident. En effet, dans les magazines occidentaux, la publication des pièces de collection d’une certaine marque avec leur descriptif a bien des buts publicitaires et commerciaux. Mais bien que cela ne soit pas la tâche essentielle des magazines soviétiques de mode, ils attirent tout de même systématiquement l’attention des lecteurs sur les nouveautés du marché vestimentaire, par exemple, sur l’apparition de vêtements en nouvelles fibres synthétiques. Cette variante de la publicité « à la soviétique » est également efficace, car elle augmente les ventes des produits. Les auteurs des articles sur les tendances de mode gèrent ainsi en quelque sorte les rapports entre l’offre et la demande, en promouvant certains articles et en déconseillant d’autres :

Malheureusement, en notre temps soviétique, la tendance à imiter des créations coûteuses dans les magasins bon marché se révèle assez souvent. C’est pourquoi, en règle générale, malgré le niveau technique relativement élevé de la mercerie de joaillerie, ses produits sont marqués par une basse qualité artistique. [...] Le lien inséparable du caractère et de la forme des vêtements était au fondement de la joaillerie du passé. Mais cette règle immuable est pratiquement complètement ignorée par nos artistes et maîtres bijoutiers. Or, il n’est possible de révéler l’authenticité du goût dans les produits de la bijouterie que si l’on prend en compte et si l’on connaît bien la coupe actuelle de vêtements et la tendance essentielle de la mode. [...] Le besoin en vêtements nouveaux est extrêmement grand, mais nos entreprises de bijoux continuent à travailler « à l’ancienne », en fabriquant des produits étrangers au costume contemporain. [...] Une des fabriques de bijoux s’est ingéniée à produire une broche de la forme du mot Moscou écrit en cursive (comme si c’était un panneau signalétique sur la route !) où toutes les lettres sont composées de grands diamants montés sur platine. Il faut mener la lutte sans merci contre ce mauvais goût criant.[2]

Le parallèle avec les mécanismes de concurrence occidentale devient encore plus frappant quand un autre magazine Odežda i byt (Vêtements et mode de vie) place une photo de la broche de la forme du mot « Moscou » sur ces pages, parmi les nouveautés de la joaillerie soviétique, sans aucune critique négative,[3] ce qui témoigne d’une certaine tension dans le milieu des artistes et de l’hétérogénéité de leur milieu. La promotion ou la critique des produits de mode n’est pas liée, chez les publicistes de mode soviétiques, à un intérêt économique proprement dit, mais au but principal de ces discours : l’éducation du goût des consommateurs. Il ne faudrait toutefois pas penser que cette idée didactique est une particularité uniquement soviétique. Les magazines de mode occidentaux sont également généreux en conseils au ton impératif. Mais à la différence des textes soviétiques qui insistent sur les normes figées du bon goût, les discours occidentaux se soucient de présenter un goût en évolution.

Une autre différence est dans la manière de présenter les matériaux dans le magazine et de s’adresser au lecteur. Le décalage dans les échelles et les fréquences d’usage rend nécessaire l’apparition dans les revues soviétiques d’une sorte de notices explicatives- les rédacteurs apprennent aux lecteurs comment lire le magazine et comment s’en servir afin que les enjeux envisagés par les créateurs soient atteints :

Les artistes ont leurs exigences envers ceux pour qui ils travaillent. Pour apprendre à s’habiller élégamment, il faut se repérer dans les questions de mode et savoir regarder le magazine [...] En parcourant pour la première fois un nouveau magazine, il faut d’abord saisir la tendance générale de la mode : la longueur, l’emplacement de la taille, la largeur des épaules. [...] Après avoir saisi les traits communs, vous pouvez regarder plus en détails des modèles, c’est-à-dire le traitement de chaque silhouette à travers la coupe et des détails.[4]

Dans les années 1950-1960, la mode en Occident tend à devenir un phénomène de masse, dans la mesure précisément où elle est consommée à travers une presse à grand tirage.[5] La démocratisation de la mode en Occident donne à la mode soviétique un droit légitime de référence. Cependant, d’après Roland Barthes, la presse occidentale préserve la distinction des consommateurs : certaines revues sont destinées à un fort public populaire (Elle et Echo de la Mode) et d’autres à un public plus « aristocratique » (Vogue et Jardin des Modes).[6] Les deux types de revues proposent deux concepts différents de la mode. Reste à savoir lequel des deux est transféré dans la presse de mode soviétique. Pour répondre à cette question, il faut comparer les structures verbales des revues Elle, Vogue et des principales revues féminines et de mode soviétiques : Rabotnica (La Travailleuse) et Žurnal mod (Le Magazine de la mode), sans s’interdire de puiser quelquefois dans d’autres publications (notamment Modeli sezona (Modèles de la saison), Odežda i byt et des ouvrages spécifiques sur la mode et la culture de vêtement écrits par les créateurs. Žurnal mod et Modeli sezona étaient édités par l’Institut de l’assortiment des produits de l’industrie légère (Vsesoûznyj Institut assortimenta izdelij legkoj promyšlennosti) et avaient le même rédacteur en chef, Valentina Sklârova. Modeli sezona avait un supplément gratuit avec une vingtaine de patrons. Odežda i byt, également accompagné de patrons, était édité par le Combinat des arts appliqués de Moscou (Moskovskij kombinat prikladnogo iskusstva).

Cette lecture parallèle suggère que la presse soviétique préserve également une distinction des consommateurs. Cela se voit au premier regard, au niveau de l’iconographie. Rabotnica ne propose que des modèles dessinés qui représentent des femmes faites selon les canons du réalisme socialiste. Les revues spécialisées soviétiques contiennent, en plus des modèles dessinés, des photographies, généralement en noir et blanc, mais parfois peintes avec l’intention de donner une idée sur la composition et l’harmonie des couleurs en vogue. Les modèles signés par des artistes soviétiques alternent avec les créations des artistes des pays socialistes et de quelques ensembles occidentaux, peu nombreux et suivis d’une mention du pays de provenance sans que ne soit précisé le nom du créateur. Les dessins frappent par le maniérisme des poses, par l’exagération de la féminité dans ces modèles.

Nous avons un écho de l’incompréhension et du rejet de ce style de la représentation iconographique de la mode soviétique. Par exemple, dans Žurnal mod (n°3, 1957) on trouve sous la plume de Sofia Razumovskaâ, critique d’art et membre du comité de rédaction, un article intitulé « Sur le langage plastique du magazine » :

La rédaction de Žurnal mod reçoit beaucoup de lettres de lecteurs exprimant leur embarras et même leur indignation face au caractère de la maquette du magazine. Nous voudrions parler des tâches du magazine et en relation avec cela, de son langage plastique. Dans notre pays, de multiples magazines et albums de mode, proposant aux lecteurs des modèles divers de vêtements, sont édités. A la différence de ces derniers, Žurnal mod donne non seulement des modèles concrets, mais il résume la tendance de la mode, il la montre en perspective. Il se donne comme enjeu d’amener jusqu’au lecteur des traits caractéristiques de la tendance existante en vogue, d’élever la culture du vêtement, d’inculquer l’amour envers de beaux vêtements actuels, qui non seulement embellissent, mais aussi organisent l’homme. [...] Parfois d’une saison à l’autre la mode change très brusquement, et parfois très peu. Saisir et souligner le spécifique dans la mode d’aujourd’hui, sa différence par rapport à la précédente est la tâche principale du magazine. Cela peut être fait seulement grâce à la présentation aiguë et expressive des matériaux, ce qui est atteint parfois à travers une certaine exagération des formes et des lignes. C’est ainsi que le lecteur comprendra sans faute, même si il n’a pas la possibilité de suivre les changements de la mode attentivement et en permanence, ce qui y est apparu de nouveau. Voilà pourquoi nous soulignons souvent intentionnellement la jupe étroite ou très large, le corsage moulant le corps, le jeu de pans d’un manteau ample, la finesse de la taille ou la déclivité harmonieuse des épaules. Dans tout cela il y a un relativisme nécessaire au langage graphique de Žurnal mod, qui aide le lecteur à se repérer dans les questions de mode. Il arrive que la résolution en couleurs soit aussi relativement décorative. La gamme de couleurs dans la décoration des vêtements est déterminée par plusieurs facteurs : par le bon choix des tissus, d’accessoires, de bijoux, jusqu’au ton du rouge à lèvres, si la femme en met, en fonction de la couleur de cheveux et de peau. Nos lectrices voudrons bien nous excuser, sur certains dessins, pour le rouge à lèvres de la même couleur que la robe, - c’est une allusion au fait qu’il faut penser à leur concordance. On nous reproche également la présentation de corps et de visages insuffisamment détaillée et réaliste. Cela se fait intentionnellement et cela a son sens, - il nous faut, sans détourner l’attention de lecteurs, accentuer le principal qui est le modèle du vêtement en vogue. Nous considérons tout à fait possible de donner de temps en temps seulement un contour de la tête ou du cou, seulement un schéma du visage, et même parfois présenter une robe, une chemise ou une jupe sans corps humain. Nous avons envie de rappeler aux lecteurs que des beaux vêtements obligent la femme à surveiller sa démarche, ses gestes. Nous, les femmes soviétiques, y pensons souvent insuffisamment. Mais il faut avouer que dans la recherche de la grâce et de la finesse, les artistes tombent parfois dans le maniérisme – les poses et les mouvements se trouvent ratés. Un grand nombre de spécialistes, d’artistes participent dans la décoration du magazine, et pour eux c’est un travail sérieux, une quête créative. Žurnal mod a un style graphique spécifique qui admet une exagération, une stylisation connues, et le caractère décoratif des formes. Cela est adopté et établi par des traditions anciennes dans les magazines de mode du monde entier. Il n’est possible de présenter au lecteur nettement et expressivement l’essence de la mode d’aujourd’hui que par ce langage graphique. Il faut savoir lire ce langage.[7]

La première impression est que cette justification est construite sur le principe du double langage. Mais la fin de l’article lève tous les doutes : la revue se situe dans la tradition mondiale de la représentation iconographique de la mode. Ainsi la valeur de la culture professionnelle l’emporte-t-elle sur la nécessité de prendre en compte le contexte soviétique, avec ses attaques contre le formalisme et l’abstraction en art. L’auteur dresse une distance entre l’artiste et le lecteur : l’un est un professionnel, tandis que l’autre est un dilettante qui ne sait pas lire le langage artistique des revues de mode mais ose le critiquer.

Les textes de la revue Rabotnica se réfèrent uniquement à la presse étrangère à fort public populaire et présentent des tenues pour les activités réelles de la femme soviétique (vêtements de travail, de service, pour la maison, pour les voyages, pour différents types de loisirs). C’est une référence explicite qui accentue l’orientation ouvrière des homologues français de Rabotnica. Les revues de mode spécialisées soviétique présentent des références d’un autre registre, les textes se réfèrent aux opinions des créateurs de mode français et n’hésitent pas à mentionner des contacts entre les créateurs soviétiques et les Maisons de haute couture à l’étranger.[8] Mais dans tous les cas, une référence commune au costume national est présente, qui est un effet de la définition de la mode soviétique à travers la contrainte de négation de la mode bourgeoise. Les nouvelles silhouettes sont parfois décrites à l’aide des éléments du costume traditionnel russe pour souligner l’attachement au contexte national :

La silhouette du manteau en cloche, qui nous est déjà connu sous le nom de « sarafane russe », est apparue de nouveau dans la mode. Mais si auparavant c’était une forme assez encombrante, avec des pans dans le dos, maintenant c’est une cloche modérée, bien qu’elle soit ample, s’élargissant directement de la ligne de l’épaule vers le bas. Les pans sont absents. Cela, si vous voulez, est la silhouette la plus nouvelle et encore peu répandue, mais elle s’imposera sans doute et trouvera ses amatrices.[9]

Mais s’il est tenu compte du fait que ce modèle apparaît dans la presse de mode soviétique quelques mois après le lancement de la ligne « trapèze » par Yves Saint-Laurent (qui ressemble éventuellement dans les traits généraux à la forme du sarafane raccourci), le sens de ce tour de passe-passe discursif devient clair. Et quand l’accentuation de la différence est poussée à l’extrême, le socle commun à partir duquel les traits spécifiques de la mode soviétique se sont développés se retrouve complètement négligé :

Actuellement, dans nos magasins, on peut voir beaucoup de mercerie de joaillerie importée qui souvent ne répond pas aux exigences d’un art authentique. Cependant, bien que ce soit regrettable, elle a commencé à influencer d’une manière ou d’une autre la créativité de nos maîtres bijoutiers. Une série de nos produits répète littéralement ce qui est importé. En lien avec cela, on voudrait accentuer une fois de plus qu’il est nécessaire de créer nos propres bijoux actuels et en même temps nationaux et pas chers, dont les formes artistiques seraient à l’unisson avec les meilleurs modèles de notre art populaire. Il semble que les formes géométriques sont les plus convenables dans les dessins de bijoux actuels, tandis que les formes végétales exigent une grande généralisation et un éloignement vis-à-vis de la reproduction naturaliste.[10]

Or, en présentant des éléments du costume national seulement comme une source d’inspiration pour les créateurs, les spécialistes du vêtement justifiaient une présence réduite de ces motifs dans les modèles de magazines :

[…] le copiage mécanique de vêtements nationaux à la place de l’utilisation créative de leurs motifs amène à la conception d’un costume ethnographique passé de mode et ne répondant pas aux exigences contemporaines des vêtements.[11]

Voici un exemple de référence à la presse populaire française, tirée de Rabotnica. Dans l’article intitulé « L’invention, la patience, le goût. Comment s’habillent nos copines françaises (naši francuzskie podrugi) » sont transposés plusieurs éléments du discours de mode de la presse populaire française dans le contexte discursif soviétique, tels que les valeurs d’économie (être bien habillée sans dépenser une fortune), l’art de présenter avantageusement son corps et ses spécificités grâce au choix habile des vêtements, l’art de combiner des accessoires en trompe l’œil (pour accompagner différemment la même robe) ou la composition coordonnée de la garde-robe :

De trois fois rien une Française coudra une robe élégante » Ce proverbe vient à l’esprit quand on voit que les femmes françaises savent être bien habillées bien que leurs salaires soient petits et leur vie difficile. Comment y arrivent-elles ? Grâce au goût, au savoir-faire, à la patience. Dans les pages du magazine populaire français La Vie ouvrière, les femmes travailleuses de France échangent volontairement leurs expériences. Mais en quoi consiste le secret de l’élégance avec des ressources modestes ? Voilà ce que disent des femmes françaises. Tout d’abord elles conseillent de prendre en compte les spécificités de chaque corps. [...] Il suffit de choisir habilement un col, un foulard, des boutons pour que votre robe se transforme. Cela n’exige pas de grandes dépenses. [...] Mettez aujourd’hui une garniture, demain – une autre, et vous serez toujours habillées différemment. Combinez vos toilettes. Quand vous achetez un nouveau vêtement, faites en sorte qu’il s’accorde avec ce que vous avez déjà.[12]

Dans ce cas, la contextualisation est minimale. Les références à un même registre soulagent le transfert de toute dénotation. Le principe d’extrême rationalité se retrouve facilement transposable de la revue Elle qui propose d’« habiller les patrons d’hier à la mode de demain »[13], c’est-à-dire refaire des vêtements usés et démodés en habits à la mode, à la revue Rabotnica, très généreuse en conseils sur la réactualisation des vieux habits. Mais même Žurnal mod offre à ses lectrices ce genre d’idées :

Dans ces pages, je pense que quelques conseils pratiques ne seront pas excessifs. Avant tout, en choisissant un modèle pour une robe du Réveillon du Nouvel An, on peut réfléchir sur la transformation d’une vieille robe démodée quelconque. Si elle était en taffetas ou en moire, elle peut être utilisée comme doublure pour une robe fine ; si elle était en autre tissu compatible avec la texture et couleur du nouveau tissu que vous avez acheté, elle ira pour les accessoires (un figaro, une palatine, etc.) Un tissu léger peut être utilisé pour les détails (la ceinture, des compléments, les manches).[14]

Cependant, Žurnal mod ne fait pas de références aux magazines populaires de mode français. Il se réapproprie des techniques qui deviennent alors très pertinentes pour confirmer le caractère rationnel de la mode socialiste. Des outils utilisés par la presse française pour rendre la mode largement accessible se sont bien insérés dans le contexte économique soviétique. Il s’agit du jeu sur les accessoires qui définissent très souvent l’essentiel, selon Roland Barthes :

Le « détail » implique deux thèmes constants et complémentaires : la ténuité et la créativité ; la métaphore exemplaire est ici le grain... : un grain de rien, et voilà toute une tenue pénétrée du sens de Mode : un petit rien qui change tout ; ces riens qui feront tout ; un détail va changer l’apparence ; les détails garants de votre personnalité. Il y a une propagation du détail à l’ensemble, rien ne peut signifier tout. Mais cette imagination vitaliste n’est pas irresponsable ; la rhétorique du détail semble prendre une extension croissante et l’enjeu en est économique : en devenant valeur de masse (à travers ses journaux, sinon à travers ses boutiques), la Mode doit élaborer des sens, dont la fabrication n’apparaisse pas coûteuse ; c’est le cas du « détail » : un « détail » suffit à transformer le hors sens en sens, le démodé en Mode, et cependant un détail ne coûte pas cher ; par cette technique sémantique particulière, la Mode sort du luxueux et semble entrer dans une pratique du vêtement accessible aux petits budgets ; mais en même temps, sublimé sous le nom de trouvaille, ce même détail de faible prix participe à la dignité de l’idée : gratuit comme elle, glorieux comme elle, le détail consacre une démocratie des budgets tout en respectant une aristocratie des goûts.[15]

Les magazines soviétiques présentent l’aptitude à suivre la mode sans faire de grandes dépenses comme un trait distinctif de la mode socialiste :

Nous publions sur cette page deux modèles de robes qui, avec des changements insignifiants dans les accessoires, se transforment à tel point qu’elles ont un nouvel air chaque fois. De tels modèles sont extrêmement pratiques, car ils enrichissent la garde-robe facilement et donnent une possibilité de diversifier vos vêtements. En changeant des compléments, des écharpes, des cols, des sweaters bien choisis, vous pouvez donner à ces robes un caractère habillé ou strict d’affaire, les porter avec un col ouvert ou fermé.[16]

En anticipant d’emblée sur les possibilités d’accéder aux accessoires nécessaires pour faire varier les ensembles, les artistes proposent des solutions bon marché :

Si vous achetez au moins quelques paires de gants très bon marché (si ce sont deux paires, il faut prendre noire et blanche), ils vous aideront à compléter et à embellir votre tailleur par deux petites taches de couleur.[17]

Ainsi, un phénomène né dans un contexte économique opposé et transféré dans de nouvelles conditions, ne perd pas sa signification démocratique (la massification de la mode), et gagne du sens dans l’opposition politique.

Le rôle régulateur de la mode exercé à travers le principe de fonctionnalité

Les revues occidentales présentent la mode comme « un tout normatif par excellence, une loi sans degré ».[18] Cela explique le ton impératif du discours. La mode soviétique reprend ce droit de normalisation, lequel se traduit avec force à travers le principe de la fonctionnalité de la mode qui réserve une tenue spécifique à chaque activité. Un numéro de Elle propose une garde-robe étudiée pour une femme chef d’entreprise. C’est « un trousseau d’idées qui s’organisent autour des activités principales, telles que voyage, affaires, maison, repos, vacances ».[19] C’est la rubrique « Idées pratiques » de Elle qui lance cette normalisation, en offrant aux lectrices de multiples garde-robes « efficaces ». Pour les vacances au bord de la mer en Normandie et en Vendée, Elle conseille de prendre une marinière, un short court, un corsaire, une veste sport, un costume de bain une pièce baleiné en fin jersey, trois paires de chaussures pratiques, un deux pièce habillé, un set de laine (cardigan et pull-over assorti), un sac-serviette, une jupe en cotonnade, un corsage-caraco en toile, un « séparate » qui combine un chemisier en popeline et une jupe à quatre lés repincés en plis.[20] Pour comparer avec les propositions du Žurnal mod, je prendrai l’article « En ville, à la datcha, à la station balnéaire (kurort) » :

Qu’est-ce qui est nécessaire pour une femme qui passe l’été en ville ? Pour la maison – une robe de chambre d’été courte ou longue ; deux robes d’été pour tous les jours – une pour la rue, l’autre pour les promenades en campagne ; une robe de soir courte ; si vous travaillez, vous avez besoin d’une robe-tailleur, d’une jupe ou d’un sarafane et de quelques chemisiers. Ajoutez encore un imperméable ou un cache-poussière en cas de mauvais temps, et votre garde-robe est prête. Mais nous avons oublié les accessoires ! Un sac pour le travail, grand ou petit, en cuir artificiel ou en tissu ; des sandales pratiques ; un petit sac et des chaussures pour le soir, et des gants si possible vont compléter votre garde-robe. Un chapeau n’est pas nécessaire pendant la journée, à la limite d’une forme simplifiée au maximum. Qu’est-ce qu’on peut prendre en vacances ? Pour répondre à cette question, il faut savoir où vous allez : à la campagne, à la datcha, à la station balnéaire, au bord de la mer ou en montagne. Il va de soi qu’il ne faut pas préparer une garde-robe spécifique pour les vacances. Les robes qui vous sont proposées pour la ville sont bien parce qu’on peut les utiliser pendant les vacances. Seulement à la place des vêtements pour le travail, il faut prendre une tenue pour la plage. Il peut être composé d’une veste avec une jupe, un pantalon court et un chemisier ample. Une femme d’âge mûr ou une femme forte fera mieux de prendre une robe boutonnée en satin [...] Un maillot de bain est indispensable dans les deux cas. Les sacs de couleurs sont très bien aussi. Malheureusement, de nombreuses femmes portent ces sacs en ville tandis que leur place est au sud et à la plage [...].[21]

La presse française destinée au grand public populaire donne à lire une activité définie soit en elle-même, soit par ses circonstances de temps et de lieu, tandis que la presse pour le public plus « aristocratique » opère avec les signes mondains vestimentaires (les robes d’après-midi, de cocktail, de soirée).[22] La citation de la revue soviétique contient des éléments qui combinent deux approches. Ainsi, le concept de fonctionnalité est reproduit dans les magazines féminins en URSS, mais les types d’activités se différencient suite à la contextualisation : nous retrouvons les loisirs et passe-temps spécifiques soviétiques, comme les vacances à la station balnéaire ou à la datcha qui ne sont pas le mêmes qu’à la campagne. Si la revue Elle propose des parures pour des activités bien définies, sans équivoque (surprise-party, déjeuner en famille, goûter à la maison, visites officielles, première de théâtre, cocktails parisiens, petit dîner, et réception chez soi)[23], la revue Žurnal mod offre comme des têtes de parcours : pour le bureau (služba), pour la maison (cette rubrique présente des vêtements pratiques pour effectuer des tâches ménagères et non pas pour le goûter ou le déjeuner), pour le bal de fin d’études, pour le mariage, pour le sport, pour la route, robes de sortie, robes du soir.[24] Cette idée de robe du soir vient directement des principes mondains de la classification de vêtements selon la haute couture française. Ainsi, ce principe de composition de la garde-robe en fonction des activités est repris par la presse soviétique à l’instar des pratiques prescriptives des magazines populaires de mode français. Or, la culture professionnelle des créateurs soviétiques tire ces derniers vers une mode de luxe aux signes mondains. Cette référence non conventionnelle est dissimulée sous le concept de fonctionnalité : les robes de matinée, d’après-midi, de cocktail et de soirées, apparues dans les classifications des créateurs soviétiques, alternent avec les modèles « fonctionnels ». Des éléments des pratiques vestimentaires de luxe se trouvent donc intégrés dans la mode soviétique. Ainsi, le concept de fonctionnalité dans la structure verbale de la mode soviétique est le résultat d’un métissage des deux approches occidentales : aristocratique et démocratique.

Ce même principe de métissage ressort dans la mode pour homme : les magazines construisent également la garde-robe en fonction des circonstances de temps et de lieu, en y ajoutant un signe mondain : les costumes du soir. Les associations typiques sont moins riches et plus figées dans la mode masculine. Par exemple, en 1959, Žurnal mod propose la garde-robe suivante pour homme : un costume « peu compliqué et modeste », en coton ou en laine bon marché est prescrit pour le quotidien ; un autre de trois pièces, en tissu plus cher et « habillé », accompagné des chaussures noires aux bouts pointus et à la semelle en cuir, ainsi que d’une chemise blanche est conseillé pour les sorties ; un costume du type sport, un costume d’été sans doublure, un ensemble de vêtements « pratiques » pour la maison (une veste ample et un pantalon), ainsi qu’une salopette pour le travail dans le jardin, potager ou à la maison complètent le trousseau de vêtements d’homme où les cravates ne sont même pas évoquées.[25]

Ainsi, presses populaires française et soviétique sont normatives dans le domaine de « faire ». Mais la transitivité de la mode soviétique est plus forte que celle de la mode occidentale. Dans cette dernière, le travail est indéterminé et la mode ne nomme que des activités très marginales. Les situations festives sont riches ; ce sont les plus socialisées : la distraction y est largement absorbée dans le paraître (danse, théâtre, cérémonie, cocktails, galas, garden-parties, réceptions, sauteries, soirées, visites). Ce que note la mode occidentale, c’est plutôt la façon dont le sujet fait sa situation par rapport à un milieu où il est censé agir : la chasse, le bal, le shopping sont des conduites sociales, non des techniques.[26]

Cette manière d’orienter l’usage des vêtements chez les consommateurs est également propre à la mode soviétique :

La culture du vêtement est non seulement la bonne compréhension de ce qu’il faut mettre, mais également la capacité à choisir le bon costume pour une certaine occasion et à savoir le porter.[27]

Mais la classification des vêtements dans la mode soviétique ne laisse échapper aucun domaine à sa réglementation :

Les vêtements se distinguent par leurs destinations : des vêtements usuels (bytovaâ odežda), de production (proizvodstvennaâ), de sport, des uniformes, de spectacle. Dans les vêtements usuels nous classons les vêtements de maison, de tous les jours, habillés et pour le repos (pour la plage, la station balnéaire, etc.). Les vêtements de production dépendent du travail. [...] De même pour les vêtements de sport. [...] Parmi les vêtements de spectacle on distingue les vêtements de théâtre, de variétés et du cirque.[28]

Le degré de transitivité de la mode soviétique est bien résumé dans la phrase déjà citée : « Il n’est pas correct d’user à la maison de robes démodées ».[29] Les sujets des modèles couvrent la quotidienneté « imaginaire » dans tous ses aspects et pour toutes les saisons : les vêtements de travail (absent en Occident dans les propositions de mode) et de service (c’est-à-dire, pour les employés de bureau), pour les sports et les loisirs, pour la maison, pour les sorties. Le fait que même les vêtements de travail se retrouvent inclus dans le système de la mode soviétique se présente comme venant de soi non seulement dans le milieu des créateurs mais aussi chez les dirigeants. Ainsi, Khrouchtchev appelle, dans un discours adressé aux ouvriers d’une usine d’équipement à Riazan, à échanger les salopettes ouatinées qui ont « la coupe du temps du règne de Nicolas II » contre de nouveaux vêtements « plus beaux et de meilleure qualité », à la coupe actuelle.[30]  Et les créateurs vont dans les sovkhozes pour observer les conditions du travail des ouvriers des fermes et leur concevoir « de beaux habits », pratiques et à la mode.[31]

Ce principe fondateur de la typologie du vêtement en URSS s’impose par tous les moyens : dans les publications théoriques sur la mode soviétique, dans la représentation iconographique de la mode dans les magazines, dans les défilés.[32]

Toutefois, certains théoriciens de la mode soviétique tentent d’atténuer cette transitivité, en proposant divers degrés d’expression de la mode selon les différents types d’activités :

Il est clair bien sûr que concernant la présentation artistique, les exigences doivent être plus fortes envers les vêtements de gala, de sortie, en vogue, qu’à l’égard des produits habituels – costume de travail, vêtements spéciaux, etc.[33]

Ainsi le transfert d’un contexte à l’autre fait-il passer ce concept de fonctionnalité à travers l’obsession bien connue de classification qui remonte à la tradition d’une théorisation qui doit modeler, voire construire la réalité. Les concepteurs de la mode soviétique n’observent pas la réalité, en élaborant la « théorie vestimentaire ». Leur activité peut être comparée à un projet scientifique qui cherche à découper le réel spontané, à le schématiser. Ils font une construction sociologique abstraite, en reprenant des éléments du système de la mode occidentale, et ensuite essayent de l’imposer en pratique. La rencontre entre cette systématisation théorique et la réalité provoque un effet de caricature. En même temps, le système normatif de cette mode produit des règles sociales qui déterminent le comportement de consommateurs. En élaborant les normes d’habillement, les concepteurs de la mode officielle réglementent et figent les représentations sociales.

En voyant dans les magazines soviétiques des conseils sur la plurifonctionnalité de certains vêtements, on aurait pu croire qu’il s’agit d’une spécificité du discours de la mode, laquelle serait liée au décalage entre le concept de la fonctionnalité et les capacités réduites des consommateurs à adapter leurs garde-robes selon celui-ci. Mais la mode occidentale connaît aussi un type de vêtement spécifique : une robe passe-partout. Il s’agit dans certains cas de la neutralisation des fonctions dans les vêtements universels destinés à tous les âges, à toutes les occasions et à tous les goûts. Roland Barthes explique ainsi l’infiltration de ce type de vêtement dans la mode :

Il peut paraître surprenant de voir la Mode manier un vêtement universel, qu’on ne connaît d’ordinaire que dans les sociétés les plus déshéritées, là où l’homme, à force de pauvreté, n’a plus qu’un seul vêtement ; mais entre le vêtement de la misère et celui de la mode, il y a, pour ne parler ici qu’en termes de structures, une différence fondamentale : le premier n’est qu’un indice, celui de la misère absolue ; le second est un signe, celui d’une domination souveraine de tous les usages ; pour la Mode, rassembler sous un seul vêtement la totalité de ses fonctions possibles, ce n’est nullement effacer des différences, mais au contraire affirmer que le vêtement unique s’adapte miraculeusement à chacun de ses usages pour le signifier au moindre appel ; l’universel est ici, non point suppression, mais addition des particularités ; il est le champ de liberté infinie ; les fonctions antérieures à la neutralisation finale reste ainsi implicitement présentes comme autant de « rôles » que peut prendre un vêtement unique : une tenue passe-partout ne renvoie pas, à proprement parler, à une différence d’emplois, mais à leur équivalence, c’est-à-dire, subrepticement, à leur distinction. Ceci amène au second paradoxe (celui-là formel) du vêtement universel. L’universel absorbe tous les usages possibles du vêtement. Mais c’est qu’en fait, du point de vue de la Mode, l’universel reste un sens parmi d’autres (de même que dans la réalité un vêtement passe-partout côtoie dans la même garde-robe d’autres vêtements à usages définis) ; parvenu à la ligne supérieure des dernières oppositions, l’universel s’y intègre, il ne la domine pas ; il est l’une des fonctions terminales, au même titre que le temps, le lieu, l’occupation ; formellement, il ne ferme pas le système général des oppositions sémantiques, il le complète, comme un degré zéro (ou mixte) complète un paradigme polaire.[34]

Ces robes passe-partout apparaissent bel et bien dans les éditions soviétiques qui recommandent une petit robe noire « universelle » (qui fait penser à la fameuse invention de Chanel) à porter au théâtre, au travail, dans la rue ou encore une robe pour toutes sortes de soirée : au théâtre, au concert, à la fête.[35] Dans certains cas, l’idée de plurifonctionnalité est utilisée pour introduire de nouveaux modèles de vêtements. En 1957, Žurnal mod lance ainsi une robe à la coupe du type « princesse » comme vêtement passe-partout :

Ces robes sont de forme et de coupe diverses : elles peuvent avoir des manches d’une seule pièce et aux manches cousues, une jupe étroite ou large. La robe peut être destinée aux sorties, à la rue, au travail, à la villégiature, cela peut être aussi une robe habillée – pour le théâtre ou pour une soirée. Elle peut être complétée d’une jaquette ou d’une pèlerine, d’une écharpe ou d’une palatine.[36]

En même temps, une tendance opposée peut être observée, celle qui consiste à rendre ces vêtements passe-partout « classiques » et hors mode. Par exemple, une créatrice présente des robes à empiècements comme un type de vêtement pratique, convenant aux femmes de tout âge et de toute corpulence et ainsi « presque jamais démodées ».[37]

Certains types de vêtements d’homme sont également destinés, dans les magazines, à de multiples occasions, mais avec des manières différentes de les porter. Par exemple, les chemises avec des fentes sur les côtés sont présentées comme un vêtement pratique pour les vacances d’été. Elles sont également conseillées pour être portées en ville, mais dans ce dernier cas les normes de décence obligent à les rentrer dans le pantalon.[38]

D’après le sociologue français Paul Yonnet, la mode occidentale propose une sorte de jeu de construction avec les habits universels :

Le vêtement à transformation autorise un rapport ludique avec les codes sociaux, il engage en quelque sorte à la personnalisation de ce rapport, à l’individualisation de son usage, comme est individualisé par définition l’usage incertain de ce vêtement aux fonctions flottantes.[39]

Les magazines soviétiques imposent aussi à leurs lectrices ce genre de vêtement maniable :

Un tailleur bien cousu en tissu bon marché est nécessaire à chaque femme : en changeant les chemises, les chaussures et les chapeaux, on peut le varier et le porter au travail ou au théâtre.[40]

Pour certains vêtements, les transformations modifient l’usage non seulement en fonction des activités, mais également en fonction des saisons :

En échangeant le col en fourrure contre un grand col en tissu et en supprimant les revers de manches, on peut porter ce manteau au printemps et en automne.[41]

Malgré la similarité de ces outils, il faut tout de même constater quelques nuances au niveau du vocabulaire, lesquelles ne modifient pas pour autant le sens du discours : la critique de l’excentricité dans les revues populaires françaises[42] cède la place à une critique de l’extravagance et du baroque dans les revues soviétiques qui assimilent ces caractéristiques à la mode bourgeoise.[43] Une telle justification est contredite et vidée de son sens par l’affirmation selon laquelle, en URSS, des robes du soir longues jusqu’au sol conviennent bien pour les cas solennels, tels que « les réceptions, les banquets, les spectacles jubilaires, les grands bals du nouvel An et les présentations sur la scène »[44]; ou que des manteaux en fourrure précieuse ont un caractère de toilettes habillées et solennelles, étant souvent décorés d’une autre fourrure sur le principe de la combinaison contrastée ; tandis que pour des manteaux en fourrure artificielle les artistes proposent des solutions laconiques, sans détails superflus ce qui leur permet d’avoir l’air plus habillé et plus cher.[45]

Les effets de contextualisation des énoncés du discours de la mode occidentale dans la presse soviétique se font donc sentir dans la rhétorique.

Les rhétoriques comparées de la mode en URSS et en France

En général, le langage descriptif des revues soviétiques est très technique et privé de toutes métaphores et allusions :

Les manteaux adoptés sont droits, pour les jeunes hommes : 5-6 cm au-dessous des genoux, pour les hommes : 8-10 cm ; les manteaux d’hiver sont un peu plus longs que les manteaux de demi-saison. Les vestes de costumes sont devenues un peu plus longues. La taille est à sa place naturelle. Le col est court […] Les manches ne sont pas longues, elles ne couvrent pas les mains, les manches de chemise sortent d’un centimètre. Les costumes quotidiens sont principalement à une rangée de bouton. Les pantalons sont toujours étroits dans toute la longueur, la largeur en bas est de 22-24 cm.[46]

Ainsi, le réseau des modèles culturels, ou cognitifs, est absent dans la structure verbale de la mode soviétique. La richesse des épithètes est limitée aux adjectifs « pratique », « beau », « élégant ». Mais selon Roland Barthes, une rhétorique pauvre, c’est-à-dire une dénotation forte correspond à un public socialement plus élevé (Jardin des Modes, Vogue) ; au contraire, une rhétorique forte, développant largement le signifié culturel et caritatif, correspond à un public plus populaire (comme Elle). Ce sont donc des revues populaires françaises qui peuvent proposer une robe que Manet aurait aimé peindre ou qui osent parler de ce rose-poison qui aurait charmé Toulouse-Lautrec. Roland Barthes explique ainsi cette opposition :

On pourrait dire que plus le niveau de vie est élevé, plus le vêtement proposé (par écrit) a des chances d’être réalisé, et la dénotation [...] reprend ici ses droits ; à l’inverse, si le niveau de vie est plus bas, le vêtement est irréalisable, la dénotation devient vaine, et il est alors nécessaire de compenser son inutilité par un système fort de connotation, dont le propre est de permettre l’investissement utopique : il est plus facile de rêver de robe que Manet aurait aimé peindre que de la construire. Et si l’on descend encore d’un niveau dans l’échelle socioprofessionnelle, l’image culturelle s’appauvrit, [...] la dénotation du journal populaire (Echo de la Mode) est pauvre, car elle saisit un vêtement bon marché qu’elle tient pour réalisable : l’utopie occupe, comme de juste, une position intermédiaire entre la praxis du pauvre et celle du riche.[47]

Dans la rhétorique de la mode soviétique, les couleurs sont privées d’associations métaphoriques. Le seul message assigné aux couleurs est la joie de vivre. Le discours normatif sur les couleurs se construit parfois par l’opposition aux pratiques réelles considérées comme relevant du mauvais goût. Par exemple, un costume pour jeune homme doit être composé de deux pièces de la même couleur « modérée » (gris, bleu) qui le rend « modeste et sérieux ». L’affirmation selon laquelle ce costume assorti « d’une chemise unie et une cravate non bariolée » est à la mode pour l’année 1959 se fait par négation du costume du stilâga[48] « outré, bariolé et fait sans goût, ayant l’air d’une prétention qui fait pitié » .[49]

Ainsi, en raison de leur caractère pratique, les énoncés de la mode soviétique semblent empruntés aux journaux les plus populaires. Le vêtement décrit le plus techniquement possible ne doit aucunement rester imaginaire, mais au contraire il est censé être réalisé :

Graduellement, cette forme provoque un intérêt croissant et des sympathies chez nos femmes. En lien avec cela nombreuses sont celles qui se posent une série de questions [...] La netteté de la forme est atteinte grâce à la coupe : par des pinces fortement exprimées (à la place d’une seule pince à la taille, on peut en faire deux devant et deux derrière), par la couture en relief, ainsi que par la forme de la couture latérale. Il faut choisir des soies lourdes, des crêpes épais, des tweeds légers et des tissus souples de laine pour les robes étroites. Ils gardent bien la forme, ils ne se détendent pas et ne se froissent pas. Si le tissu n’est pas épais, comme par exemple un voile, un crêpe léger, il faut doubler la robe de soie. Pour une forme large de robe, il faut choisir des tissus épais, raides, c’est-à-dire qui tiennent bien la forme : pour les robes d’été du piqué, de la toile, de l’indienne, de reps en coton et du taffetas ; pour les robes habillées de sortie du taffetas, de la moire, du reps. Le froissement du tissu est moins perceptible dans les jupes larges, et on peut mettre un jupon pour maintenir la forme.[50]

La visée pratique de ces renseignements quant au choix de tissus est renforcée par la mise à disposition de patrons.[51]

Certains créateurs qui publient dans les magazines de mode, se prononcent cependant contre ce langage technique, contre « l’énumération concrète et sèche des lignes en vogue », contre « des conseils utiles et pratiques », « rédigés à partir des principes standards ».[52] C’est le cas d’Efremova qui milite pour une communication moins formelle à l’égard des lecteurs afin de les initier aux finesses de l’évolution de la mode et répondre à la fonction principale des revues : l’éducation du goût.[53]

En ce qui concerne le type de consommateurs/consommatrices à qui les conseils sont adressés, les magazines soviétiques héritent de l’approche des revues populaires françaises. Si Vogue s’adresse à une femme idéale jeune, en proposant des modèles pour une belle femme-type sans défauts physiques, Elle sous-entend toujours une variété de physiques et d’âges des femmes réelles dont chacune doit pouvoir trouver les conseils et les modèles qui lui conviennent.[54] Le discours normatif des magazines soviétiques est aussi construit sur la base de la distinction physique des consommatrices :

Savoir bien s’habiller consiste à choisir parmi tous les modèles de robes, dans toutes les variantes de la gamme de couleur, dans toutes les parures, une composition, correspondant complètement à l’apparence et au caractère auxquels ce costume est destiné. Peut-on ignorer la mode entièrement et s’habiller sans se soumettre à elle ? Non, gardez vos particularités individuelles, votre « style », prenez en compte vos avantages ou défauts, mais suivez la mode à un certain degré, sinon vous risquez de devenir ridicule.[55]

La phrase sur la nécessité de prendre en compte la mode aurait été impossible dans une revue de mode occidentale. Récurrente dans la presse de mode soviétique, elle rappelait implicitement le doute permanent quant à la légitimité de l’existence du phénomène de mode dans la société socialiste. Ainsi, les magazines de mode soviétiques, tout en s’adressant aux lecteurs et non pas aux détracteurs de la mode, participent-ils à ce débat par leur prise de position verbalisée.

Elle se permet cependant de jouer avec cette distinction d’âge, en proposant des vêtements (par exemple, « la robe très, très jeune ») qui rajeunissent[56]. Même si certains énoncés de la mode soviétique reproduisent des commutativités à la manière occidentale : « des tailleurs aux vestes courtes sont très jeunes et ravissants avec une jupe étroite ou large »[57], leurs auteurs se rattrapent vite, en précisant la catégorie à la quelle le modèle est destiné : ces tailleurs « ne sont pas assez pratiques et ils ne vont pas à tout le monde. C’est pourquoi ils sont souvent faits de tissus pas chers, pour une ou deux saisons. Pour un costume plus pratique une veste plus longue est proposée, aux silhouettes variées : droites ou cintrées, mais pas trop »[58]

Or, la vision réaliste des consommateurs, sans idéalisation et abstraction, paraît être une contrainte liée aux objectifs politiques et économiques auxquels sont tenus les artistes soviétiques. Mais ils aspirent à se libérer de la nécessité de procéder par cette distinction quand ils se réfèrent à la manière de proposer les mêmes lignes en vogue aux femmes de tous les âges dans les revues françaises :

Il ne faut pas élaborer une mode spécifique pour les femmes âgées contrairement à ce que certains pensent. Si une femme âgée ne s’inspire pas du caractère fondamental général de la silhouette à la mode, elle se distinguera de la foule par son aspect démodé absurde. Pour ne pas se soumettre aveuglement à la mode, au détriment de son apparence, il faut savoir soumettre la mode à ses défauts et avantages. L’avis des créateurs français sur cette question n’est pas sans intérêt. Les créateurs français croient qu’une femme âgée peut et doit être élégante ; ils ne reconnaissent aucune concession d’âge. Une femme de 50 ans ne doit pas se focaliser sur une mode qui lui allait au temps de sa jeunesse. Si elle ne veut pas paraître plus âgée, elle doit s’habiller à la mode actuelle. Sa toilette ne doit pas sauter aux yeux, mais elle doit être belle et en vogue. Elle doit savoir se coiffer comme cela lui va, choisir des accessoires élégants mais pas trop voyants.[59]

Dans cette perspective la mode ne connaît pas de distinction d’âge. Elle doit se manifester, entre autre, dans les vêtements pour enfants.[60]. Par exemple, en 1959 la mode des pantalons étroits a également touché les vêtements de garçons.[61]. Cette position des créateurs rencontre des critiques liées aux conséquences soi-disant nuisibles à l’ordre moral que susciterait l’encouragement chez les enfants de l’intérêt envers les « choses superflues ». Mais les créateurs se servent de leur argument préféré en invoquant l’importance des vêtements pour l’éducation du goût dès le plus bas âge.

Malgré les différences du contexte politique, économique et social, les magazines de mode soviétiques des années 1950 empruntent des éléments de la rhétorique des revues de mode françaises pour construire un discours normatif dont le but essentiel est l’éducation du goût des consommateurs. Les transferts culturels de la presse occidentale vers le discours soviétique sur la mode s’opèrent à plusieurs niveaux et par des courants croisés. Cela amène à une distinction des magazines soviétiques en fonction de leurs sources d’emprunt des idées et de leurs concepts de la mode. L’orientation de Rabotnica est explicitement définie : cette revue puise des énoncés dans les magazines populaires français et reproduit le concept de fonctionnalité de vêtements, fondé sur les pratiques quotidiennes soviétiques réelles. Žurnal mod présente un système de références d’un autre type. Tourné vers les revues élitistes françaises, il introduit dans son discours des catégories de classification de vêtements adoptées dans la haute couture. Suite à une contextualisation, ces catégories se trouvent intégrées dans un concept de fonctionnalité qui, dans cette revue, ne reflète pas la réalité, mais sculpte et normalise celle-ci. Construit selon le principe de l’opposition à la mode bourgeoise, le discours soviétique sur la mode, très technique dans sa terminologie, crée une illusion de réalité grâce à la représentation naturaliste des consommateurs dans toute leur diversité d’âge et de spécificités de l’apparence. Les ambitions de prouver la compétitivité et les avantages de la mode socialiste par le biais de la structure sémantique de sa rhétorique conduisent à l’apparition d’un système rigide de prescriptions qui portent sur le choix de vêtements en fonction de leur destination. La force de réglementation de ces conseils est largement supérieure à la puissance de l’impact du discours occidental sur la mode.

 

Notes

[1] Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999.

[2] Mikhail Il’in, « Ûvelirnye izdeliâ i moda » (« La joaillerie et la mode »), Dekorativnoe iskusstvo SSSR (L’Art décoratif de l’URSS ; ensuite dans les notes DI), 1959, N° 5, p. 25-26.
«К сожалению, в наше, советское время тенденция подражать дорогостоящим произведениям в дешевых магазинах проявляется еще очень часто. Поэтому, несмотря на относительно высокий технический уровень ювелирной галантереи, ее изделия, как правило, отличаются низким художественным качеством. (…) В основе всего ювелирного искусства прошлого лежала неразрывная связь с характером и формой одежды. Но это незыблемое правило почти совершенно игнорируется нашими художниками и мастерами ювелирного дела. Проявить же подлинный вкус в ювелирных изделиях можно, лишь хорошо зная и учитывая современный покрой одежды и основное направление моды. (…) Потребность в новых изделиях чрезвычайно велика, но наши ювелирные предприятия продолжают работать «по старинке», создавая произведения, чуждые современному костюму. (…) Одна из ювелирных фабрик умудрилась выпустить брошь в виде курсивом написанного слова «Москва» (словно дорожный знак!), где все буквы состоят из крупных бриллиантов в платиновой оправе. С этим вопиющим безвкусием необходимо вести непримиримую борьбу.» Voir aussi Makarova N., « Ukrašeniâ » (« Bijoux »), Žurnal mod (Le Magazine de la mode), 1959, N° 2, p. 23-24 où nous trouvons le même type de critique des bijoux « philistins » et la promotion de la joaillerie en bois, en verre, en matières plastiques.
Si possible, citer le texte d’origine en bas de page.

[3Odežda i byt (Vêtements et mode de vie), 1962, N° 2, p. 44.

[4] Lûdmila Efremova, « Zametki o mode » (« Notes sur la mode »), Modeli sezona (Modèles de la saison), automne-hiver 1959-1960, p. 2.
«У модельеров есть свои требования к тем, для кого они трудятся. Чтобы научится красиво одеваться, необходимо разбираться в вопросах моды и уметь смотреть журнал (…). Просматривая в первый раз новый журнал, нужно сначала уловить общую тенденцию моды: длину, расположение талии, ширину плеч. (…) Уловив это общее, вы можете подробнее рассмотреть фасоны, то есть разработку каждого силуэта в покрое и деталях.»

[5] Roland Barthes, Système de la Mode, Paris, Seuil, 1988, p. 290.

[6Ibid., p. 21.

[7] Sofia Razumovskaâ, « Ob izobrazitel’nom âzyke žurnala » (« Sur le langage artistique du magazine »), Žurnal mod, 1957, N° 3, p. 41.
«В редакцию « Журнала мод » поступает много писем от читателей, высказывающих свое недоумение и даже возмущение характером оформления журнала. Нам хочется рассказать о тех задачах, которые стоят перед журналом и в связи с этим, об его изобразительном языке. В нашей стране издается много журналов и альбомов мод, предлагающих читателям разные фасоны одежды. В отличие от них, « Журнал мод » дает не только конкретные модели, но обобщает направление моды, показывает ее перспективно. Он ставит перед собой задачу довести до читателя характерные черты существующего модного направления, поднять культуру одежды, привить любовь к красивой современной одежде, не только украшающей, но и организующей человека. (…) Иногда от сезона к сезону мода меняется очень резко, а иногда совсем незначительно. Выявить и подчеркнуть характерное в моде сегодняшнего дня, ее отличие от предыдущей является основной задачей журнала. Это можно сделать только острой, выразительной подачей материала, что достигается иногда некоторой утрировкой форм и линий. Только тогда читатель безошибочно поймет, даже если он не имеет возможности внимательно и постоянно следить за изменениями моды, что в ней появилось нового. Вот почему мы часто намеренно подчеркиваем узкую или очень широкую юбку, облегающий фигуру лиф, игру фалд свободного пальто, тонкость талии или плавную покатость плеч. Во всем этом есть та необходимая условность графического языка «Журнала мод», которая помогает читателю разобраться в вопросах моды. Условно декоративно бывает иной раз и цветовое решение. Цветовая гамма в оформлении одежды человека определяется многими моментами: красиво подобранными к цвету волос и кожи тканями, отделками, аксессуарами, украшениями, вплоть до оттенка губной помады, если женщина ее употребляет. Пусть простят нам наши читательницы на некоторых рисунках губную помаду в цвет платья, - это намек на то, что нужно подумать и об их соответствии. Нас упрекают также в недостаточно детальном и натуралистичном изображении фигур и лиц. Делается это намеренно и имеет свой смысл, - нам нужно, ничем не отвлекая внимание читателей, акцентировать его на самом главном – на модели модной одежды. Мы считаем вполне возможным давать иной раз только контур головы или шеи, только схему лица, а иногда показывать платье, блузку или юбку и совсем без фигуры человека. Нам хочется напомнить читателям, что красивая одежда обязывает женщину следить за своей походкой, жестами. Мы, советские женщины, часто недостаточно думаем об этом. Но надо признаться, что в поисках изящества и грации художники иногда впадают в манерность – позы и движения оказываются неудачными. В оформлении журнала принимает участие большое количество специалистов, художников, для которых это серьезная работа, полная творческих исканий. « Журнал мод» имеет свой особый графический стиль, допускающий известную утрировку, стилизацию и декоративность форм. Это принято и установлено давними традициями в модных журналах всего мира. Только таким графическим языком можно четко и выразительно донести до читателя сущность моды сегодняшнего дня. Этот язык надо уметь читать »

[8] Vera Aralova, « Na vystavke v N’û-Jorke » (« A l’exposition à New-York »), Žurnal mod, 1959, N° 4, p. 36. Voir également pour l’utilisation du terme « sarafane » : Odežda i byt, 1962, N° 3, p. 22, 42.

[9] [an], sans titre, Žurnal mod, 1959, N° 1, p. 7.
«Снова появился колоколообразный силуэт пальто, уже знакомый нам под названием «русский сарафан». Но если прежде это была довольно громоздкая форма с фалдами на спинке, то теперь это, хотя и свободный, но умеренный колокол, расширенный книзу сразу от линии плеча. Фалды отсутствуют. Это, пожалуй, самый новый, еще не распространенный силуэт, но он, безусловно, утвердится и найдет своих поклонниц.»

[10] Mikhail Il’in, « Ûvelirnye izdeliâ i moda », DI, 1959, N° 5, p. 26.
« Сейчас в наших магазинах можно встретить большое количество импортной ювелирной галантереи, которая часто не отвечает требованиям подлинного искусства. Однако, как это не прискорбно, она стала так или иначе воздействовать на творчество наших мастеров-ювелиров. Ряд наших изделий повторяет почти буквально то, что ввозится из-за рубежа. В связи с этим лишний раз хочется подчеркнуть, что необходимо создавать наши собственные, современные и в то же время национальные дешевые ювелирные изделия, формы которых по своему художественному строю были бы созвучны лучшим образцам нашего народного искусства. Думается, что геометрические формы наиболее приемлемы в рисунке современных ювелирных украшений, растительные же требуют большого обобщения и отхода от натуралистического воспроизведения. »

[11] Ivan Artem’evič Ter-Ovakimân, Modelirovanie i konstruirovanie odeždy v usloviâh massovogo proizvodstva (Création des vêtements dans les conditions de la production de masse), Moscou, 1963, p. 6. Citation en russe : « (…) механическое копирование народной одежды вместо творческого использования ее мотивов приводит к созданию отжившего этнографического костюма, не соответствующего современным требованиям к одежде. »

[12] E. Âkovleva, « Vydumka, terpenie, vkus. Kak odevaûtsâ naši francuzskie podrugi » (« L’invention, la patience, le goût. Comment s’habillent nos copines françaises »), Rabotnica, 1956, N° 7, p. 28-29.

[13] [an], « Habiller vos patrons d’hier à la mode de demain », Elle, le 18 janvier 1954, N° 423, p. 24-25.

[14] [an], « Dlâ vstreči Novogo goda » (« Pour le Réveillon du Nouvel An »), Žurnal mod, 1957, N° 4, p. 34.
« Я думаю, не будут излишними на этих страницах и несколько практических советов. Прежде всего, при выборе фасона для новогоднего платья, можно подумать о переделке какого-либо старого, вышедшего из моды платья. Если оно было из тафты или муара, оно может быть использовано как чехол под тонкое платье, если из какой-либо другой ткани, подходящей по сочетанию с фактурой и цветом вновь купленного вами материала, - на дополнения (фигаро, палантин, и др.) Легкая ткань может быть использована на отделку или детали (пояс, вставки, рукава) »

[15] Roland Barthes, op. cit., p. 25, p. 246-247.

[16] T.K. [an], sans titre, Žurnal mod, 1957, N° 4, p. 22.
« На этой странице мы публикуем две модели платьев, которые при незначительных изменениях в отделке настолько преображаются, что всякий раз выглядят совершенно по-новому. Такие модели чрезвычайно удобны, так как они легко обогащают гардероб и дают возможность разнообразить вашу одежду. Меняя удачно подобранные вставки, шарфики, воротники или свитеры, вы можете придавать этим платьям то нарядный, то строго-деловой характер, носить их с открытым воротом или закрытыми »

[17] N. Makarova, « Značenie ansamblâ v odežde », (« Signification de l’ensemble dans les vêtements »), Žurnal mod, 1957, N° 1, p. 1.
« Если Вы приобретете хотя бы несколько пар совсем дешевых перчаток (а если две пары, то – черные и белые), они помогут Вам небольшими пятнышками цвета дополнить и украсить Ваш костюм »

[18] Roland Barthes, op. cit., p. 32.

[19] [an], sans titre, Elle, le 7 juin 1954, N° 443, p. 32-33.

[20] [an], « Idées Elle pratique », Elle, le 14 juin 1954, N° 444, p. 38-39.

[21] [an], « V gorode, na dače, na kurorte » (« En ville, à la datcha, à la station balnéaire »), Žurnal mod, 1959, N°2, p. 20.

«Что необходимо женщине, живущей летом в городе? Для дома – короткий или длинный летний халат; два летних повседневных платья – для улицы и для прогулки за город; одно вечернее короткое платье; если вы работаете – платье-костюм, юбка или сарафан и несколько блузок. Прибавьте сюда еще плащ или пыльник на случай плохой погоды – и ваш гардероб готов. Да, мы забыли аксессуары! Сумка для работы, более или менее большого размера, из кожзаменителя или ткани; удобные босоножки; маленькая сумочка и туфли для вечера и, если возможно, перчатки дополнят ваш гардероб. Шляпа днем вовсе не обязательна, а если уж необходима – то предельно простой формы. Что же брать с собой в отпуск? Чтобы ответить на этот вопрос, нужно знать, куда вы поедете: в деревню, на дачу, на курорт, к морю или в горы. Разумеется, не нужно готовить для отпуска какой-то особый, специальный гардероб. Те платья, которые предложены вам для города, тем и хороши, что их можно целиком использовать во время отдыха. Только вместо одежды для работы нужно взять комплект для пляжа. Он может состоять из жакета с юбкой, коротких штанишек и свободной блузы. Для женщины более солидного возраста или с полной фигурой лучше сделать платье-халат на пуговицах, из ситца или сатина не очень крупного и яркого рисунка. В том и другом случае купальный костюм необходим. Хороши и красочные сумки, которые, к сожалению, многие женщины носят в городе, тогда как их место – юг и пляж »
Vogue (juin-juillet 1957, p. 50) pense également aux Parisiennes qui passent leur été en ville, en leur offrant des conseils d’adaptation à la ville des tenues de vacance.

[22] Roland Barthes, op. cit., p. 251.

[23Elle, le 4 janvier 1954, N° 421, p. 46-47.

[24Žurnal mod, 1957, N° 1, N° 3 ; 1959, N° 3.

[25] D. Glagolev, « Novoe v mužskoj odežde » (« Du nouveau dans les vêtements pour homme »), Žurnal mod, 1959, N° 1, p. 22.

[26] Roland Barthes, op. cit., p. 252-253.

[27] Elena Viktorovna Kireeva, O kul’ture odeždy (kostûm, stil’, moda) (Sur la culture des vêtements. Le costume, le style, la mode), Leningrad, 1970, p. 13. Citation en russe : « Культура одежды заключается не только в правильном понимании того, что надевать, но и в знании того, куда надевать костюм и как его носить. »

[28] Lûdmila Markovna Litvina, Leonidova Irina Sergeevna, Turčanovskaja Lûdmila Fëdorovna, Modelirovanie i khudožestvennoe oformlenie ženskoj i detskoj odeždy, (Création des vêtements pour femmes et enfants), Moscou, 1964, p. 14.
« Одежду различают по назначению: одежда бытовая, производственная, спортивная, форменная, зрелищная. К бытовой относят домашнюю одежду, повседневную, нарядную и одежду для отдыха (пляжную, курортную и пр.). Производственная одежда (рабочая) бывает разной в зависимости от специфики труда и производства. (…) Спортивную одежду делят в зависимости от вида спорта. […] Зрелищную одежду в зависимости от видов и жанров зрелищного искусства разделяют на театральную, эстрадную, цирковую »

[29] Elena Viktorovna Kireeva, op. cit., p. 13.
« Неправильно донашивать дома уже вышедшие из моды платья »

[30Pravda, 13 février 1959.

[31] V. Popov, « Odežda dlâ truženikov sela » (« Les vêtements pour les travailleurs agricoles »), DI, N°5, 1964, p. 22.

[32] L. M.Šipova, « Novoe v modelirovanii legkogo ženskogo plat’â », (« Du nouveau dans la création des robes pour femmes»), Mody i modelirovanie (La mode et la création des vêtements), Moscou, 1960, p. 3.

[33] Sergej Ivanovič Rusakov, O trebovaniâh k odežde (Sur les exigences envers les vêtements), Мoscou, 1958, p. 12.
« Ясно, конечно, что в отношении художественного оформления требования к изделиям парадным, выходным, модным должны быть большими, чем к обычным изделиям – рабочему костюму, специальной одежде и др »

[34] Roland Barthes, op. cit., p. 212-213.

[35] Lûdmila Efremova, O kul’ture odeždy (Sur la culture des vêtements), Мoscou, 1960, images 26 et 27, Levašova A., « Požilym ženščinam » (« Pour les femmes âgées »), Žurnal mod, 1959, N° 4, p. 11.

[36] Lûdmila Litvina, « Plat’â pokroja « princes » » (« Les robes de coupe « princesse » »), Žurnal mod, 1957, N° 3, p. 28. Elle parle des robes princesses déjà en 1954 : N° 422, le 11 janvier 1954, p. 42-43. Cette ligne réapparaît dans le Vogue en été 1957, avec une légère modification : juin-juillet 1957, p. 29.
« Форма и покрой этих платьев разнообразны: они могут быть с цельнокройными рукавами и втачными, с узкой юбкой и широкой. Платье может быть выходным, для улицы, для работы, курорта, а также нарядным – для театра или вечера. Оно может быть дополнено жакетом или пелериной, шарфом или палантином »

[37] T. Ksenofontova, « Plat’ â so vstavkami » (« Robes à empiècements »), Žurnal mod, 1959, N° 3, p. 21.

[38] D. Glagolev, « Novoe v mužskoj odežde » (« Du nouveau dans les vêtements pour hommes »), Žurnal mod, 1959, N°1, p. 21.

[39] Paul Yonnet, Jeux, modes et masses. La société française et le moderne. 1945-1985, Paris, Gallimard, 1985, p. 357. Ces vêtements susceptibles de métamorphoses apparaissent dans Elle et dans Vogue.

[40] E. V. Semenova, « Po stranicam zarubežnyh žurnalov mod » (« Sur les pages des magazines de mode étrangers »), Mody i modelirovanie (La mode et la création des vêtements), Moscou, 1960, p. 104.
« Хорошо сшитый костюм из недорогой ткани нужен каждой женщине: меняя блузки, туфли и шляпу, можно его разнообразить и носить как на работу, так и в театр »

[41] [an], sans titre, Odežda i byt, 1962, N° 2, p. 2.
« Заменив меховой воротник большим воротником из основной ткани и сняв манжеты, можно носить это пальто весной и осенью »

[42] Voir, par exemple, Elle, N° 421, le 4 janvier 1954, p. 33; N° 422, le 11 janvier 1954, p. 22.

[43] J’ai trouvé un seul cas où ces clichés sont mis en question. L. Efremova dans sa brochure sur la culture de vêtements (Efremova Lûdmila, O kul’ture odeždy (Sur la culture des vêtements), Мoscou, 1960, p. 13) précise qu’il ne faut pas toujours associer l’extravagance avec le mauvais goût. Elle tient « l’extravagance » pour admissible quand « la robe est faite impeccablement et portée dans les circonstances appropriées ».

[44] E. V. Semenova , « Po stranicam zarubežnyh žurnalov mod » (« Sur les pages des magazines de mode étrangers »), Mody i modelirovanie, Moscou, 1960, p. 105.

[45Mody odeždy na 1962-63 god. (La mode vestimentaire pour l’année 1962-1963), Manuel pour les ingénieurs et les dirigeants de l’industrie légère. Moscou, 1963, p. 4.

[46] [an], sans titre, Modeli sezona, automne-hiver 1959-60, p. 12.

«Пальто приняты прямые, для юношей – 5-6 см ниже колен, для мужчин – 8-10 см; зимние пальто несколько длиннее демисезонных. Пиджаки костюмов стали четь длиннее. Талия на ее естественном месте. Воротник короткий, уступы нешироких лацканов –высокие. Рукава недлинные, заканчивающиеся у основания кистей рук, манжеты рубашки выступают на 1 см. Повседневные костюмы главным образом однобортные. Брюки по-прежнему узкие по всей длине, ширина в низках – 22-24 см.»

[47] Roland Barthes, op. cit., p. 248.

[48] Le dictionnaire russe-français de Ščerba Lev Vladimirovič et Matusevič Margarita Ivanovna propose comme traduction du mot « stiljaga » - « zazou ». La mode zazou est apparue en France sous l’occupation et est portée par des jeunes qui étaient dépolitisés et ne se souciaient pas du devoir civique qui imposait une manière de se vêtir. Les zazous refusaient de respecter les restrictions en matière de tissus et de cuir, portant des pantalons larges et des chaussures avec des épaisses semelles en cuir. Ils ont lancé un défi à la morale ascète de leurs compatriotes par leur mode de vie festif au mépris de la situation. (Bollon Patrice, Morale du masque. Merveilleux, Zazous, Dandys, Punks, etc. Paris, Seuil, 1990, p. 117-118 ; Veillon Dominique, La mode sous l’Occupation, Paris, Le grand livre du mois, 2001.) Après la Seconde Guerre Mondiale, un style semblable s’est répandu en URSS chez les jeunes qui voulaient se distinguer des autres par des vêtements à la coupe originale et aux couleurs bariolées. Ils écoutaient de la musique occidentale censurée (du jazz initialement) et dansaient à la manière « occidentale ». Après la publication d’un feuilleton sur les adeptes de cette mode en 1949, ils furent appelés les « stiliagi » (terme péjoratif formé à partir du mot « style ») et stigmatisés comme « parasites » sociaux. Dans le milieu des « stilâgi », on distinguait des « štatniki » (à partir du mot « Štaty » - une nomination populaire des Etats-Unis en russe) qui préféraient porter des vêtements de production américaine. La mode des « stilâgi » a évolué au début des années 1950 : un pantalon extrêmement étroit a pris place du pantalon large d’après-guerre.

[49] [an], sans titre, Žurnal mod, 1959, N° 1, p. 33.

[50] Lûdmila Litvina, « Plat’ja pokroja «princes » » (« Robes de la coupe « princesse » »), Žurnal mod, 1957, N°3, p. 28.

«Постепенно эта форма вызывает все больший интерес и симпатии у наших женщин. В связи с этим у многих возникает целый ряд вопросов (…)Четкость формы достигается покроем: резко выраженными вытачками (вместо одной тальевой вытачки можно делать по две – как спереди и так и на спинке), рельефными швами, а также формой боковых швов. Для узких платьев следует выбирать тяжелые шелка, плотные крепы, легкие твиды и мягкие шерстяные ткани. Они хорошо сохраняют форму, не растягиваются и не сминаются. Если ткань неплотная, например, вуаль, легкий креп, то для сохранения формы часть платья следует делать на шелковой подкладке – « дублировать ». При широкой форме платья ткани надо выбирать более плотные, жесткие, т. е. такие, которые хорошо держат форму: для летних платьев – пике, полотно, ситцы, х/б репс и тафту; для нарядных выходных платьев – тафту, муар, репс. В широкой юбке сминаемость тканей менее ощутима, а для поддержания формы можно надевать нижнюю юбку »

[51Vogue contient des patrons tout comme Elle, mais ils doivent aider la femme à élargir sa garde-robe, afin de pouvoir « changer de robe à toutes les heures du jour et posséder autant de costumes de bain qu’il y a de jours dans la semaine », tout en « assurant l’équilibre du budget-vacances » – Vogue, juin-juillet 1957, p. 68-69.

[52] Lûdmila Efremova, O kul’ture odeždy (Sur la culture des vêtements), Мoscou, 1960, p. 4.

[53Ibid., p. 4.

[54] Anita Pereire, « Les jeunes filles », Elle, N° 421, le 4 janvier 1954, p. 32.

[55] Raisa Zakharževskaja, Lûdmila Litvina, « Umenie odevat’sja » (« Savoir s’habiller »), Žurnal mod, 1957, N° 3, p. 1.
« Умение красиво одеваться и состоит в том, чтобы выбрать из всех фасонов платьев, из всех вариантов цветовой гаммы, из всех возможных украшений сочетание, полностью соответствующее именно тем внешним данным и тому складу характера, для которого этот костюм предназначен. Можно ли совсем игнорировать моду и одеваться, не подчиняясь ей? Нет, сохраняйте свои индивидуальные особенности, свой «стиль», считайтесь со своими достоинствами и ли недостатками, но, в той или иной мере, следуйте моде, иначе вы рискуете стать смешной »

[56] [an], sans titre, Elle, N° 421, le 4 janvier 1954, p. 26.

[57] [an], sans titre, Modeli sezona, automne-hiver 1959-60, p. 9.
« Костюмы с короткими жакетами очень юны и привлекательны, как с узкой, так и с широкой юбкой »

[58Ibid., p. 9.
« Но они недостаточно практичны и не всем идут. Поэтому их чаще делают из недорогих тканей, на один-два сезона. Для более практичного костюма предлагается жакет несколько длиннее, в различном силуэте: прямой или прилегающий в талии, не слишком затянутый »

[59] Sofia Razumovskaâ, « Dlâ požilogo vozrasta » (« Pour l’âge mûr »), Žurnal mod, 1957, N° 3, troisième de couverture.
« Не нужно для пожилых женщин создавать какую-то особую моду, как это некоторые думают. Если пожилая женщина не будет придерживаться общего основного модного характера силуэта, она будет выделяться из толпы своей нелепой старомодностью. Но для того, чтобы не подчиняться моде слепо, в ущерб своей внешности, нужно, зная свои недостатки и достоинства, уметь подчинять моду себе. Небезынтересно привести мнение французских модельеров по этому вопросу. Французские модельеры считают, что пожилая женщина может и должна быть элегантной – они не признают никаких уступок возрасту. Женщина 50 лет не должна застывать на той моде, которая ей шла в дни ее юности. Если она не хочет выглядеть старше своих лет, она должна одеваться по моде сегодняшнего дня. Туалет ее не должен бросаться в глаза, но должен быть красивым и модным. Она должна уметь причесаться к лицу, выбрать изящные, но не слишком броские дополнения к туалету »
Les mêmes idées se trouvent chez Levašova A., « Požilym ženščinam » (« Pour les femmes d’âge mûr »), Žurnal mod, 1959, N° 4, p. 11. Bien qu’elle s’adresse à une catégorie précise de lectrices selon la contrainte de classification, elle leur conseille de suivre les mêmes tendances de mode, « habilement et sans exagérations ».

[60] A Paris, la première Maison de haute couture qui créait des collections pour enfants était celle de Jeanne Lanvin (1867-1946). La Maison Christian Dior, quant à elle, a été le premier établissement de haute couture à avoir entrepris la confection industrielle de vêtements d’enfants en 1967.

[61] Žurnal mod, 1959, N° 1, p. 34.

 

Pour citer cet article

Larissa Zakharova, « Les transferts des énoncés du discours de la mode occidentale dans la presse de mode soviétique dans les années 1950-1960 », in Sylvie Martin (dir.) Circulation des concepts entre Occident et Russie, [en ligne], Lyon, ENS LSH, mis en ligne le 10 décembre 2008. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article150