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Le déterminisme linguistique en Russie actuelle

Patrick SERIOT

Université de Lausanne

Index matières

Mots-clés : Néo-humboldtianisme; linguistique, déterminisme; rapport langue/pensée; imaginaire; science en Russie
Neo-Humboldtianism; linguistics; determinism; language and thought relationship; imaginary; science in Russia.

Plan de l'article

Résumé - français

Depuis la fin de la perestroïka s'est mis en place en Russie un discours identitaire qui, en linguistique, prend des formes extrêmes, reposant sur un strict déterminisme de la pensée par la langue. Les organismes de financement de la recherche scientifique soutiennent des projets qui étudient le rapport entre la grammaire russe et le « caractère national russe ». Des objets nouveaux apparaissent : « l'image linguistique russe du monde », « la personnalité linguistique », la « linguoculturologie ». Cet ensemble discursif construit dans l'imaginaire une identité collective rassurante, reposant sur l'idée que 1) tous les gens qui parlent la même langue pensent de la même façon; 2) les langues, donc les pensées collectives, sont imperméables entre elles, et donc intraduisibles. Cette tendance néo-humboldtienne dans la linguistique russe actuelle se déploie en toute méconnaissance de ses origines historiques : le Romantisme allemand dans son opposition à la philosophie des Lumières, le positivisme évolutionnisme d'Auguste Comte et la linguistique déterministe de l'Allemagne des années 1930.

Résumé - anglais

Since the end of perestroika, in linguistics in Russia, a new form of discourse has taken place, which stresses a very tight determinism of thought by language. The funding organizations of scientific research back up projects studying the relationship between Russiangrammar and the « Russian national character ». New objects of knowledge come to light : « the Russian linguistic image of the world », « linguistic personnality », « culturology ». This kind of discourse builds up an imaginary comforting collective identity, which relies on the principle that 1) all the people who speak the same language think the same way; 2) languages, hence collective kinds of thought, are hermetically closed to each other, and untranslatable. This neo-humboldtian trend in contemporary Russian linguistics has no knowledge of its historical origins : German Romanticism in its Anti-Enlightenment trend, evolutionnist positivism of Auguste Comte, and deterministic linguistics in Germany in the 1930s.

Texte intégral

Si la biologie moléculaire ou la physique des plasmas semblent constituer un seul et même corps d'énoncés scientifiques pour l'ensemble de la communauté mondiale des spécialistes de ces domaines, curieusement, il n'en va pas de même pour la linguistique. On sait que dans les années 1930, deux pays voisins comme la Tchécoslovaquie et l'Allemagne présentaient des orientations et des thèmes de recherche en linguistique extrêmement différents, voire incompatibles. On sait moins que le paysage de la linguistique dans la Russie post-soviétique se présente sous un aspect déconcertant pour des chercheurs occidentaux non préparés à rencontrer une doxa scientifique reposant sur des fondements aussi dissemblables des leurs. La linguistique, ou, plus généralement, le discours sur la langue en Russie post-soviétique, est une configuration épistémique qui attend encore une étude approfondie. Le présent article est une première tentative d'approche des systèmes de représentation dans une des variétés peu explorées du discours savant en Russie post-soviétique. Il a pour but d'explorer les raisons et les origines historiques de cette différence.

Cognitivisme ou néo-humboldtianisme ?

Depuis la fin des années 1980 sont apparus dans la linguistique en Russie des objets de recherche étonnants aux yeux d'un « Occidental » : âzykovaâ kartina mira [‘l'image linguistique du monde’], âzykovajâ ličnost’ [‘la personnalité linguistique’], âzykovoe soderžanie [‘le contenu linguistique’]. La liste de quelques titres est suffisamment éloquente : K. Kas’ânova : O russkom nacional’nom xaraktere (Moskva, 1994) [‘Sur le caractère national russe’]; Z. Tarlanov : Âzyk i ètničeskij mentalitet, Petrozavodsk, 1995 [‘La langue et la mentalité ethnique’]; Alla Mel’nikova : Âzyk i nacional’nyj xarakter (Sankt-Peterburg, 2003) [‘La langue et le caractère national’].

Les grands organismes de financement de la recherche comme le RGNF soutiennent des projets tels que « le caractère national du peuple russe dans la syntaxe du russe » ou « l'image linguistique russe du monde dans les prépositions du russe ».

Les préfaces et introduction méthodologiques de ces ouvrages sont utiles à éudier, parce qu'elles présentent de façon explicite ce qui est ensuite sous-entendu dans le corps du livre. Une idée très répandue de ce type de texte est qu'il existe deux orientations antithétiques en linguistique : celle qui part de la forme (approche sémasiologique) et celle qui part du contenu (approche onomatologique). Le système de valeur qui soutend cette division est clair : chacune de ces préfaces est un vibrant appel à une approche par le contenu, et se présente comme une combat contre une science formaliste dominante, qui a la particularité d'être souvent dénommée « linguistique étrangère ». Cette science « formaliste » est décrite sous la forme d'un manque : elle est celle qui oublie, qui ne tient pas compte, qui néglige le « contenu ».

La position à partir de laquelle ces textes sont rédigés est celle du ressentiment[1] : la mauvaise linguistique est « encore dominante », elle empêche encore la bonne linguistique de se mettre en place. Il faut donc travailler à contre-courant pour faire triompher une approche qui est à la fois un retour à une époque oubliée (Humboldt) et une avancée vers une science nouvelle (le « cognitivisme »).

« En linguistique, le courant dominant reste encore celui qui fut fondé par L. Bloomfield et N. Chomsky. Le principe général de cette approche est l'étude de la langue du point de vue formel. D'un côté, on ne s'occupe pas de la langue en tant que porteuse de significations, de l'autre, on nie jusqu'à la possibilité que le procédé même de formalisation du matériau linguistique puisse être interprété du point de vue de sa signification. »[2]

Notons que cet ensemble de phénomènes ne date pas du jour de la désintégration de l'Union Soviétique : il y a certes eu une inflation des mots mentalitet, mental’nost’, nacional’nyj xarakter, depuis 1990, mais la perestroïka avait déjà donné libre cours à une problématique de la spécificité nationale dans le rapport langue / pensée. On peut citer à ce propos les ouvrages de Ju. Karaulov, qui fut directeur de l'Institut de la langue russe de l'Académie des sciences à Moscou à partir de 1982, et qui a lancé l'idée de « personnalité linguistique » dès les années 80.

Ju. Karaulov avait commencé, dès son arrivée au poste de directeur de l'institiut de la langue russe de l'Académie des sciences à Moscou, à mettre en place une orientation nettement onomatologique, « du concept au mot », dans Russkij semantičeskij slovar’. Opyt avtomatičeskogo postroeniâ tezaurusa ot ponâtiâ k slovu, Moskva, 1982 [Dictionnaire sémantique russe. Essai de construction automatique d'un thesaurus du concept au mot].

Ses ouvrages les plus connus est les plus influents sont Russkij âzyk i âzykovaâ ličnost’, Moskva : Nauka, 1987 [La langue russe et la personnalité linguistique] et Nacional’naâ specifika âzyka i ee otraženie v normativnom slovare, Moskva : Nauka, 1988 [La spécificité nationale de la langue et son reflet dans le dictionnaire normatif]

Karaulov s'est beaucoup intéressé à la théorie des « champs sémantiques », qu'il définit comme des « multiplicateurs sémantiques des unités lexicales, permettant, à partir d'une liste non ordonnée de mots, d'établir des groupes sémantiquement liés »[3].

Mais c'est la notion de personnalité linguistique, qui constitue le centre du travail de Karaulov. Pour lui, elle est à la fois ce qui définit le locuteur d'une langue particulière, et « le facteur fondamental de formation du thesaurus. Le réseau verbal associatif soutient le thesaurus et forme les traits de la personnalité linguistique qui la rendent unique [unikal’noj] »[4].

Karaulov s'appuie sur Saussure pour s'en démarquer : pour Saussure, selon Karaulov, « derrière chaque texte se cache le système de la langue », mais Karaulov lui oppose son propre aphorisme : « derrière chaque texte se trouve la personnalité linguistique »[5]. On va ainsi trouver au centre de l'étude non plus la signification comme telle, mais « la signification du locuteur » et « la signification de l'auditeur ». Cette problématique est saluée par le biographe de Karaulov comme « un retour de la tradition philologque aux idées de l'herméneutique philosophique, qui lie la compréhension du texte (la déchirure du cercle herméneutique) à la compréhension de la personne de l'auteur du texte »[6].

La personnalité linguistique est bien ainsi un ensemble de traits propres à un individu, elle se caractérise « non seulement par la maîtrise de la langue, mais aussi par le choix (social, personnel, des moyens linguistiques des différents niveaux, ainsi que par la vision du monde déterminée par son image linguistique du monde. Une partie de l'étude proprement linguistique est constituée par les buts, les motifs et les tâches de l'activité de parole de l'homme. La personnalité linguistique dans la monographie de Ju. Karaulov La langue russe et la personnalité linguistique (1987) est organiquement liée à la culture nationale »[7].

La méthode préconisée par Karaulov pour étudier la personnalité linguistique est l'étude des « réactions associatives » suscitées chez un locuteur à partir d'un lexème. A la base des livres Russkij associativnyj slovar’ (Moscou, 1994) et Associativnaâ grammatika russkogo âzyka (M, 1993), il tente, à partir des chaînes d'associations données par les enquêtés, à « reconstruire les réseaux d'associations verbales uniques pour chaque personnalité linguistique et qui en même temps contiennent des composants universaux pour une communauté linguistique donnée »[8]. Cet ensemble de traits est considéré par A. Baranov comme à la fois un retour à la tradition philologique anthropocentrique et un « renversement conceptuel » radical.

Mais il est des textes beaucoup plus explicitement engagés dans un déterminisme radical de la pensée individuelle par la langue du groupe. C'est ainsi que depuis la fin de la perestroïka et la désintégration de l'Union soviétique s'est mis en place un paradigme néo-humboltien très marqué. Ce grand ensemble néo-humboldtien, très présent dans la linguistique russe actuelle, est quasiment inconnu des linguistes occidentaux en dehors des slavistes, parce les textes ne sont pas traduits.[9] Ainsi, la plus grande représentante du déterminisme linguistique, la linguiste polonaise Anna Wierzbicka, est citée en « Occident » pour sa métalangue sémantique universelle, ses « semantic primitives », beaucoup plus que pour ses travaux ethno-psycho-linguistiques, abondamment traduits, cités et salués en Russie.

La dénomination de néo-humboldtianisme n'est pas utilisée en Russie actuelle. On dit plus communément cognitivisme, ethno-linguistique ou linguo-culturologie, voire ethno-herméneutique, ou, plus généralement culturologie. Mais dans tous les cas il s'agit bien d'étudier la relation langue/pensée, en insistant sur le rapport de détermination de la dernière par la première. On utilisera ici la notion de néo-humboldtainisme comme métaterme. Il s'agit d'un corpus immense, aux frontières floues, mais largement présent en Russie actuelle.

Parfois la différence de « contenu de pensée » entre les langues est attribuée à une différence de conditions de vie (elle est une conséquence), parfois au contraire, elle est un point de départ mystique (elle est alors une cause première). Mais les néo-humboldtiens russes sont fascinés par la différence des langues comme fondement de la singularité de la Russie, c'est-à-dire d'eux-mêmes. L'idée générale, constamment répétée, est une revendication et une justification de la différence entre la Russie et le reste du monde, ce monde étant essentiellememt l'« Occident ». Peur de la mondialisation (globalizacijâ), peur d'une agression extérieure, ce thème n'est pas nouveau en Russie, il remonte aux vieux thèmes slavophiles du ressentiment.

Un point à remarquer dans la rhétorique du néo-humboldtainisme russe est l'appel constant à l'évidence, c'est-à-dire l'absence totale de méthode hypothético-déductive. Ici, l'affirmation vaut preuve. Voici un exemple dans l'introduction d'un article :

« De tout temps, la langue a été la caractéristique la plus marquante de l'ethnos. »[10]

ou bien au cours de la discussion sur l'ontogénèse :

« Il me paraît hors de doute que lors de l'acquisition de la langue maternelle par l'enfant se forme un réseau filtrant obligeant à interpréter le monde dans des catégories déterminées. »[11]

Dans ce texte, aucune définition n'est donnée de la notion de « catégorie », mais l'important est celle d'interprétation du monde.

Le néo-humboldtianisme peut apparaître sous diverses hypostases, parmi lesquelles la linguoculturologie occupe une place importante. En voici une définition :

La linguoculturologie est la partie de l'ethnolinguistique qui est consacrée à l'étude et à la description de la correspondance entre la langue et la culture dans leur interrelation synchronique. […] La linguoculturologie étudie avant tout les processus communicatifs vivants et le lien entre les expressions linguistiques qui y sont utilisées et la mentalité du peuple prise dans son fonctionnement synchronique. […] L'objet de la linguoculturologie est étudié au carrefour de deux sciences fondamentales : la linguistique et la culturologie. Cette dernière étudie l'attribut de l'homme qu'est son auto-conscience. […] Pour l'analyse linguoculturologique […] le concept de culture est un concept de base. […] La culture est une vision du monde et une compréhension du monde, possédant une nature sémiotique. […] La culture est la mémoire historique du peuple. Et la langue, grâce à sa fonction cumulative, conserve cette mémoire, rendant possible le dialogue entre les générations, non seulement du passé au présent, mais aussi du présent au futur.[12]

Un simple sondage sur internet permet de se faire une idée des sujets de thèse qui sont soutenues actuellement en linguistique en Russie. Essentiellement, les recherches des jeunes doctorants tournent autour de l'idée que la langue russe possède une « image linguistique spécifique du monde » (âzykovaâ kartina mira) à l'intérieur de ses structures lexico-grammaticales.

« Le linguo-culturème DURAK (‘imbécile’) dans l'image linguistique russe du monde » (Saint-Pétersbourg, 2004).

Une voie d'accès à ces spécificités propres au sémantisme de la langue russe est l'analyse des « champs sémantiques », donnée comme s'inscrivant dans le champ structuraliste, ou bien dans celui du cognitivisme :

« La concepto-sphère ‘vstreča / privetsvie - proščanie / rasstavanie’ dans la langue russe : aspect systémique et cognitivo-fonctionnel » (Ufa, 2004)
« Le modèle cognitif de la perception dans la langue russe, à partir des phraséologismes comportant les composantes ‘œil’, ‘oreille’, ‘nez’ » (Tomsk, 2005)

La plupart du temps, l'étude de ces « concepts » de l'image linguistique russe du monde se fait en dehors de toute perspective historique : la kartina mira est un objet a-temporel.

« Le concept russe de VOLÂ (‘volonté’) : du lexique au texte » (Ekaterinburg, 2004);
« Le concept politika dans l'image linguistique russe du monde » (Barnaul, 2004)
« Le concept bor’ba [‘lutte’] dans l'image linguistique russe du monde » (Tjumen’, 2005)
« Le champ sémantique de izmenenie [‘changement’] dans l'image linguistique russe du monde : aspects structurel, fonctionnel, cognitif » (Moscou, 2005)

Mais parfois c'est l'évolution de ces « concepts » qui est étudiée :

« L'actualisation du concept AMERIKA dans la langue russe contemporaine, à partir des textes d'essaisme » (Arxangel’sk, 2004)
« Description synchronique et diachronique du concept d'ESPOIR dans la langue russe » (Abakan, 2004)
« Le champ sémantique du jugement éthique dans son évolution historique, à partir de la langue russe » (Ufa, 2004)
« Le champ sémantique XUDOJ [‘mauvais’] dans la langue russe : évolution du concept » (Tomsk, 2004)

ou bien le corpus de départ est un sous-ensemble de la langue et le but à atteindre est la « personnalité linguistique nationale russe » :

« Etude linguo-culturologique de la personnalité linguistique nationale russe, à partir des aphorismes » (Moscou, 2004)

Le but de la recherche peut être l'« homme intérieur », ou l'homme tout court :

« L'homme intérieur dans l'image linguistique russe du monde : le potentiel associatif d'images et la pragmastylistique des catégories sémantiques d'‘espace’, ‘sujet’, ‘objet’ et ‘instrument’ » (Omsk, 2004)
« L'anthropologisation des technicismes dans la langue russe contemporaine : le problème de l'image de l'homme dans l'image linguistique russe du monde » (Omsk, 2004)

ou bien la « pensée linguistique russe » :

« Les paradigmes logico-linguistiques de la pensée linguistique russe : aspect linguo-culturologique » (Moscou, 2005)

Parfois un même thème semble être repris plusieurs fois avec peu de variantes :

« La conceptualisation de la famille dans l'image linguistique russe du monde » (Tomsk, 2005)
« Le concept de SEM'Â [‘famille’] dans le genre des généalogies familiales » (Belgorod, 2005)

« Le système de désignation du bien et du mal dans la langue russe : analyse sémantico-structurelle du champ sémantique » (Moscou, 2004)
« La représentation mentale et linguistique des concepts de bien et de mal dans la conscience linguistique russe » (Tambov, 2004)

« Le concept trud (‘travail’, ‘labeur’) comme objet d'idéologisation » (Ekaterinburg, 2004);
« Le concept trud dans la langue russe, à partir des proverbes et dictons » (Tjumen’, 2004)

Le point de départ peut ne pas être une unité lexicale, mais une notion générale :

« Le temps dans l'image linguistique russe du monde : aspect linguo-culturologique » (Moscou, 2004)
« Le lexique des repas de fête [zastol’e] dans l'image linguistique russe du monde » (Moscou, 2004)
« Le lexique mythologique de la langue russe dans son aspect linguo-culturologique et les principes de sa description lexicographique » (Saint-Pétersbourg, 2004)

ou bien une construction syntaxique (la structure impersonnelle est un thème très répandu) :

« La catégorie de l'impersonnalité et les propositions impersonnelles dans l'image linguistique russe du monde » (Ufa, 2004)
« La sémantique des propositions impersonnelles » (Moscou, 2004)

La même problématique peut être étudiée non plus à partir de la langue russe en tant que telle, mais chez un auteur particulier :

« Le concept RAZVITIE [‘évolution’, ‘développement’] dans l'image linguistique russe du monde et les particularités de sa verbalisation dans l'œuvre de V. Rasputin, 1994-2003 » (Čeljabinsk, 2004)
« Le concept DOM / RODINA [‘maison’ / ‘patrie’] et son incarnation verbale dans le style individuel de M. Cvetaeva et la poésie de l'émigration russe de la première vague : aspect comparatif » (Moscou, 2004)
« Les concepts de monde intérieur de l'homme dans les chroniques russes, à partir des concepts d'âme, cœur, esprit » (Ekaterinburg, 2004)

Tous ces travaux concernent essentiellement la langue russe. Les études comparatives sont rares, elles sont le fait de doctorants en langues étrangères :

« La conceptosphère ‘culture religieuse’ dans le folklore chanté russe, anglais et allemand : analyse transculturelle » (Kursk, 2005)

Enfin, un objet souvent étudié est la « personnalité linguistique russe » (russkaâ âzykovaâ ličnost’) :

« La création verbale comme phénomène de la personnalité linguistique : engendrement, fonctionnement, usualisation d'un mot nouveau » (Belgorod, 2004)
« Les comparaisons dans la parole de la personnalité linguistique dialectophone » (Tomsk, 2004)
« La personnalité linguistique du dialectophone sous l'aspect du genre de parole » (Tomsk, 2005)
« La personnalité linguistique dans l'hypertexte d'internet, à partir de la syntaxe expressive des genres électroniques dominants » (Taganrog, 2004)

Les Russes et leurs autres : Les Français

Le but de l'affirmation identitaire est de fonder, de justifier une différence intrinsèque entre soi et les autres. L'étude des autres tient souvent le rôle de faire-valoir de sa propre identité. Mais il est bien intéressant de voir comment l'« autre » est présenté, c'est-à-dire imaginé, à partir des textes néo-humboldtiens. Voyons donc ce qu'est l'« autre » quand il est français.

Ainsi, nous voyons que le concept français de bien, dans l'écrasante majorité des contextes, ne correspond pas au concept russe de dobro. Nous voyons que sous ce concept se trouve une idée totalement différente : une idée avant tout pragmatique. La caractérisation correspondante de l'homme par l'adjectif acquiert un autre sens et une connotation souvent négative. Nous voyons également que bien est extrêmement peu imagé, on peut tout au plus dire qu'il est plutot réifié et passif, mais ses possibilités de collocation sont insuffisantes pour entirer des conclusions plus détaillées. On peut aussi constater que ce concept n'est pas la composante principale de la conscience quotidienne, qui déterminerait la conduite des gens et permettrait de les évaluer de ce point de vue. C'est sans doute ce qui explique l'image, très souvent rapportées, que les Russes ont des Français comme de gens froids, circonspects, qui n'usent pas du concept d'amitié [družba] (pour les porteurs de la conscience russe l'idée d'amitié est liée, de notre point de vue, avant tout à celle de désintéressement et de bonté réciproque), qui traitent l'amour de manière incompréhensible (pour les Russes, l'amour c'est quand on fait le bien à ceux qu'on aime), et qui ne sont capables de compassion que dans une mesure très restreinte. Il semble que l'idée de bien soit un des paramètres qui reflètent la spécificité de la mentalité russe par rapport à la mentalité française.[13]

Ce livre, écrit par une enseignante de français, est exclusivement et explicitement lexicocentré, par exemple autour d'une comparaison entre le « groupe lexical » russe sud’ba, učast’, dolâ, rok, providenie et le « groupe lexical » français destin, destinée, fortune, sort, providence. Ce groupe a été sélectionné par l'auteur pour « étudier la façon dont sont représentées les forces supérieures dominantes qui déterminent la vie de l'homme en français et en russe »[14]. L'ouvrage a pour but de répondre aux questions suivantes :

1. Quel degré d'activité est attribué à ces forces dans les deux langues ?
2. Quel degré d'activité est attribué à l'homme dans les deux langues ?
3. Comment ces forces sont évaluées dans les deux types de conscience nationale ?
4. Avec quelles idées sont-elles associées ?
5. Quelles sont leurs connotations imagées ? Où est ici la coïncidence et où est la ressemblance ?
6. Lesquels des termes énumérés sont centraux pour exprimer l'idée correspondante (c'est-à-dire, quels accents met chaque langue pour traiter le concept lui-même et ses images ?)

Golovanivskaja considère que :

« En français, 5 termes sur 6 sont actifs, alors qu'en russe 3 sur 6. Mais l'activité des forces supérieures en français est très réduite en comparaison avec l'activité des ‘termes russes actifs’. En russe l'homme est essentiellement passif devant ces forces, en français il est plus actif. En russe est plus marquée la répartition de ces forces en bonnes et mauvaises, la conscience russe a une vision contrastée du monde en ce domaine, alors qu'en français le négatif est affaibli, et toutes ces forces peuvent être aussi bien bonnes que mauvaises. Les concepts russes et français se trouvent dans des séries associatives absolument différentes : en russe, le destin est une condamnation (comme la condamnation d'un tribunal) et un lot, une part (dolâ est la partie d'un tout, c'est l'idée du destin collectif d'une communauté), alors qu'en français le destin est écrit à l'avance, il favorise l'épanouissement, le destin est un sort qui est jeté (žrebij). En russe les connotations imagées sont une femme capricieuse, un texte, un chemin; en français c'est un être qui n'agit qu'à sa guise, un sort qui est jeté. En russe le concept principal est sud’ba (animé, féminin, actif, puissant, qui n'en fait qu'à sa tête, irresponsable, jugeant, condamnant), alors qu'en français le sort est pensée plutôt comme inanimé, même si on peut trouver aussi des contextes personnifiants, il n'a pas autant de connotations imagées et est associé plutôt à l'idée de sort jeté. Le mot sort « n'aime pas » la position de sujet grammatical, alors que le mot sud’ba la préfère. »

Ce type de recherche pourrait s'apparenter aux travaux sur la sémantique du prototype en France[15]. Mais elle débouche en fait sur une psychologie générale et comparée des peuples. Ex : la série opasnost’, ugroza, risk // danger, péril, risque, menace.

« La comparaison de ces concepts montre là aussi des sources prototypiques totalement différentes des termes français et russes. En russe opasnost’ est liée à l'idée d'attention (opasnost’, c'est l'attention de celui qui fait paître son troupeau [pasti : ‘faire paître’[16]], en le protégeant des prédateurs) et à celle d'élément déchaîné, en français c'est l'idée de pouvoir du faible sur le fort, d'épreuve et de cruauté. Nous voyons ainsi que le danger français est socialisé, alors que le danger russe est spontané. En russe, l'homme est passif et est toujours pensé comme une victime potentiel du danger. Dans la conscience française, l'homme est actif et sait s'opposer, il sait priver ces forces de leur perfidie cachée. Ici nous voyons une différence nettement marquée dans la relation à l'idée de responsabilité : le Russe aime le risque et vit avec l'idée que avos’ proneset [‘ça va bien passer tout seul’, ‘ça devrait marcher comme ça’], alors que le Français vit dans un système de garanties et d'assurances dirigé contre le danger et le risque. »[17]

On en vient ainsi peu à peu au topos le plus répandu dès qu'il s'agit d'expliquer la différence entre « les Russes » et les « Occidentaux » : l'opposition actif / passif.

« L'autoconscience [samosoznanie] française prescrit à l'homme de se battre contre les forces hostiles supérieures et d'attirer les forces positives de son côté. L'autoconscience russe est faite de sacrifice et d'humilité dans la plupart des cas. Même quand la situation présente clairement l'homme comme patient, la langue française s'efforcera de l'‘activer’. Ainsi, quand quelqu'un s'est blessé, on lui demandera ‘Comment tu t'es fait cela ?’, au lieu du russe ‘Kak èto proizošlo ?’ [Comment cela est-il arrivé ?’]. »[18]

Ici les « Occidentaux » sont « les Français », mais parfois, et le plus souvent, ce sont « les Américains », essentiellement chez Anna Wierzbicka. Mais l'essentiel est que « les Russes » sont passifs et que « les Occidentaux » sont actifs.

Les Russes et leurs autres : Les Italiens

Les Italiens vus par les néo-humboldtiens russes ont un évident air de famille avec leurs Français. Je m'appuie ici sur l'analyse que fait Lucyna Gebert (Université de la Sapienza, Rome[19]) d'un livre du Jurij Rylov[20].

Rylov adopte, comme tant d'autres, une démarche déterministe. Il cherche à mettre en évidence un rapport strict entre culture, « mentalité » et structures linguistiques, et, plus précisément syntaxiques :

« Le modèle syntaxique possède en lui-même une valeur pour la connaissance, un immense potentiel cognitif qui reflète la vision du monde qu'ont les êtres humains. »[21]

Rylov pense que le grand nombre de termes exprimant l'indétermination en russe (kakoj-to, kakoj-nibud’, koe-kakoj, etc.) fait partie de la « dominante sémantique » du russe. En remarquant que les équivalents italiens sont la plupart formés sur la base de uno (cadauno, ciascuno, ognuno, taluno, certuno…), il en tire une conclusion généralisante sur le « comportement individualiste des Italiens ». Il rapporte ce fait grammatical à une observation personnelle qu'il a faite alors qu'il travaillait à l'Université de Rome, à savoir l'habitude de l'administration universitaire d'envoyer à ses correspondants une lettre individuelle de convocation à une réunion, plutôt que de poser une affiche dans un local commun, comme cela se fait en Russie. Son raisonnement d'ethno-linguistique consiste en ce que cette habitude serait « selon toute probabilité »[22] liée au fait que les quantificateurs correspondant à každyj, comme ciascuno, sont associés en italien au numéral uno, alors qu'en russe každyj est associé essentiellement à l'adjectif vse ‘tous’. Il ne donne aucune preuve empirique ou théorique de cette « association », mais L. Gebert fait observer que l'habitude des lettres individuelles ne s'était pas développée en Union Soviétique essentiellement à cause de la pénurie de papier, et non pas parce que la langue russe ne disposerait pas d'une gamme d'expressions reposant sur le numéral ‘un’[23].

Un autre exemple de la méthode de Rylov est son étude des « dominantes sémantiques » relatives au domaine verbal et adjectival des deux langues. Il s'agit du verbe « fare » [‘faire’] en italien là où le russe utiliserait un verbe spécifique : les expressions idiomatiques fare l'autostrada, fare l'università ou les reprises io vado a dormire, fallo anche tu [‘je vais dormir, fais-en de même’], ou les causatifs far cadere [‘faire tomber’]. Ces particularités de l'italiens, extrêmement proche en cela du français, suscitent chez Rylov un commentaire qui reprend l'ensemble de clichés sur la psychologie comparée des peuples que nous avons déjà vue :

« ‘fare’ indique un rapport actif envers la réalité extérieure, ce qui se reflète dans le caractère national des Italiens, qui est actif et entreprenant. »[24]

On voit que « les Italiens » et « les Français » sont des entités interchangeables : ils sont les Autres des Russes, ces gens actifs et entreprenant que les auteurs des textes étudiées considèrent comme un contre-modèle.

Configuration épistémique du néo-humboldtianisme russe

Un discours qui rassure

Le constat d'une différence n'a de sens que si on cherche à en expliquer les fondements. Nous allons maintenant tenter de mettre en évidence les bases épistémologiques, philosophiques et idéologiques du discours sur la langue des néo-humboldtiens russes. Mais il s'agit la plupart du temps d'une philosophie spontanée, implicite : les néo-humboldtiens ne s'occupent que rarement d'épistémologie. La linguistique en Russie attend encore d'être abordée par une approche épistémologique, et pas seulement sociologique.

En premier lieu, on constatera un parallélisme strict entre formes de langue et contenu de pensée : si des locuteurs ont une langue qui a une structure de la proposition « žestkaâ » (à ordre des mots fixe, par ex. l'allemand), ils considèrent le monde comme une formation logique. A l'inverse, les Russes, avec un ordre des mots beaucoup plus libre, voient le monde comme totalement désordonné[25].

« En analysant la spécificité de la structure de la proposition en russe, et plus précisément l'absence d'un ordre strict des mots, on peut considérer qu'au niveau psychologique cela entraîne la formation d'une compréhension du monde spécifique : la vision du monde, enracinée dans une couche inconsciente, comme d'un ensemble privé de structure générale [vseob"emljuščej]. »[26]

Ce type de raisonnement implique une confiance absolue dans le sens littéral des mots et des expressions : une forme possède une signification et une seule. Ce qui signifie également, comme chez G. Orwell dans 1984 ou comme chez V. Klemperer dans La langue du troisième Reich, que l'absence d'un mot implique nécessairement l'absence du contenu correspondant. Si les « Occidentaux » n'ont pas le mot avos’ dans leur langue, ils ne peuvent même pas s'imaginer ce qu'il peut vouloir dire.[27] Autrement dit, la langue EST un contenu (et non pas seulement A un contenu).

De même, la foi absolue dans le sens littéral des mots fait concevoir une « pensée nationale » enracinée dans une étymologie tenant lieu de sens vrai. Ainsi on trouve en Ukraine bien des linguistes qui pensent que la « mentalité ukrainienne » est plus paisible, plus pacifique, plus affable que son équivalent russe, en s'appuyant sur une étymologie du sens propre. Le verbe ukrainien pour ‘se marier’ est podružytysâ (littéralement ‘devenir amis’), alors qu'en russe on dit (pour une femme) vyjti zamuž (littéralement ‘sortir derrière son mari’). Les relations entre hommes et femmes sont donc supposées être plus appaisées en Ukraine qu'en Russie du fait de la phraséologie utilisée par la langue.

Mais dans ces comparaisons avec l'Autre, le sens magnifié est bien entendu inversé dès qu'on passe dans le camp opposé. Reprenons l'image du couple et du mariage, cette fois-ci dans le discours néo-humboldtien russe.

On a vu que dans la « linguistique orwellienne » si un mot manque, alors le concept manque. Ici on va plus loin : l'introduction d'un mot dans une langue entraîne l'introduction d'une chose ou d'un comportement dans le réel. Ainsi en va-t-il de l'article de Ljudmila Saveleva, dans le recueil de Z. Tarlanov Âzyk i ètničeskij mentalitet, 1995. Les lamentations sur l'invasion des anglicismes ne sont pas une spécificité russe, la France peut en présenter tout autant (problématique du purisme). Mais ce qui est plus particulier est une inversion du rapport de causalité : l'idée que l'intrusion d'un mot est en même temps celle de la chose (et non l'inverse) : le purisme linguistique a ici non seulement pour but de protéger la langue, mais aussi de maintenir l'identité ethnique, ancrée dans les mots et les formes de la langue « maternelle » (rodnoj) ou « littéraire » (literaturnyj). L. Saveleva souligne l'incompatibilité des nouveaux concepts véhiculés par les mots étrangers avec la langue et la mentalité russes. Ces mots, selon elle, modifient l'orientation de la conscience collective, car ils ne sont pas synonymes de mots russes déjà existants et ils sont privés de mémoire historique pour les locuteurs russes. Dans la culture (capitaliste) anglo-américaine, le mot best-seller (qui devient en russe bestseller) désigne un livre ou un disque qui jouit d'un grand succès commercial, il est définit par la quantité des ventes. Pour la « conscience russe », au contraire, jusqu'à présent, la valeur d'un ouvrage était lié à l'idée d'art, de valeur culturelle intrinsèque. Cette divergence crée ainsi une perception différente du livre, elle implante dans la conscience de masse des locuteurs russes un autre système de valeurs, une perception marchande de l'art.

Un autre exemple donné par Saveleva est celui des relations entre les personnes. Remontant à l'étymologie du mot suprugi [‘les époux’], liée à l'adjectif soprjažennyj [‘lié, ou uni à quelqu'un], elle souligne l'idée d'une union spirituelle, qui est fixée par Dieu, de l'indissoluble union entre les âmes et les corps. Or les mass media ont fait apparaître dans la langue russe un nouveau terme, venant se superposer à suprugi, c'est bračnye partnëry [‘partenaires nuptiaux’]. Ce calque de l'anglais, d'après Saveleva, implante dans la conscience de masse des locuteurs russes un autre système de valeurs, une autre perception des relations familiales, une liberté sans limitation morale.

Mais toutes ces affirmations suscitent immédiatement un ensemble de questions. Par exemple, les nouveaux Russes sont-ils russes, parlent-ils russe ? L'ascétisme, la pudeur et l'anti-hédonisme dont parle Anna Zaliznjak dans de nombreux articles à propos du « bonheur russe » ne semble pas bien convenir aux touristes russes skiant à Courchevel et y menant joyeuse vie.

Le paradoxe est que l'affirmation identitaire, reposant sur une revendication de différence, repose sur la mise en avant de la passivité et du fatalisme supposés (mais jamais prouvés, parce que difficilement prouvables) de la « mentalité russe », autrement dit, sur la magnification d'un orientalisme autrefois péjoré. Mais cela, on le savait depuis Khomiakov et Dostoïevsky. L'important est l'affirmation d'un Sonderweg, mais l'obstacle est que pour y parvenir, il faut imiter les Allemands dans leur propre affirmation identitaire. L'important est de se démarquer de l'Autre par qui on craint de se faire absorber. Mais ce discours différentialiste invente un objet chimérique : « les langues occidentales », « la mentalité occidentale », marquées par l'agentivité ou activité, à la différence de la langue russe et de la mentalité russe, supposées caractérisées par la passivité et le fatalisme. Dans cette volonté de se différencier de ceux qu'on envie mais qu'on n'arrive pas à imiter, pratiquement aucun travail de ce genre n'est effectué avec les langues « orientales » (arabe, turc, chinois) : comme les intellectuels allemands de l'époque des guerres napoléoniennes, l'important est de se choisir un Autre et d'affirmer ensuite sa différence : être macédonien signifie ne pas être bulgare (les Guatémaltèques n'ont aucun rôle à jouer dans ce travail de construction identitaire). C'est pourquoi, pour A.Wierzbicka, être russe (et dire de façon passive Mne xolodno) signifie ne pas être américain (et dire de façon active I am cold).[28]

Mais construire un Autre pour être soi, c'est aussi construire un autre objet imaginaire : une communauté parlante homogène, dont on peut étudier le psychisme collectif. Dans cet univers discursif, un présupposé jamais remis en cause est que tous les gens qui parlent la même langue pensent de la même façon. C'est ainsi que la sociologie est recouverte, ou effacée, par une ethnographie curieusement appliquée aux sociétés industrialisées, sans que ce transfert de modèle ne soit jamais explicité ni remis en question. On n'est plus dans l'ordre de l'humain, mais dans celui de l'ethnie.

Notons que l'univers de la linguistique en Russie actuelle présente à cet égard un tableau particulier. En effet, si en ethno-anthropologie des critiques s'élèvent contre la notion d'ethnos, la linguistique ne se discute pas. Soit on ne s'occupe pas du tout de la mentalité nationale dans la langue, soit on ne fait que ça. Mais aucune explicitation des enjeux, aucun débat contradictoire, aucune « discussion » n'est organisée sur les enjeux du néo-humboldtianisme, comme il y en eut à l'époque soviétique (on peut songer par exemple à la discussion sur la stylistique dans les années 1950[29]).

Les néo-humboldtiens russes ne sont pas Roland Barthes : pour eux la langue n'est pas fasciste. Il n'est pas question de la remettre en cause. Leur travail n'a rien d'une Sprachkritik. Au contraire, elle ressemble à un cocon douillet, univers rassurant qui établit un sens unique et assuré pour chaque mot, chaque expression. Mais c'est aussi une théorie de la non-communication entre les cultures : aucune traduction n'est possible, aucune connaissance réciproque ne peut être envisagée. Puisqu'on ne peut connaître que soi-même, on ne court plus le risque de la comparaison.

Eloge de la coupure

On le sait pourtant depuis Saussure : c'est parce qu'il y a de l'arbitraire que le sens est possible, sans garantie ultime, sans référence dernière, transcendante. L'étymologie n'a rien à nous dire. Il y a une coupure radicale entre le signifiant et le signifié, dont certains n'arrivent pas à se guérir. C'est parce que ce lien est non nécessaire, non motivé que le sens peut évoluer, autrement dit, que nous sommes des êtres humains et non pas des abeilles, qui « communiquent », mais un sens à tout jamais préexistant. Or cette absence de garantie du sens vrai et unique a une autre conséquence : il n'y a aucune garantie extérieure ou collective de notre identité.

Si la théorie du lien intrinsèque entre forme et contenue était vrai, les francophones seraient incapables de faire la différence entre l'action du propriétaire et celle du locataire dans le verbe louer, qui sont pourtant des sens parfaitement antithétiques. Or, tout francophone parlant du coucher du soleil sait très bien que le soleil ne se couche pas, puisque c'est la Terre qui tourne autour de lui et non l'inverse. Il y a donc bien une pensée possible en dehors du sens littéral des mots. De même, des phénomènes tels que l'attraction paronymique, le lapsus, le jeu de mots, le rêve, bref, le travail de l'inconscient, seraient simplement inexistants s'il n'y avait pas d'autonomie du signifiant.

L'ensemble de textes rassemblés ici sous le nom de néo-humboldtianisme ont en commun l'idée que la forme est la clé du contenu. Il ne s'agit pas d'un cratylisme de mimologie (trop primitif, c'est une position intenable et trop universaliste), mais de la fascination pour la « forme interne du mot » (terme de Potebnja), qui a l'avantage d'être compatible avec le relativisme, ce que ne pouvait pas faire le cratylisme initial.

L'insu de l'histoire

La continuité sous les apparences de la rupture

Les néo-humboldtiens russes n'ont aucune préoccupation historique. Ils professent un présentisme radical. Ils ne se posent pas la question de l'origine des formes de langue, de leur transformation diachronique. Mais surtout ils ne s'interrogent pas sur les origines, temporelles et spatiales, de leurs propres idées. Or l'enjeu ici est de reconstituer, à travers la philosophie du langage dominante en Russie actuelle, un mélange curieux de positivisme, de néo-platonisme et de romantisme allemand.

La linguistique russe post-soviétique doit faire face à un défi majeur : comment se débarrasser du marxisme (explicitement ou implicitement) alors qu'elle a le même adversaire : le « formalisme occidental » ?

La théorie de l'image linguistique du monde se présente comme sans histoire(s), sans fond historique. C'est un courant de pensée qui fit appel à une évidence a-temporelle : il existe des peuples, ils ont une image linguistique du monde. Les auteurs ne donnent pas d'explication sur le fait qu'il y a encore 20 ans, le néo-humboldtianisme était considéré comme une théorie idéaliste-subjectiviste[30] propre à la « linguistique étrangère ».

Pourtant, comme dans tant de domaines dans la Russie actuelle, la coupure avec l'époque soviétique n'est pas si nette. Le silence sur les filiations est plus un oubli volontaire qu'un adieu explicite. On donnera ici un seul élément de réflexion, ébauche de piste à explorer.

Mira Guxman en 1961 avait rédigé une critique du néo-humboldtianisme à partir des travaux de L. Weisgerber dans les années d'après-guerre. Or, si les reproches concernaient le « psychologisme » et donc l'« idéalisme », l'adversaire était bien curieusement le même que celui de Weisgerber : la linguistique formaliste, c'est-à-dire Saussure et le structuralisme. Et la caution ultime était donnée par le même ancêtre fondateur de la linguistique que pour Weisgerber : Humboldt était dans cet article considéré comme étant à l'origine de l'idée de « fonction sociale » de la langue[31]. Notons enfin que la notion de âzykovaâ ličnost’ (personnalité linguistique) avait été introduite par V.Vinogradov dès 1930 dans son ouvrage O âzyke xudožestvennoj literarury [‘Sur la langue de la littérature’].[32]

Auguste Comte : la loi des trois états

Il est difficile de trouver une cible de critiques plus constante que le positivisme, aussi bien en Russie soviétique que post-soviétique. Les positivistes sont accusés de tous les péchés du monde, et principalement d'agnosticisme : ils refusent d'aller plus loin que les faits empiriques, ils n'admettent pas l'idée que derrière l'apparence on puisse parvenir aux phénomènes plus profonds, plus cachés. R. Jakobson a les mots les plus durs à leur sujet.[33]

Or cette critique constante a toutes les apparences d'une dénégation. C'est là qu'apparaît l'ombre du père du positivisme : Auguste Comte (1798-1857). En effet, tous les raisonnements sur la structure impersonnelle en russe tournent autour de l'idée que le complément à l'instrumental dans, par exemple :

lodku uneslo tečeniem
la-barque (Acc.) a-emporté (3e pers.sing. neutre) par-le-courant (Instr.
[‘la barque a été emportée par le courant’]

est la trace d'une ancienne « mentalité », ou bien la marque d'une mentalité actuelle, pour laquelle le monde est peuplé de forces « incontrôlables » qui dirigent en fait nos actions.

C'est bien en 1830 qu'Auguste Comte, dans son Cours de philosophie positive avait déjà émis exactement la même idée, à propos de l'« état théologique » :

« Dans l'état théologique, l'esprit humain, dirigeant essentiellement ses recherches vers la nature intime des êtres, les causes premières et finales de tous les effets qui le frappent, en un mot vers les connaissances absolues, se représente les phénomènes comme produits par l'action directe et continue d'agents surnaturels plus ou moins nombreux, dont l'intervention arbitraire explique toutes les anomalies apparentes de l'univers. »[34]

Quant à l'opposition de deux sortes de langues : la langue des choses et celle de la science, qu'on trouve cette fois dans le néo-positivisme des années 1940, elle semble avoir inspiré, peut-être à son insu, l'opposition que fait Ju. Apresjan entre l'« image naïve » et l'« image scientifique » du monde.

Allemagne, années 1930

Il reste, pour finir, un chapitre délicat à écrire. Là encore, on se contentera d'ouvrir quelques directions de recherche, sur un terrain encore quasiment inexploré. Il s'agit des relations entre la linguistique néo-humboldtienne en Russie actuelle et celle qui prévalait en Allemagne dans les années 1930.

En effet, si l'objet est le caractère national de la langue, la méthode est essentiellement d'origine allemande. Prenons l'exemple du « concept » de destin, souvent exploré par les néo-humboldtiens russes. Anna Wierzbicka en a fait un des trois « concepts-clés » de l'image linguistique russe du monde : duša [‘l'âme’], toska [‘la nostalgie’], sud’ba [‘le destin’]. Or le « concept »  de Schicksal était lui aussi attaché à la spécificité de l'image linguistique allemande du monde (deutsche Sprachweltbild) chez les néo-humboltiens allemands. Mais pourquoi une telle proximité d'intérêts entre les deux domaines, séparés par l'espace et par le temps ? Un goût prononcé pour la rêverie et la poésie est une explication un peu courte. J'en proposerai une autre, à savoir que les différents types de néo-humboldtianisme ont tous un adversaire commun : la vision universaliste de la philosophie des Lumières, reposant sur l'idée que l'homme est responsable de ses actions et de ses pensées. Rien de plus opposé à cette philosophie que l'idée d'un destin inexorable et incontrôlable.[35]

On a vu que l'expression âzykovaâ kartina mira est l'exacte traduction de Sprachweltbild. Nombreuses sont les crypto-traductions russes de la linguistique allemande des années 1930. Ainsi en va-t-il du thème général de toute la linguistique reposant sur un strict déterminisme de la pensée par la langue en Allemagne de cette époque, réduction extrême de la théorie humboldtienne, à savoir la Sprachinhaltforschung. Or V. Bondarko a choisi justement l'équivalent de ce terme : âzykovoe soderžanie, comme base de sa syntaxe à base sémantique. Quant à la notion de âzykovaâ ličnost’, elle remonte elle aussi à L.Weisgerber, qui l'utilise dans ses ouvrages : die sprachliche Personlichkeit.

Il est bien certain qu'avoir des crypto-traductions de la linguistique allemande des années 1930 n'implique pas qu'on ait des sympathies particulières et explicites avec une idéologie reposant sur un déterminisme total de la pensée par la langue comme chez Leo Weisgerber (1899-1985), mais la circulation des termes indique au moins une bonne connaissance des sources, primaires ou secondaires.

Ce qu'on remarquera est que le modèle néo-humboldtien est entièrement importé d'Allemagne en Russie, alors que cette origine n'est jamais discutée ni problématisée. Oleg Radčenko, le spécialiste russe de Weisgerber, ne fait aucun parallèle entre le néo-humboldtianisme allemand et son équivalent russe moderne[36].

Mais la comparaison avec l'Allemagne a un effet important : si elle permet de montrer que les thèmes d'un discours de singularité absolue se transmettent si bien d'une culture à l'autre, si la notion de destin ou de peuple caractérisent aussi bien le « caractère national » allemand que le « caractère national » russe, alors on peut commencer à douter des critères de mise en évidence de ces objets prétenduement uniques et inimitables. Voilà l'intérêt de comparer non pas des faits, mais des discours et des métadiscours : la comparaison fait éclater le mythe de l'unicité-singularité (samobytnost’, Sonderweg) des langues, des caractères nationaux, des mentalités, tous termes donnés comme des évidences et des données d'expérience.[37] Mais elle peut faire apparaître également des différences : le discours des néo-humboldtiens russes présente le même narcissisme culturel que celui des Allemands des années trente, mais sans triomphalisme : les Russes ne sont pas supérieurs, ils sont différents.

Voici un dernier exemple de filiation de mode de raisonnement, moins spectaculaire, mais plus subtil. Dans Die volkhaften Kräfte der Muttersprache (1939), Weisgerber explique que le peuple allemand est le seul qui soit désigné par sa langue maternelle, ce qui montre que la destinée de ce peuple est inexorablement liée à sa langue : deutsch provient de duitsk[38].

Dans un même ordre d'idées, Mel’nikova[39] essaie d'illustrer le fait que les catégories grammaticales renferment un mode d'appréhension particulier du monde. Un Russe peut ignorer la différence entre un bouleau et un aulne parce qu'il peut se contenter de la catégorie « arbre », mais la différence entre un arbre et des arbres ne peut en aucun cas être ignorée, parce qu'en russe la différence entre le singulier et le pluriel est obligatoire.[40] Elle s'appuie sur le mot russkij, qui est à la fois un adjectif (‘russe’) et un substantif (‘Russe’). Comment expliquer que cet adjectif se soit substantivé ? L'explication est à trouver dans l'histoire nationale : au IXème siècle, les habitants de Novgorod, incapables de s'administrer, font appel à la tribu scandinave des Ros pour constituer l'élite dirigeante. Ces scandinaves peu à peu soumettent toutes les autres tribus slaves orientales et forment l'Etat russe de Kiev. Initialement, l'adjectif russkij signifiait donc le fait d'être soumis aux Ros, « comme français signifiait être soumis aux Francs »[41]). Il y avait donc, au début, une correspondance totale entre la partie du discours (adjectif) et son emploi. Puis c'est cet adjectif qui est employé comme substantif, sans qu'il y ait formation d'un substantif particulier, comme nemeckij (‘allemand’, adj.) et nemec (subst.). « Ce n'est que pour désigner sa propre nation que la langue russe ne fait pas cette distinction »[42]. Mel’nikova va trouver un fondement grammatical à cette conceptualisation particulière : les substantifs ont pour but de désigner une espèce particulière et non un ensemble, même exhaustif, de propriétés), alors que les adjectifs n'envisagent un objet que par une de ses propriétés. Ainsi, « la nation russe est fondamentalement différente des autres nations, car si ces dernières sont une espèce particulière, la ‘russité’, en revanche, est un ou plusieurs traits de caractère, et non une appartenance nationale » (ib.). Cette singularité exceptionnelle réside pour elle dans le fait de « l'assimilation de nombreuses races et tribus qui non seulement ont une la même histoire que les Russes, mais encore ont élaboré un unique sens du territoire de vie russe. C'est ce qui a rendu possible la formation d'un super-ethnos possédant les propriétés correspondantes de communauté » (ib.). « La nation russe est faite de tous ceux qui prennent part à la culture russe. Véritablement, russkij, ce n'est pas une nationalité, mais l'auto-définition d'un individu.[…] Ce sens particulier est encodé dans le fait que pour désigner la nation russe il n'y ait pas de substantif désignant une espèce singulière, mais seulement un adjectif, employé aussi en tant que substantif. Russkij, fondamentalement, n'est pas une appartenance ethnique directe, mais un ensemble de traits de mentalité. Ces traits sont propres non seulement aux Russes de souche, mais aussi aux représentants des autres groupes ethniques qui partagent la même langue que les Russes, et qui, par cela, ont acquis des traits de caractère fixés par l'adjectif en question »[43].

Conclusion

On soulignera, pour terminer, que le néo-humboldtianisme en Russie n'est pas un phénomène isolé, propre à une spécificité intrinsèque russe. Il ne faut pas se faire relativiste pour étudier un discours relativiste. On remarquera au contraire que cette problématique du lien de détermination langue / pensée, uni- ou bilatéral, parcourt tous les pays depuis environ la fin de la Renaissance, mais quelle a pris une vigueur accrue avec les adversaires de la philosophie des Lumières, ceux que l'historien des idées Isaiah Berlin appelle « the counter-Enlightenment ».

Enfin, le problème est moins de savoir si la langue russe détermine les pensées des russophones que de comprendre pourquoi tant de Russes en sont si intimement persuadés.

 

Notes

[1] Sur la notion de « ressentiment », cf. Angenot Marc, 1996 : Les idéologies du ressentiment, Montréal : XYZ.

[2] Mel’nikova, op. cit., p. 110

[3] Baranov Anatolij, 1995 : « Ju.N. Karaulov. K 60-i letiju so dnâ roždeniâ », Izvestiâ akademii nauk, Serija literatury i âzyka, p. 91-93. [Pour le 60e anniversaire de Ju. Karaulov], p. 92.

[4] Baranov, op. cit., p. 92.

[5] Baranov, op. cit., p. 92.

[6] Baranov, op. cit., p. 93.

[7] Baranov, op. cit., p. 93.

[8] Baranov, op. cit., p. 93.

[9] Sur le néo-humboldtianisme russe contemporain on peut consulter quelques rares études, provenant toutes de slavistes occidentaux : Gebert Lucyna : « Immagine linguistica del mondo (Lingvističeskaâ kartina mira) e carattere nazionale nella lingua (nacional’nyj charakter v jazyke). A proposito di alcune recenti pubblicazioni », Studi Slavistici, III, Firenze University Press (FUP), 2006; Sériot Patrick : « Oxymore ou malentendu ? Le relativisme universaliste de la métalangue sémantique naturelle universelle d'Anna Wierzbicka », Cahiers Ferdinand de Saussure, n° 57, 2005, p. 23-43; Weiss Daniel : « Zur linguistischen Analyse polnischer und deutscher « key words » bei A. Wierzbicka : Kulturvergleich als Sprachvergleich ? », M.Marszałek & A. Nagórko, (Hgg.), Berührungslinien. Polnische Literatur und Sprache aus der Perspektive des deutsch-polnischen kulturellen Austauschs. Für Heinrich Olschowsky, Hildesheim-Zürich-New York, 2006, p. 233-257.

[10] Vorkačev S., s.d. : « Lingvokul’turologiâ, jazykovaâ ličnost’, koncept : stanovlenie antropocentričeskoj paradigmy v âzykoznanii », Seminar Problemy lingvokonceptologii, http ://kubstu.ru/docs/lingvoconcept/lingvocult.htm [La linguoculturologie, la personnalité linguistique et le concept : le devenir du paradigme anthropocentrique en linguistique]

[11] Mel’nikova, op. cit., p. 109.

[12] Telia V., 1996 : Russkaâ frazeologiâ, M. [Phraséologie russe], p. 217, 218, 222, 226.

[13] Golovanickaâ M., 1997 : Francuzskij mentalitet s točki zreniâ nositelâ russkogo âzyka, Moskva : MGU. [La mentalité française du point de vue du russophone], p. 105.

[14] Golovanickaâ, op. cit., p. 118.

[15] Cf. Kleiber Georges : La sémantique du prototype, Catégories et sens lexical, Paris : PUF, 1990.

[16] Le recours à l'étymologie pour justifier la singularité d'une « mentalité » est dangereux, puisque Golovanivskaâ ne mentionne pas que le verbe pasti a la même origine que le latin pastor : le berger.

[17] Golovanickaâ, op. cit., p. 119.

[18] Golovanickaâ, op. cit., p. 119.

[19] Cf. Gebert, op. cit., p. 217-243.

[20] Rylov Jurij : Aspekty jazykovoj kartiny mira : italânskij i russkij âzyki, Voronež : Voronežskij gosudarstvennyj universitet, 2003 . [Aspects de l'image linguistique du monde : l'italien et le russe]

[21] Rylov, op. cit, p. 29-30, cité par Gebert, op. cit, p. 227

[22] Rylov, op. cit., p. 22.

[23] Gebert, op. cit., p. 230

[24] Rylov, op. cit., p. 118, cité par Gerbert, op. cit., p. 237.

[25] Mel’nikova, op. cit., p. 117-119

[26] Mel’nikova, op. cit., p. 117.

[27] Le mot avos’ n'a effectivement pas d'équivalent direct en français. Mais on peut tourner la difficulté par des périphrases tellles que « à tout hasard », « on ne sait jamais », « on verra bien », « au cas où », « en cas de cas », « ça peut toujours servir », « tout peut arriver ».

[28] Sur les fondements idéologiques de l'ensemble de l'œuvre d'Anna Wierzbicka, cf. Sériot Patrick : « Oxymore ou malentendu ? Le relativisme universaliste de la métalangue sémantique naturelle universelle d'Anna Wierzbicka », op. cit., p. 23-43.

[29] Sur la discussion stylistique des années 1950, cf. Dolinin Konstantin, : « Le réalisme socialiste en linguistique », in P. Sériot (éd.) : Le discours sur la langue en URSS à l'époque stalinienne (épistémologie, philosophie, idéologie), Cahiers de l’ILSL, n° 14, 2003, pp. 85-100.

[30] Ârceva : Lingvističeskij ènciklopedičeskij slovar', Moskva : Sovetskaâ ènciklopediâ, 1990 , article « neogumbol’dtianstvo » [‘néohumboldtianisme’].

[31] Guxman Mira : « Lingvističeskaâ teoriâ L.Vejsgerbera », in Voprosy teorii âzyka v sovremennoj zarubežnoj lingvistike, Budagov R. & Guxman M. éds., Moskva : Izd.AN SSSR, 1960, p. 123-162. [La théorie linguistique de L.Weisgerber]

[32] Cf. Vinogradov Viktor, 1930 : O âzyke xudožestvennoj literarury, Leningrad. [Sur la langue de la littérature]. Pour d'autres éléments de réflexion sur la continuité des thèmes et des modes de travail en linguistique entre la Russie soviétique et post-soviétique, cf. Sériot Patrick, 2002 : « La chute du Mur et le travail sur la langue », in Marc Angenot et Régine Robin (éd.) : La chute du Mur de Berlin dans les idéologies. Actes du colloque de mai 2001 à Paris. Discours social / Social Discourse, vol. VI, p. 85-97.

[33] Cf. Jakobson Roman : « Boas' view of grammatical meaning », in The Anthropology of Franz Boas : Essays on the Centennial of is Birth, ed. American Anthropological Association, Memoir LXXX, 1959, repris dans Selected Writings, t.II, 1971, p. 489-496.

[34] Comte, Auguste, : Cours de philosophie positive, Paris : Hermann, 1975 (1ère éd. : 1830-1842), p. 21.

[35] De même on notera que la méthode ds champs associatifs de Ju.Karaulov remonte à la psychologie associative de Herbart (1776-1841), qui n'est jamais cité.

[36] Cf. Radčenko Oleg : Âzyk kak mirosozidanie. Lingvofilosofskaâ koncepciâ neogumbol’dtianstva, Moskva : URSS, 1997. [La langue comme conception du monde. La conception linguo-philosophique du néo-humboldtianisme]

[37] Sur la comparaison des modes de construction des mythes identitaires nationaux en Europe au XIXème et au XXème siècle, cf. Thiesse Anne-Marie : La création des identités nationales. Europe 18e-20e s., Paris : Seuil, 2001.

[38] Hutton Christopher, : Linguistics and the Third Reich. Mother-tongue fascism, race and the science of language, London : Routledge, 1998, p. 125.

[39] Mel’nikova, op. cit., p. 111-113.

[40] On consultera à ce sujet Jakobson dans son commentaire sur Boas : « La grammaire n'est pas ce qui empêche de dire, elle détermine les aspects de chaque expérience qui doivent être exprimés » (Jakobson, 1959, [1971, p. 489]).

[41] Mel’nikova, op. cit., p. 111.

[42] Mel’nikova, op. cit., p. 112.

[43] Mel’nikova, op. cit., p. 113.

 

Pour citer cet article

Patrick Sériot, « Le déterminisme linguistique en Russie actuelle », in Patrick Sériot (dir.) La question du déterminisme en Russie actuelle, [en ligne], Lyon, ENS LSH, mis en ligne le 10 décembre 2008. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article156