Vous êtes ici : Accueil > Publications et travaux > Journées d’étude > Journée d’étude "Religion et Nation" > Le discours nationaliste chez les critiques religieux en Russie (...)

Le discours nationaliste chez les critiques religieux en Russie contemporaine

Isabelle DESPRÉS

Université Stendhal - Grenoble 3, ILCEA-CESC

Index matières

Mots-clés : critique littéraire, religion, nationalisme, Russie, réalisme, anti-postmodernisme.


Plan de l'article

Texte intégral

Le retour du religieux en Russie, dès les années 1990, s’oppose non seulement à la prétendue absence d’idéal de la société (ce qui est la vision dite postmoderniste), mais aussi à l’influence de la culture occidentale. Après l’effondrement de l’Union soviétique, la recherche de « l’idée russe » passe par la redéfinition de l’identité nationale. Dans la critique littéraire, comme dans les autres domaines de la vie publique, l’identité nationale est inséparable de sa dimension spirituelle. Elle se construit selon un système assez complexe et mouvant d’oppositions binaires, dont on peut citer les camps principaux : patriotes/démocrates ; postmodernistes/réalistes ; religieux/laïques.

Chacun correspond plus ou moins à l’une des facettes de l’identité nationale. De ce point de vue, on peut distinguer plusieurs discours nationalistes :

  • l’affirmation anti-occidentaliste d’une identité géopolitique ;
  • l’exigence d’un retour à des racines et à des traditions perdues ;
  • la rhétorique du « peuple élu » ayant une mission à remplir.

On connaît, d’autre part, le rôle historique de la critique littéraire et des revues en Russie, depuis le siècle de Catherine et de Novikov, pour la formation d’une culture et d’une identité nationale. Mais il faudrait également, pour une approche exhaustive, tenir compte des sites Internet dont certains sont profondément nationalistes et religieux, mais d’autres, au contraire, sont résolument anti-traditionalistes[1]. Les critiques des grosses revues publient certains de leurs textes sur Internet. Nous nous contenterons toutefois de distinguer, pour la clarté du propos, trois champs d’investigation :

  • les revues « patriotes » Naš Sovremennik et Moskva ;
  • les revues « démocrates » Novyj Mir, Znamă, Družba Narodov, Zvezda, Oktjabr', etc.
  • la revue « religieuse » Kontinent.

Le discours nationaliste est plus ou moins présent dans chacun de ces champs. À l’inverse, un discours universaliste, voire globalisant, serait à rechercher dans les revues de critique littéraire spécialisées comme Neprikosnovennyj Zapas, ou de type universitaire, telle Novoe Literaturnoe Obozrenie.

Les revues critiques et le discours nationaliste religieux

Compte tenu de l’histoire de la Russie et du rôle de l’orthodoxie dans la constitution du sentiment national russe, on n’est pas surpris de constater que les revues « patriotes » ont toutes une orientation religieuse.

Naš Sovremennik est une revue ancienne. Elle a un discours nationaliste passéiste : regret de la grandeur perdue, défiance envers l’Occident (contre la politique de Eltsine), opposition au pouvoir qui est accusé de s’être approprié la richesse du pays. Du point de vue littéraire, elle ne présente peut-être pas aujourd’hui un grand intérêt, et pourtant c’est à cette revue que l’on doit les premières publications, dans les années 1970, de la prose dite « paysanne » (Fëdor Abramov, Vassili Belov, Viktor Astafiev, Valentin Raspoutine, Vladimir Solooukhine, Vassili Choukchine). La revue s’affirme patriotique et s’enorgueillit d’offrir sa tribune tant à Guenadi Ziouganov, qu’au métropolite Jean, dont elle a publié le livre Le Triomphe de l’orthodoxie. Elle met l’accent sur son succès en province, c’est-à-dire là où se trouve la « vraie Russie ».

La revue Moskva, dirigée par l’ancien dissident Léonide Borodine, est plus récente et plus ouverte à la nouveauté. On y trouve une rubrique « Critique littéraire » et une rubrique « Domašnjaja cerkov’ » (« L’église à la maison »). Un des noms les plus remarquables de collaborateurs de cette revue est celui du critique littéraire Pavel Bassinski (même s’il publie également occasionnellement dans Novyj Mir et dans d’autres grosses revues).

Dans le camp adverse, celui des revues « démocrates », la situation est plus nuancée. Novyj Mir et Droujba Narodov, sans être à proprement parler religieuses, ne s’interdisent pas de publier des critiques religieux, tels que Tatiana Kasatkina (« Ceux qui ont l’âge de Noé[2] »). Irina Rodnianskaïa, rédactrice en chef de Novyj Mir, se pose en adversaire résolue du postmodernisme, et défend la hiérarchie des valeurs et la verticalité du réalisme. Dans son célèbre article « Le hérisson de Hambourg dans le brouillard[3] », elle dénonce le relativisme moral de la littérature russe des années 1990, et déplore la perte des repères, en particulier la perte du sentiment religieux et patriotique.

À l’opposé, la revue Znamă, avec sa rédactrice en chef Natalia Ivanova, défend les principes de la laïcité, et c’est d’ailleurs elle qui pose le problème dans un débat organisé par la rédaction : « La pensée humanitaire : laïque ou religieuse ?[4] ». Dans les réponses proposées par les invités de la « table ronde », il apparaît que la pensée laïque, qui serait une évidence pour l’Occident, ne l’est pas en Russie. Le spécialiste de la littérature française Sergueï Zenkine considère que le manque de connaissance des travaux sur les mécanismes du sacré prive la Russie de la distinction nécessaire entre science et religion. C’est donc quasiment une exception nationale. S’opposant, dans cette discussion, à l’historien de la littérature Abram Reïtblat, qui s’indigne des interprétations tendancieuses des auteurs classiques par des exégètes croyants et patriotes, Irina Rodnianskaïa défend l’idée que la bonne compréhension des classiques russes est impossible pour un critique athée. Celui-ci ne pourra pas saisir l’intention, la pulsation intime de leurs œuvres.

Enfin, la critique religieuse post-soviétique a sa propre revue, Kontinent, dont le rédacteur en chef est Igor Vinogradov. Cette revue a été fondée à Paris en 1974 par Vladimir Maksimov, sous l’impulsion d’Alexandre Soljénitsyne, récemment expulsé, qui réalisait ainsi le souhait d’Igor Vinogradov et Iouri Bourtine, anciens critiques de Novyj Mir de l’époque d’Alexandre Tvardovski[5]. En 1992, c’est donc tout à fait légitimement, mais avec beaucoup de courage, que Igor Vinogradov s’attelle à la tâche de succéder à Maksimov, rassemblant à ses côtés une équipe de jeunes critiques de talent, aux convictions religieuses (Maria Remizova, Evgueni Ermoline), qui, à leur tour, ont formé dans les années 2000 une nouvelle génération de critiques (Valeria Poustovaïa).

Tous les observateurs s’accordent à dire que les années 90 en Russie ont été les années postmodernes. Le postmodernisme se caractérise par son relativisme moral, la remise en cause de toute forme d’impératif, moral, social, politique, artistique. Il est donc anti-religieux tout autant qu’anti-national. Dans ce contexte, l’existence d’une revue littéraire religieuse aurait pu paraître comme anachronique. Et pourtant, la revue traverse la crise du début des années 90 et prend de la vigueur au point de s’imposer parmi les « grosses » revues littéraires, et leurs critiques habituels s’y font volontiers publier.

À partir de 1997, en effet, le relativisme moral et esthétique laisse la place à la restauration de critères qui sont, par définition, nécessaires à l’existence d’une critique littéraire. Une Académie de littérature russe (Collège de critiques littéraires) est créée, qui vise à redonner ses lettres de noblesse à la profession. Avec les années Poutine, la fin du « carnaval » est sonnée. Les postmodernistes sont cantonnés à la blogosphère, dont l’espace informe convient parfaitement pour leurs jeux, tandis que les gens « sérieux » renouent avec la tradition, avec la « grande » littérature russe, c’est-à-dire avec le réalisme russe.

Un réalisme « russe »

On a pu s’interroger sur la possibilité de l’existence d’un postmodernisme russe (voir Vladimir Novikov). Mais il faut bien admettre qu’il existe une conception russe du réalisme qui n’a presque rien à voir avec la conception française. Selon cette dernière, le réalisme donne à voir la réalité comme dans un miroir objectif, sans vecteur déformant, sans angle de vue, pratiquement sans point de vue. Le rôle de l’auteur est gommé, celui du Créateur aussi. Mais dans le contexte russe, le réalisme est fortement idéologisé, il n’est pas dégagé du contexte romantique de tension vers l’idéal.

Le réalisme russe est-il intrinsèquement nationaliste ? Le mot « nationalisme » doit également être employé avec prudence dans le contexte russe. Rappelons brièvement le rôle de l’Église orthodoxe russe dans la construction de l’identité culturelle de la Russie. Depuis les fameuses Lettres philosophiques de Piotr Tchaadaev, la question de la nation, de son retard culturel, voire de l’absence de la Russie dans l’histoire de l’humanité, est liée à celle de la spécificité religieuse orthodoxe de la Russie. Quant à la critique littéraire russe, elle est restée longtemps sous l’emprise de Vissarion Belinski qui, déjà, à propos de Nicolas Gogol, définissait le réalisme comme une empathie avec la « vie russe ». La dimension nationaliste était donc déjà présente chez le « pape » de la critique réelle. On sait l’importance des motifs folkloriques qui ont contribué au succès des premières œuvres de Nicolas Gogol auprès de Belinski. Pour lui, le réalisme est national en cela qu’il reflète la vie du peuple. Mais d’autre part, Belinski a maintes fois revendiqué son athéisme. Et pourtant, les critiques russes contemporains les plus traditionalistes, tels que Pavel Bassinski, vont jusqu’à lui prêter un élan spirituel chrétien.

Pour Pavel Bassinski, il ne saurait y avoir d’amour du réel sans amour de Dieu[6]. Dès 1992, il affirme :

En effet, qu’est-ce que le réalisme, si on le considère non d’un point de vue littéraire, mais spirituel ? C’est le degré de confiance dans la Création, dans le sens sacré du monde et – ce qui est très important – dans les formes artistiques existantes[7]. (Je souligne.)

Il ne peut y avoir de réalisme athée. Ou, du moins, le réalisme athée, c’est l’anatomie du vivant, c’est en cela que consiste la dérive naturaliste de l’Occident. Selon le critique, c’est grâce à la religion orthodoxe que le réalisme russe a été épargné, protégé de cette perversion. Tous les grands écrivains russes du XIXe siècle, Nicolas Gogol, Fedor Dostoïevski, Lev Tolstoï, étaient non seulement croyants, mais profondément impliqués dans leur foi. Ils ont laissé un héritage tel que pour être russe, la littérature russe doit être religieuse. Ainsi, selon les critiques religieux, la littérature russe laïque n’est pas vraiment russe, ou bien pas vraiment laïque : c’est une littérature religieuse qui s’ignore.

L’anti-occidentalisme

En ce qui concerne la littérature suspectée de n’être pas vraiment russe, c’est le cas des romans de Mikhail Chichkine. Ainsi, La Prise d’Izmail a suscité un article polémique de Maria Remizova, qui s’achève sur un réquisitoire contre le modèle culturel occidental pour la Russie :

Une part importante des acteurs de cette sphère, à l’heure actuelle, estime que l’existence de la culture russe, dont fait naturellement partie la littérature, ne peut être pleinement réalisée que par son unification avec les modèles et stéréotypes propres à l’espace culturel de l’Europe de l’Ouest[8].

En particulier, le roman occidental contemporain apparaît comme contraire aux exigences philosophiques et spirituelles de la culture nationale russe qu’il menace de rendre stérile :

Le roman occidental contemporain ne pose ni ne résout les problèmes de l’homme – la société occidentale les considère comme déjà résolus. La tolérance envers tout ce qui se trouve dans cette société, le refus à tout prix de la douleur, la souffrance, la faute – et la volonté de soumettre à ses propres standards stérilisés tout ce qui n’appartient pas à cette société – tel est le fondement de la vision du monde de la culture occidentale contemporaine[9]. (Je souligne.)

La littérature russe est en position de supériorité par rapport à la littérature occidentale en crise, elle ne doit donc pas s’aligner, mais trouver sa propre voie :

Il ne reste qu’une seule question : la littérature russe, après avoir atteint les plus hauts sommets de la culture mondiale, doit-elle vraiment s’aligner sur des standards mondiaux qui ont un caractère éminemment passager, bien que jouissant d’une certaine popularité ? D’autant plus que la production, ces vingt dernières années, des intellectuels occidentaux eux-mêmes est volontiers qualifiée de « crise de la culture ». On se demande pourquoi, tel un rat envoûté, il faudrait suivre le chemin du déclin, alors qu’on peut essayer de suivre une autre voie, même si elle n’est pas encore tout à fait distincte dans le brouillard. Il n’est pas sûr qu’elle mènera quelque part, mais il est certain que la route déjà tracée mène à un espace confiné et coupé de la vie, même s’il a l’air climatisé et des ordinateurs connectés au réseau mondial[10]. (Je souligne.)

Le réalisme chrétien

Depuis les années 2000 est apparu un terme nouveau, le « réalisme chrétien ». Ce terme – cette méthode artistique –, selon les critiques (Sergueï Alekseev[11], Dimitri Volodokhine[12]), recouvre à la fois une certaine prose fantastique, faisant intervenir le miracle, comme dans la mythologie chrétienne (mais à condition que l’auteur croit véritablement que le miracle est réel, et fasse en sorte que le lecteur partage cette foi), et aussi la représentation d’un monde où l’homme espère en la Providence, même si ce monde est noir et violent (exemple : la prose de Oleg Pavlov s’y rapporte). Le réalisme chrétien est engagé. On ne peut pas, selon les critiques, parler de réalisme chrétien à une époque où le point de vue chrétien sur le monde était majoritaire, voire unique. C’est pourquoi, Dostoïevski, Tolstoï ne peuvent y être rattachés.

Dans le texte de Volodikhine, il n’est même pas précisé que « chrétien » signifie « orthodoxe » » et que « orthodoxe » signifie « russe ». Le lien entre la religion et la nation semble tellement évident à l’auteur qu’il est sous-entendu :

Elena Xaeckaja, dans une interview, a fait une observation très juste : « En Russie, avant la Révolution, l’homme de lettres croyant “avait le droit” de ne manifester en aucune manière sa religion. L’orthodoxie était dissoute dans le texte de façon si naturelle et si tranquille qu’elle n’était même pas remarquée par le lecteur, il la recevait organiquement, comme une part constitutive du texte. Il n’y avait pas de nécessité de manifester son orthodoxie. » Ce point de vue sur la situation de la littérature russe est exact au moins jusqu’au dernier tiers du XIXe siècle. Ensuite, surtout à l’« âge d’argent », notre culture a subi les influences très fortes d’autres confessions, l’activisme des sectes et d’un athéisme agressif. Il est devenu indispensable de manifester son orthodoxie uniquement au moment où son rôle comme générateur de culture s’est trouvé ébranlé, c’est-à-dire à tout le moins à la charnière des XIXe et XXe siècles. Lors de la période soviétique, avec la marginalisation du christianisme et l’affirmation de l’athéisme comme fondement de la culture étatisée, les manifestations de l’esprit orthodoxe dans les textes littéraires ont acquis un caractère de profession de foi, nécessaire pour la conservation des fondements mêmes de la civilisation russe, mais extrêmement risquée[13]. (Je souligne.)

On voit que toute religion autre que l’orthodoxie est assimilée à l’athéisme, que la littérature russe classique est orthodoxe jusque dans sa texture. Retrouver cette qualité du texte est indispensable à la conservation des fondements de la culture russe (l’auteur parle même de la « civilisation » russe). En un mot, il y a une adéquation parfaite entre orthodoxie et Russie. Remarquons ici que, pour l’auteur de l’article, l’« âge d’argent » est le moment d’inversion des valeurs (qu’il lie aussi à la Première Guerre mondiale et à la guerre civile).

L’anti-postmodernisme

Par définition, une littérature nationale s’adresse au peuple, ce qui n’est pas le cas, selon les critiques, des écrivains postmodernistes, tels que Viktor Pélévine ou Boris Akounine. Dans l’article « Concepts et recettes[14] » (1997), Pavel Bassinski oppose deux écrivains, Viktor Pélévine (postmoderniste) et Alexeï Varlamov (réaliste), et s’interroge sur le concept de « réalisme russe ». Il pose en particulier la question du lectorat, et affirme que lecteur de Pélévine n’est pas vraiment « russe » : il est jeune, actif, vit dans les capitales ou même en Occident. À l’inverse, la prose de Varlamov touche, selon lui, la vraie Russie, silencieuse et provinciale. Suit une caractérisation du peuple russe « authentique » :

Dans le cas de Pélévine, c’est encore plus évident. Son lecteur est plus jeune et plus actif socialement, il vit plus près du Centre et à l’ouest du Centre (Moscovites, Pétersbourgeois, slavistes occidentaux). C’est pourquoi il se fait mieux entendre. Pour Varlamov, c’est encore très flou. Mais certains de mes contacts personnels avec le lectorat me permettent d’affirmer que la prose de Varlamov convient mieux à la matrice des pensées et sentiments d’une partie considérable des lecteurs russes contemporains. Mais ce lectorat est encore privé de voix, refoulé vers toutes les sortes de périphéries (sociale et géographique), il est écrasé, perdu, mais il n’en cherche qu’avec plus de force sa vérité. Ce sont les instituteurs (et donc une partie des écoliers), les enseignants des universités de province, les travailleurs médicaux peu payés, les maîtresses de maison qui peinent à joindre les deux bouts. Ce sont essentiellement des femmes d’un certain âge, car elles lisent beaucoup plus que les hommes qui, peu à peu, sombrent dans l’alcoolisme ou bien tuent leur temps à vouloir s’affirmer dans le contexte du nouveau régime politique et économique[15]. (Je souligne.)

Le constat de cette nouvelle différentiation sociale et géographique rejoint l’observation de Galina Iouzefovitch sur la formation d’une « intelligentsia des bureaux[16] », composée de trentenaires moscovites qui ont profité des réformes, ont un salaire, un logement avec evropejskij remont (« aux standards européens »). Ceux-là lisent Pélévine et Akounine et ne redoutent pas la globalisation.

Au paradigme postmoderniste, Bassinski oppose la culture du « cœur ». Il emprunte ce concept au philosophe Ivan Iline :

Dans la tradition russe, la littérature lyrique et la prose essayiste ont une même source – le cœur –, et tout le reste relève de la « culture sans cœur » (Ivan Il’in) qui peut être bonne et intéressante, mais qui nous est étrangère[17]. (Je souligne.)

Voici ce qu’il écrit dans un autre article, à propos du récit de Platonov Le Retour :

Bien sûr, le récit Le Retour ne peut être considéré ni comme le couronnement d’une époque littéraire, ni comme le début d’une nouvelle tradition artistique. Et dans le destin de Platonov, il occupe une place tout à fait modeste. Mais son apparition après la guerre est profondément symbolique. C’est le symbole de toute notre vie littéraire (et pas uniquement littéraire) au vingtième siècle. C’est, après l’époque des grandes tentations, des immenses bouleversements et de la lassitude, le retour de la littérature russe à « la vérité de la vie », contenue avant tout dans un rapport au monde passant par le cœur (voir à ce propos l’ouvrage important de I. A. Iline, La Voie vers l’évidence, chapitre 1, « La culture sans cœur »)[18]. (Je souligne.)

En outre, Bassinski utilise à plusieurs reprises le terme de russkost’ (« russité ») : il l’applique par exemple à l’écrivain Boris Evseev[19] (prosateur qu’on peut rapporter à la littérature paysanne et religieuse, décrivant la misère de l’homme russe, humilié et offensé, mais grand par l’âme – typique du « réalisme chrétien » –) pour lequel il ne tarit pas de louanges.

À propos de Boris Akounine, dans un article datant pourtant de 2003 (alors qu’on pourrait penser que la guerre entre patriotes et démocrates libéraux est finie), il écrit (page 102)[20] : « On stoprocentnyj zapadnik » (« Il est un occidentaliste à cent pour cent »). Et plus loin (page 103), il évoque Satan, l’Antéchrist : « Eto djăvolśki talantlivyj literator » (« c’est un talent littéraire diabolique »). Plus loin encore (page 105), on trouve le terme « jésuite » pour qualifier la façon dont Akounine aurait soi-disant plagié le personnage japonais Rybnikov de l’écrivain Kouprine : « avtor iezuitski vyvernul ego temu » (« l’auteur a retourné le thème à la jésuite »).

Ainsi, on trouve sous la plume du critique tout un assortiment de moyens linguistiques qui évoquent bien un discours à la fois anti-occidentaliste, anti-catholique et populiste. D’ailleurs, il désigne sans ambages ses ennemis :

Ce n’est pas une question de mots. La question, c’est qu’il y a un très grand pays, la Russie. Avec sa propre voie, quoi qu’en disent ces fameux intellectuels libéraux occidentaux. Avec sa conscience nationale propre à son peuple, même si elle déplait fortement aux gens cités ci-dessus. Avec sa littérature nationale, qui reflète cette conscience nationale[21]. (Je souligne.)

Le « cosmos idéologique » d’Akounine lui semble artificiel. Il utilise le terme « nepočvennyj », qui renvoie nettement à l’idéologie de la počva (« sol ») des frères Dostoïevski. Le critique achève son article sur ces mots : « Počva otdyxaet. Prizrak globalizma xodit po planete. Tak, čto zemlă drožit.» (« Le sol se repose. Le spectre du globalisme rôde sur la planète. Et la terre tremble. ») Cette dernière phrase est tout à fait dans l’esprit de Dostoïevski, qui craignait pour la Russie l’extension du capitalisme et le spectre de l’argent.

On le voit, pour les critiques chrétiens, le postmodernisme est antinational. Viatcheslav Kouprianov[22] va jusqu’à le comparer à un virus inventé par les « culturologues » :

Le postmodernisme est une variante de la maladie à la mode, et s’il y a des bruits qui courent selon lesquels le virus du sida a été inventé dans les éprouvettes des virologues, alors le postmodernisme a été inventé dans celles des culturologues[23].

Sont particulièrement suspects les slavistes occidentaux qui s’intéressent aux postmodernistes russes :

Et notre « postmoderne » ne fera pas long feu dans l’espace culturel national, comme tout vandalisme qui se masque sous l’étiquette de « post-culture ». Il est déjà entré dans les programmes d’enseignement de nombreuses universités à l’étranger comme le signe – espéré ? – de la « fin de la culture russe », ce qui est bien plus amusant à enseigner que la culture russe elle-même. Cette « postculture » a un caractère non éthique mais visiblement éthologique, elle décrit l’homme comme un animal dans une société elle aussi animale.

La seule chose qui nous sauve et nous protège en tant que peuple, c’est l’absence de lectorat du postmoderne[24].

Les slavistes occidentaux sont donc des pervers qui offensent l’homme russe en le considérant avec la curiosité qu’ils auraient pour un animal de laboratoire, et menacent le « peuple » russe dans son intégrité. En outre, ils manquent de sensibilité à la langue russe, comme à la spiritualité :

Il faut dire que l’argot, pour les étrangers qui connaissent moyennement bien le russe, peut apparaître non pas comme une offense à la langue, mais comme quelque chose de « nouveau », et quant aux traductions, l’effet de l’argot est complètement effacé, car il n’y a pas d’équivalent ! Et ici, en plus, il y a par rapport à ce qui est autre, étranger, un effet de distance quasiment païen, comme entre deux cultes tribaux[25]. (Je souligne.)

L’anti-postmodernisme, dans le discours des critiques religieux, rejoint l’anti-occidentalisme. Selon eux, le réalisme russe contemporain doit s’inspirer exclusivement des classiques du XIXe siècle.

Les références aux classiques du XIXe siècle dans le discours nationaliste chrétien

Le nombre de spécialistes de l’œuvre de Dostoïevski en Russie est aujourd’hui très élevé. Cet engouement pour le grand écrivain philosophe est significatif. On le constate à la lecture d’un article de Karen Stepanian, « Transfiguration de l’amour », consacré à deux études sur Dostoïevski et Tioutchev[26].

D’après le critique, le dessein de Dostoïevski était d’écrire une Bible, c’est-à-dire un grand livre national servant à la reconnaissance de l’homme russe, de la conscience nationale russe. Ceux qui aujourd’hui étudient son œuvre et celle des classiques russes continuent ce projet national. Le critique considère la littérature comme une méthode de connaissance du monde, et les écrivains comme des prophètes guidés par la Providence.

Le critique adhère au jugement de l’auteur de l’étude concernant le rôle de la Russie et de l’orthodoxie dans la résistance au nazisme :

Et aucun de ceux qui se permettent d’être ironique ou sceptique envers le don prophétique de Dostoïevski ne s’est donné la peine de se demander si les prédictions de Dostoïevski se rapportaient non pas au début du XXe siècle (ce qui s’est passé en Russie en 1917-1922 ressemblait moins que tout à la réalisation de la doctrine marxiste ou autres doctrines révolutionnaires ou progressistes occidentales, mais bien plutôt dans le fond à une tentative désespérée de construire le royaume de Dieu sur Terre, avec toutes les conséquences de cette terrible Tentation), mais au milieu du XXe siècle, où le national-socialisme ayant triomphé dans plusieurs pays européens (si quelque part ont été créées des conditions extraordinaires pour les travailleurs, c’est bien en Allemagne et en Italie des années 1930 !) s’est rué en Russie pour se briser contre l’unité et l’héroïsme inouï et le sacrifice de tout un peuple formé (même si à ce moment-là, nombreux étaient ceux qui n’en avaient pas vraiment conscience) par la tradition spirituelle orthodoxe[27].

Aujourd’hui, poursuit le critique, la Russie est peut-être encore mieux en mesure de jouer son rôle historique et spirituel. Pour inviter le lecteur à reconnaître l’actualité de Tioutchev et Dostoïevski, l’auteur de l’étude sur Tioutchev transpose au monde tel qu’il est aujourd’hui les réflexions du poète-diplomate du XIXe siècle : la Russie pourrait indiquer la voie pour sortir de l’individualisme triomphant et retrouver les valeurs fondées sur la foi, l’amour, la fraternité. Il montre l’actualité des reproches en direction du pouvoir qui, dit-il, ayant perdu tout repère spirituel, s’avère incapable de mener le peuple vers le « but suprême ». L’auteur reprend à son compte les réflexions de Tioutchev sur la nécessité d’une censure, certes éclairée, de la presse, dans un pays où plus qu’ailleurs le mot a une force qui peut être dévastatrice. Mais il affirme également la nécessité de la liberté d’expression pour l’opposition, afin que celle-ci n’ait pas le statut de martyr. C’est aussi à Tioutchev qu’il reprend l’idée que l’hostilité des milieux dirigeants occidentaux envers la Russie ne dépend pas du niveau de sa démocratie, mais uniquement de sa force et de son poids géopolitique :

[…] la haine des milieux dirigeants occidentaux pour la Russie ne dépend pas du niveau des droits et libertés démocratiques qui y règnent (au contraire, l’élévation de ces libertés ne fait que la renforcer), elle ne dépend que de son degré de puissance et d’autorité dans le monde[28].

À quelques nuances près, Karen Stepanian, avec l’auteur de l’étude sur Tioutchev, reprend tous les motifs du slavophilisme. Le critique rappelle qu’à 75 %, la population de Russie préfère aujourd’hui un pouvoir fort à des droits et libertés démocratiques, et cela, selon Karen Stepanian, non pas parce que l’homme russe serait esclave dans l’âme, mais parce qu’il fait passer l’idée nationale au-dessus de l’idéal démocratique. D’une certaine façon, c’est par esprit de sacrifice collectif, et pour remplir au mieux sa mission spirituelle, que le peuple russe choisit la force.

La fin de l’article est consacrée au motif de la Transfiguration, qui s’accompagne de l’idée de verticalité, d’échelle. Il est question de transformer l’homme, d’en faire un être d’amour, mais aussi de transformer l’amour humain pour son prochain en un amour chrétien pour Dieu. Le motif de la Croix, composée d’une horizontale et d’une verticale, accompagne cette thématique religieuse qui, conformément à la tradition slavophile, est inséparable de la thématique nationale : au centre de la Croix se trouve l’amour de la patrie, qui est à la fois amour du prochain et amour de Dieu. En effet, il ne peut s’agir que de la Russie idéale, telle que Dieu l’a conçue, telle qu’elle doit devenir, ou être transfigurée, pour remplir sa mission de prosélytisme orthodoxe.

La patrie spirituelle

Indiscutablement, l’anti-occidentalisme des critiques religieux comporte une dimension messianique. Pourtant, on ne retrouve pas cet anti-occidentalisme chez les critiques de Kontinent. Peut-on alors parler de discours nationaliste ? Prenons pour exemple l’article de Evgueni Ermoline intitulé « Nous nous battrons encore[29] », dans lequel il invite à lutter pour défendre la littérature russe et la culture russe contre les « nouveaux barbares ». Mais pour Ermoline, ces derniers ne sont pas les postmodernistes venus d’Occident, ce sont bel et bien les ennemis de l’intérieur. En effet, selon le critique, la prétendue diversité culturelle de la Russie contemporaine cache en fait un véritable appauvrissement, et surtout une montée du pragmatisme et du cynisme, une perte de la spiritualité, et même une progression du nihilisme.

Le critique invite les écrivains à se faire les hérauts de la résistance. Il croit voir se dessiner un front composé de professeurs, bibliothécaires, fonctionnaires et même hommes d’affaires, qui luttent pour sauver la culture russe. Les écrivains doivent rejoindre ces résistants, car ils ont un rôle primordial à jouer dans la construction de l’espace spirituel russe.

Ermoline utilise des métaphores de résistance, de lutte, mais aussi de construction, d’exploit individuel et moral. Et son propos culmine avec l’image biblique de la construction de la Jérusalem céleste :

J’ai déjà eu l’occasion de dire que l’espace culturel russe réel est déjà maintenant presque exclusivement un espace de diaspora mentale individualisée de création personnelle. La tradition, le sol se montre désormais sous un aspect détaché, comme l’expression d’un libre choix, résultat d’un effort, exploit, sacrifice individuel. C’est ainsi et seulement ainsi. C’est l’espace propre de l’esprit. C’est le monde de la recherche, de l’épanouissement personnel, d’une vie spirituelle sur le mode individuel. L’artiste porte la Russie en lui. De fait, cela ressemble à la situation du Juif dans la diaspora, mais cette fois, il semble bien que définitivement Jérusalem ne soit plus que céleste[30].

Ainsi, la Patrie, selon Ermoline, est un élan spirituel. La Russie trouve une matérialisation dans la langue russe, qui est le tissu de son expérience spirituelle.

Par le jeu des métaphores, le critique est amené à comparer le peuple russe et le peuple juif, qui s’autodéfinit comme peuple élu, ayant une mission. Mais il ne reprend pas à son compte le discours des slavophiles du XIXe siècle. Non, le peuple russe n’a pas été choisi par Dieu, affirme-t-il. Il n’a pas vocation à exister éternellement. Mais même voué à disparaître, il doit pouvoir léguer un héritage culturel, une langue de culture, une littérature, comme l’ont fait les peuples antiques avant de sombrer devant la poussée démographique des peuples barbares. La Russie, comme tous les peuples européens, a bénéficié de cet héritage.

En lieu et place de l’idée de mission, propre aux slavophiles, Ermoline propose donc l’idée de transmission. En filigrane, il condamne le messianisme, le prosélytisme religieux et le nationalisme expansionniste, et réaffirme, dans la continuité des Occidentalistes du XIXe siècle, la nature et la vocation européennes de la culture russe.

 

Notre brève étude du discours de la critique littéraire religieuse russe contemporaine confirme le lien intangible entre identité religieuse et identité nationale. On assiste aujourd’hui en Russie à une réhabilitation du réalisme en littérature qui, nous semble-t-il, va de pair avec le retour de l’autoritarisme, et s’appuie sur la prétendue spécificité de la spiritualité russe. Ce discours qui, parallèlement à la verticalité du pouvoir, rétablit la hiérarchie des valeurs, au détriment du relativisme, se construit généralement dans un vaste mouvement de défiance anti-occidentale et de crispation identitaire. En raison, sans doute, de l’histoire de la critique littéraire en Russie, qui a toujours eu le rôle d’expression des idées politiques et sociales, peu nombreux sont finalement les critiques religieux contemporains dont le sentiment patriotique se cantonne à la défense de la langue et de la littérature russe.


[1] La revue en ligne Russkij pereplet (www.pereplet.ru) était représentative des premiers, mais elle tend ces dernières années à diversifier son propos. On peut citer aussi Internet Žurnal molodyh pisatelej [Revue en ligne des jeunes écrivains] (www.ijp.ru). Le site www.vavilon.ru pourrait être donné en exemple des seconds, mais il semble avoir cessé d’être productif en 2007.

[2] T. Kasatkina, « Sverstniki Noä », Novyj Mir, n° 8, 1998.

[3] I. Rodnjanskaja, « Gamburgskij ëž v tumane », Novyj Mir, n° 3, 2001, p. 159-176.

[4] « Gumanitarnaă mysl’: svetskaă ili religioznaă », Znamă, n° 7, 2000.

[5] « Почему вам пришла в голову идея заграничного журнала? – Это был 1973 год. Канун высылки Солженицына. Но ни он, ни мы еще этого не знали. « Новый мир » разгромлен, Твардовский два года как умер. Я работал в это время в Институте истории искусств. Мой друг Юрий Буртин перешел в « Энциклопедию ». Мы продолжали общаться и думали о том, что делать. То, что мы делали в период « Нового мира », надо было как-то продолжать. Мы находились в такой глухой опале, что не имели никакого выхода. Меня не печатали. Долгие годы полного молчания. И мы решили, что нет сейчас другого способа говорить правду и доносить правду до какого-то круга общества, хотя бы до интеллигенции, кроме как затевать зарубежное издание. – Он вашу идею отверг? – Нет. Он говорил: подождите, все изменится. Но в конце сказал: если так случится, что я окажусь там, конечно же, я все сделаю. И еще он сказал такую фразу: я оправдаю ваше доверие. Смешную, в сущности. Почему он должен был нас в этом заверять? Он – нас? И буквально через две недели последовала высылка. А в конце года вышел « Континент » Владимира Максимова. Мы поняли, что наша идея реализована, воплотилась в жизнь. И слава Богу, что она воплотилась. Ни я, ни Буртин больше не думали об эмиграции. » (Interview par O. Kučkina, Komsomolskaja Pravda, 11 décembre 2008).

[6] P. Basinskij, « Vozvraŝenie. Polemičeskie zametki o realizme i postmodernizme », Novyj Mir, n° 11, 1993.

[7] « Ведь что такое реализм, если рассматривать его не только с литературной, но и – духовной точки зрения? Это мера доверия к Божьему миру, его сокровенному смыслу и – что очень важно! – существующим художественным формам. » (P. Basinskij, « Koncepty i recepty », dans Moskovskij Vestnik, Moscou, Xroniker, 2004, p. 118-123.)

[8] « Значительная часть современных деятелей в этой области полагает, что полноценное бытие русской культуры, куда, естественно, входит и литература, может осуществляться только в случае ее унификации с образцами и стереотипами, свойственными западноевропейскому культурному пространству. » (M. Remizova, « Vniz po lestnice, veduŝej vniz », Novyj Mir, n° 5, 2000.)

[9] « Современный западный роман не ставит и не решает человеческие проблемы – западному обществу они представляются давно уже решенными. Терпимость ко всему внутри этого общества, отказ любой ценой от страдания, боли и вины – и подгонка всего, что к этому обществу не принадлежит, под его стерилизованные стандарты – вот мировоззренческая основа современной западной культуры. » (Ibid.)

[10] « Остается единственный вопрос: следует ли русской литературе, достигавшей самых значительных вершин мировой культуры, непременно подстраиваться под очевидно преходящий, хотя и пользующийся определенным спросом, мировой стандарт? Тем более, что продукция последних двадцати лет самими же западными интеллектуалами охотно именуется “кризисом культуры”. Спрашивается, зачем, точно завороженная крыса, следовать тропой упадка, если можно попробовать какой-то иной путь, пусть даже пока и не вполне различимый в тумане. Не факт, что он куда-нибудь приведет, но факт, что проторенная дорога уже наверняка ведет в довольно тесное и отгороженное от жизни пространство, хотя и оборудованное кондиционером и компьютером, подключенным к всемирной сети. » (Ibid.)

[11] S. Alekseev, « Opravdanie ekspansii dobra », Političeskij žurnal, n° 17-18, 2007, p. 115.

[12] D. Volodixin, « Xristianskij realizm », Moskva, n° 2, 2008.

[13] « В одном интервью Елена Хаецкая высказала тонкое наблюдение: “В дореволюционной России верующий литератор ‘имел право’ никоим образом не манифестировать свою религиозность. Православие было растворено в тексте так естественно и спокойно, что оно как бы не замечалось читателем – воспринималось органично, как неотъемлемая часть текста. Манифестировать православие не было нужды.” Это верный взгляд на положение вещей в русской литературе как минимум до последней трети XIX столетия. Позднее, особенно в период Серебряного века, наша культура испытала сильнейшие иноконфессиональные влияния, воздействие сект и агрессивного атеизма. Манифестация православия сделалась необходимой лишь в тот момент, когда его культурообразующая роль оказалась поколебленной, то есть как минимум с рубежа XIX-XX столетий. Ну а в советский период, с маргинализацией христианства и утверждением атеистического мировоззрения в качестве фундамента этатизированной культуры, проявления православного духа в художественных текстах приняли вид исповедничества – необходимого для сохранения самих основ Русской цивилизации, но крайне рискованного. » (D. Volodixin, « Xristianskij realizm », art. cité.)

[14] P. Basinskij, « Koncepty i recepty », art. cité, p. 129.

[15] « В случае Пелевина это видно отчетливее. Его читатель моложе и социально активнее, проживает ближе к Центру и на Запад от Центра (москвичи, петербуржцы, западные слависты). Оттого он слышнее. В случае Варламова все еще очень неясно. Но какие-то мои личные контакты с читательской аудиторией позволяют утверждать: именно проза Варламова успешнее всего ложится на матрицу мыслей и чувств значительной части современных русских читателей. Только это аудитория все еще безголосая, вытесненная на всевозможные периферии (социальные и географические), подавленная, растерянная, но тем сильнее взыскующая своей правды. Это учителя (следовательно и часть школьников), провинциальные вузовские преподаватели, низкооплачиваемые медицинские работники, сводящие концы с концами домохозяйки. В основном это женщины немолодого возраста – то есть те, кто читает гораздо больше мужчин, либо постепенно спивающихся, либо убивающих все свое время на само утверждение в новом политико-экономическом режиме. » (Ibid.)

[16] G. Juzefovič, « Literatura po imuŝesvennomu priznaku: čto srednij klass? », Znamja, n° 9, 2005.

[17] « В русской традиции и лирика и публицистика питаются только одним источником – сердцем, все прочее принадлежит « бессердечной культуре » (Иван Ильин), которая может быть и хороша, и занимательна – да не наша. » (P. Basinskij, « Koncepty i recepty », art. cité, p. 123.)

[18] « Конечно, рассказ Возвращение нельзя считать ни венцом литературной эпохи, ни началом какой-то новой художественной традиции. Да и в судьбе Платонова он как будто занимает самое скромное место. Но его появление после войны глубоко символично. Это’ символ всей нашей литературной (не только литературной) жизни в XX веке. Это возвращение русской литературы через эпоху великих искушений, через огромные потрясения и усталость к “истине жизни”, заключенной прежде всего в сердечном отношении к миру (см. в этой связи важную работу И. А. Ильина, Путь к очевидности – глава 1, “Бессердечная культура”). » (P. Basinskij, « Vozvraŝenie. Polemičeskie zametki o realizme i postmodernizme », Novyj Mir, n° 11, 1993.)

[19] P. Basinskij, « Boris Evseev. Ûrody i urody », dans Moskovskij plennik, Moscou, Xroniker, p. 134. Notons la proximité entre l’écrivain et son critique : Boris Evseev est le directeur de la maison d’édition Xroniker qui a édité cet ouvrage de Basinskij.

[20] P. Basinskij, « Kosmopolit suprotiv inorodca », dans Moskovskij plennik, op. cit., p. 101-105.

[21] « Дело не в терминах. Дело в том, что есть большая-большая страна Россия. С особым своим путем, как бы над этим ни издевались те самые либерал-интеллигент-западник. С особым самопознанием народа, которое вышеназванным людям ужасно не нравится. С национальной литературой, которая отражает это сознание. » (Ibid., p. 102.)

[22]V. Kuprijanov, « Nečto ničto, ili Snova o postmodernizme », Novyj Mir, n° 10, 1997.

[23] « Постмодернизм – разновидность модной болезни, и если ходят слухи, будто СПИД выработан в пробирках вирусологов, то постмодернизм выработан в пробирках культурологов. » (Ibid.)

[24] « И наш “постмодерн” не задержится в национальном культурном пространстве, как и любой замаскированный под “посткультуру” вандализм. Он уже вошел в сферу преподавания во многих зарубежных университетах как знак – желанного? – “конца русской культуры”; ведь преподавать это гораздо занятнее, чем культуру как таковую. “Посткультура” носит не этический, а явно этологический характер, то есть описывает поведение человека как животного в животном же коллективе. // Единственно, что нас спасает и еще как-то сохраняет в качестве народа, – это отсутствие массового читателя у постмодерна. » (Ibid.)

[25] « Надо заметить, что русский мат при посредственном знании русского языка воспринимается иностранцами не как оскорбление для самого языка, а опять-таки как нечто “новое”, в переводе же эффект “мата” вообще смазывается: нет адекватных выражений! И здесь вдобавок дистанция по отношению к другим, чужим, – вполне языческая, как между племенными культами. » (Ibid.)

[26] K. Stepanjan, « Preobraženie lûovi », Novyj Mir, n° 3, 2007.

[27] « И никто из позволявших себе иронию или скепсис по отношению к пророческому дару Достоевского не давал себе труда задуматься: а может, слова Достоевского относились не к началу ХХ века (происходившее в России в 1917-1922 годах менее всего было похоже на реализацию марксистской и вообще западных революционно-просвещенческих доктрин, а скорее – в своей основе – на мучительную попытку устроить Царство Божие на земле, со всеми последствиями этого страшного искушения), а к его середине, когда победивший во многих европейских странах национал-социализм (вот уж где были созданы действительно замечательные условия для собственных трудящихся – в Германии и Италии 30-х годов прошлого века!) ринулся на Россию и разбился о единство и невиданный героизм и самопожертвование всего народа, сформированные (пусть к тому моменту и неосознаваемой отчетливо многими) православной духовной традицией. » (Ibid.)

[28] « […] и о том, что нелюбовь западных правительственных кругов к России не зависит от уровня демократических прав и свобод в ней (напротив, с увеличением свобод она лишь усиливается), но только от степени ее силы и авторитета в мире. » (Ibid.)

[29] E. Ermolin, « Eŝë poboremsă », consultable sur : www.ijp.ru (1er décembre 2004).

[30] « Мне уже приходилось говорить, что реально русское культурное пространство – уже сейчас почти исключительно диаспоральное индивидуально-ментальное пространство личного творчества. Традиция, почва являет себя ныне в снятом виде, как выражение свободного выбора, как результат личного усилия, подвига и жертвы. Только так и никак иначе. Это самобытное пространство духа, это мир личного поиска и роста, духовной жизни в личностном модусе. Художник носит Россию в себе. Собственно, это похоже на состояние еврея в диаспоре, только на сей раз Иерусалим, наверное, окончательно стал Небесным. » 

 

Pour citer cet article

Isabelle Després, «Le discours nationaliste chez les critiques religieux en Russie contemporaine», journée d'étude Religion et Nation, ENS de Lyon, le 8 juin 2009. [en ligne], Lyon, ENS de Lyon, mis en ligne le 23 juillet 2010. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article285