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Géorgie : la difficile équation entre économie néo-libérale et valeurs démocratiques

Eveline BAUMANN

Université Paris 1, IRD, UMR 201 Développement et Sociétés

Index matières

Mots-clés : pays post-soviétiques, néo-libéralisme, institutions, démocratisation, protection sociale, normes.


Plan de l'article

Texte intégral

Faire triompher l’économie de marché et permettre aux « valeurs démocratiques » de s’exprimer : cette double devise domine l’agenda politique de la Géorgie depuis 2004, année qui vit Mikheïl Saakachvili, figure emblématique de la révolution des Roses, accéder à la fonction de chef de l’État de ce petit pays sud-caucasien – 4,4 millions d’habitants sur le territoire national, environ 500 000 résidant à l’étranger.

Au lendemain du démantèlement de l’empire soviétique, les décideurs politiques nationaux et internationaux avaient estimé qu’en Géorgie, comme dans d’autres pays ayant succédé à l’URSS et ses satellites, un chemin unique menait vers l’économie de marché et la démocratie et que ces deux objectifs pouvaient être atteints dans un laps de temps limité. Les espérances des populations allaient également dans ce sens, d’une manière plus diffuse, certes, puisque dans leur imaginaire, économie de marché et démocratie symbolisaient tout simplement une vie meilleure que celle qu’elles avaient connue auparavant. Mais bientôt, l’optimisme, étroitement lié à la nouveauté de la situation et au manque d’expérience des « experts » en « transitologie », allait faire place au désenchantement[2]. Aujourd’hui, les situations post-soviétiques s’avèrent plurielles, et les spécialistes s’interrogent sur les causalités des avancées en matière économique et politique, sans pour autant arriver à des conclusions concordantes[3].

Si les pays post-communistes ont pris des chemins fort divers, ce n’est pas seulement à cause de la spécificité de leurs potentialités naturelles et humaines, de leur système de production et de l’habileté de leurs leaders politiques. Ce qui compte tout autant, c’est leur histoire ainsi que leurs perspectives d’avenir. Ce dernier aspect est particulièrement important par rapport à la démocratisation, considérée comme un processus de développement vers plus d’égalité et d’implication des individus, une conception qui va donc explicitement au-delà de simples préoccupations électorales[4]. Sans aucun doute, les perspectives d’adhésion à l’Union européenne ont facilité les transformations économiques dans les nouveaux pays membres et y ont donné lieu aux expériences démocratiques plutôt heureuses que l’on connaît. Ailleurs, le chemin vers la démocratisation s’avère bien plus laborieux et il est ponctué de revers multiples[5]. L’exemple de la Géorgie semble être là pour le prouver[6].

Vue à travers le prisme de l’économie néo-libérale, la petite république sud-causasienne présente l’image d’un pays ayant apparemment trouvé sa voie. D’année en année, elle a amélioré son score dans la classification réalisée par Doing Business, agence de notation de la Banque mondiale[7]. La qualité de son environnement des affaires la place au onzième rang parmi les 183 pays passés en revue, soit bien avant l’Arabie Saoudite, le Japon ou la Suisse. En 2007, la Géorgie s’est même vu décerner le qualificatif de « premier pays réformateur ». Plusieurs années de suite, elle a enregistré l’un des taux d’investissements étrangers directs les plus élevés parmi tous les pays dits en transition, y compris ceux ayant rejoint l’Union européenne.

Les populations géorgiennes pâtissent, cependant, d’un certain nombre de contradictions inhérentes aux politiques publiques menées sous l’égide de Mikheïl Saakachvili. En effet, suivre à la lettre le credo néo-libéral est une chose, respecter les normes propres de la démocratisation – des normes qui lient la Géorgie aussi à l’Union européenne, à travers sa politique de voisinage – en est une autre. Tout porte à croire que l’équipe au pouvoir privilégie la poursuite de la voie néo-libérale, et ceci au détriment d’un véritable processus de démocratisation, d’un accès égalitaire des populations aux services fournis par les autorités publiques. Ceci va être démontré ici au travers des réformes réalisées en matière de protection sociale.

Il s’agira, dans un premier temps, de retracer l’évolution de l’économie géorgienne au cours des deux décennies passées, en insistant sur les évolutions les plus récentes. On verra par la suite que les performances macro-économiques a priori remarquables ne se sont pas traduites par un véritable mieux-être des populations, d’où une demande sociale de plus en plus pressante et revendicative à laquelle l’État géorgien entend répondre par le recours accru aux mécanismes du marché. Ceci nous permettra, enfin, d’insister sur le caractère inachevé des arrangements institutionnels, alors que ceux-ci sont nécessaires au maintien de la cohésion sociale.

Une économie éprouvée

Pour rendre intelligibles les difficultés auxquelles se heurte l’économie géorgienne, vingt ans après l’accession du pays à l’indépendance, la prise en compte de l’héritage soviétique s’avère indispensable. Celui-ci est particulièrement lourd dans l’industrie et l’agriculture qui faisaient jadis la réputation du pays.

D’une république soviétique relativement prospère…

Du temps de l’Union soviétique, la Géorgie tirait son prestige de ses centres de recherche, de son enseignement supérieur de haut niveau, de sa production artistique reconnue au-delà du rideau de fer, de ses lieux de villégiature pour la nomenklatura venue de Moscou. Plus encore, elle disposait d’une industrie relativement performante qui formait un maillon important dans le système de production soviétique. Mais si la Géorgie comptait parmi les pays les plus prospères de l’URSS, ce fut essentiellement grâce à son secteur agricole, fournisseur attitré de Moscou pour le vin, l’eau minérale, le thé, les agrumes, etc. Les Géorgiens bénéficiaient d’un niveau de vie d’autant plus élevé que l’agriculture donnait lieu à d’importants revenus « parallèles ». En effet, les pratiques informelles étaient davantage répandues en Géorgie que dans d’autres républiques de l’URSS[8].

La fin de l’Union soviétique devait sonner le glas de la coopération sous-régionale, se traduire par le démantèlement des infrastructures de transport et révéler les faiblesses structurelles de l’économie géorgienne. Alors que le pays avait perdu ses fournisseurs à bas coût et ses marchés d’exportation quasiment illimités, les biens traditionnellement exportés n’étaient pas compétitifs sur les nouveaux marchés qu’il s’agissait de conquérir. D’où des surcapacités de l’appareil de production industrielle, incompatibles avec un système économique basé sur la concurrence. Des « erreurs » de gestion contribuaient à empirer la situation. Ainsi, pendant longtemps, l’industrie géorgienne a pâti de ses directeurs « rouges », mis à la tête des usines au cours des premières années consécutives à l’indépendance, directeurs qui se sont montrés peu motivés pour les restructurations qui s’imposaient. De plus, la libéralisation des prix de l’énergie allait déclencher un choc des termes de l’échange.

À ce désastre économique devaient s’ajouter des conflits politiques dans des zones frontalières. Ils allaient engendrer des flux de milliers de réfugiés et donner lieu au blocage, voire à la fermeture, de certaines voies de transport. Les conséquences en furent dramatiques : l’effondrement de la production nationale, une inflation galopante, un chômage massif tant bien que mal compensé par l’exploitation de lopins de terre et le foisonnement de petits métiers. Pendant la majeure partie des années 90, les pénuries de produits alimentaires et l’absence d’électricité faisaient partie du quotidien ; les dépôts en banque des particuliers diminuaient drastiquement ; l’effondrement des pyramides d’épargne qui avaient éveillé des espoirs démesurés fit le reste.

La fin de l’empire soviétique correspond à des ruptures multiples. Par rapport à un système de coopération sous-régionale et de péréquation entre républiques plus ou moins prospères, tout d’abord. Par rapport à une certaine homogénéité sociale, ensuite, avec des couches moyennes représentant la grande majorité de la population. Une rupture, enfin, par rapport à l’omniprésence de l’emploi dépendant[9]. Ce système devait s’effacer devant la pénétration grandissante du marché et une plus grande responsabilisation des acteurs collectifs et individuels. De plus en plus, la compétition allait jouer un rôle central, compétition entre nouveaux partenaires politiques et économiques et entre « nouveaux » voisins – l’on pense aux pays concernés par la « politique européenne de voisinage » –, mais aussi compétition entre nouvelles couches sociales et entre individus, notamment pour l’accès à l’emploi.

… à une économie néo-libérale

Depuis la fin des années Chevardnadze, le président Saakachvili et son équipe s’appliquent avec beaucoup de panache à tourner définitivement la page de l’époque soviétique, avec des résultats positifs dans certains domaines. Ainsi, une politique fiscale rigoureuse a permis d’augmenter les recettes de l’État. Depuis la révolution des Roses, celles-ci dépassent les 25 % du PIB, alors qu’avant elles stagnaient autour de 14 %. Ces rentrées fiscales ont permis d’éponger, entre autres, les arriérés de pensions qui s’étaient accumulés depuis plusieurs années. La croissance était stable, jusqu’en 2007 du moins. Autant d’éléments qui semblaient garantir le prestige de la Géorgie auprès de la communauté internationale, et ceci sans que cette dernière questionne véritablement les libertés prises par l’équipe au pouvoir avec les droits de propriété ou la destination réservée aux contributions « volontaires » demandées aux entrepreneurs fortunés. Et sans qu’elle s’interroge trop non plus sur les visées poursuivies avec les privatisations du patrimoine national et sur l’interprétation faite des statistiques économiques[10]. En effet, ces pratiques pouvaient – et peuvent toujours – laisser dubitatif par rapport à l’engagement des décideurs en faveur de la démocratisation et de la transparence de la gestion de l’État.

Pour ce qui est de la bonne marche de l’économie, le souci majeur de Mikheïl Saakachvili et son équipe consiste en la promotion de la croissance, grâce à une libéralisation qui cherche son égal dans l’espace post-soviétique. En effet, certains domaines de l’économie géorgienne sont dépourvus des réglementations les plus élémentaires. Ainsi, tout un chacun peut s’improviser chauffeur de taxi sans disposer d’une licence, la vente des médicaments est quasiment libre, les contrats de travail peuvent se faire oralement[11]. Vue sous cet angle et dans ces domaines précis, la protection de l’individu en tant que consommateur et travailleur est quasiment inexistante. Dans un premier temps, le président Saakachvili a réussi le pari d’une croissance remarquable, à en croire les taux qui voisinaient les 10 % par an entre 2003 et 2007[12]. Pari réussi aussi à en croire les taux élevés des investissements directs étrangers : inférieurs à 5 % du PIB avant la révolution des Roses, ils ont atteint 15 % du PIB en 2006, 20 % en 2007.

Les progrès réalisés en termes de croissance reposaient cependant sur des bases étroites, à savoir les transports, l’intermédiation financière, les communications et les BTP. C’est particulièrement dans ce dernier secteur que l’essor fut remarquable. En effet, l’indice des BTP a été multiplié par 6,6 depuis 1996, une évolution liée à la construction d’hôtels et de logements ainsi qu’aux travaux d’infrastructure. Il s’agissait d’aménager des voies routières et ferroviaires, mais aussi et surtout de construire l’oléoduc BTC qui relie, via Tbilissi, Baku (Azerbaïdjan) au port turc de Ceyhan, ainsi qu’au gazoduc Baku-Tbilissi-Erzurum. Élément central, s’il en est, du rapprochement entre la Géorgie et l’Europe de l’Ouest, ces ouvrages sont censés permettre à la république sud-caucasienne de monnayer ses atouts de corridor reliant l’Asie centrale et l’Europe, tout en garantissant son propre approvisionnement en gaz, et de donner lieu à la redistribution géo-stratégique des cartes et empêcher le monopole de la Russie en matière énergétique.

Or, l’évolution fulgurante des BTP et l’arrivée massive d’investissements étrangers – en provenance de l’Union européenne, mais aussi du Kazakhstan, de la Turquie et de la Russie – portaient en elles un danger non négligeable, celui connu sous le terme de syndrome hollandais[13]. Ce phénomène est susceptible de conduire à l’appréciation de la monnaie locale et à la perte de compétitivité des exportations traditionnelles de biens comme, dans le cas de la Géorgie, les produits industriels et agricoles. Indépendamment de l’essor des BTP, trois autres facteurs ont, en l’occurrence, favorisé l’émergence du syndrome hollandais. L’on pense tout d’abord aux transferts des migrants – environ 10 % du PIB en 2006[14] –, dont plus d’un tiers se dirige vers la consommation. Il y a, ensuite, les nombreuses privatisations qui ont contribué à l’augmentation des ressources de l’État. Et il y a, enfin, l’arrivée massive de l’aide à la suite de la guerre : 4,5 milliards de dollars entre 2008 et 2010, soit l’équivalent de près de 30 % du PIB de 2008[15]. Tous ces facteurs allaient accélérer la demande et attiser l’inflation. Celle-ci – officiellement estimée à 9 % en 2007, 10 % en 2008, mais l’on sait à quel point la production de cet indice est soumise à de fortes pressions politiques[16] – devint, à la suite de la guerre, l’un des problèmes majeurs du pays. Elle devait conduire à la dévaluation de 15 % du lari, d’où le renchérissement des importations qui représentent 80 % de la consommation nationale. Le pouvoir d’achat des Géorgiens s’en vit dégradé.

La crise internationale devait faire reculer à la fois les transferts de migrants et les investissements étrangers. Au cours des trois premiers trimestres de l’année 2009, ces derniers ont été divisés par 2,5 par rapport à la même période de l’année précédente. Pour compléter ce tableau, on signalera le déséquilibre de la balance commerciale, avec des importations qui sont quatre fois plus importantes que les exportations. Autant dire que les leaders géorgiens, qui avaient pris l’habitude de miser sur les investissements étrangers pour entretenir la croissance, ne peuvent se permettre, en cette situation de crise, d’être trop regardants sur l’origine des fonds. À un point tel que le président Saakachvili déclara, en mars 2009 :

We’re not going to hinder Russian companies from coming to Georgia. […] The more business interest we get, the less political pressure there will be. I’ve never said that Georgia doesn’t need Russian business[17].

La création de deux zones franches fait partie des stratégies supposées entretenir la croissance, tout comme de nouveaux allègements fiscaux prévus par le Economic Freedom, Opportunity, and Dignity Act[18]. Celles-ci sont vivement critiquées par les spécialistes qui prônent un développement équilibré, sans poches artificielles où s’accumulent des richesses de manière démesurée[19].

Un tissu économique désarticulé

La guerre d’août 2008 ainsi que la crise internationale devaient avoir raison de la croissance spectaculaire. En effet, celle-ci tomba à 2 % en 2008, pour être de - 4 % en 2009. Les experts s’attendent à une reprise en 2010, avec un taux de 2 %[20]. En même temps, allait se révéler au grand jour la désarticulation de l’économie géorgienne, une désarticulation que le boom des années 2004 à 2007 avait mal cachée[21]. Elle s’explique, bien entendu, par les transformations consécutives au démantèlement de l’Union soviétique, mais pas seulement. En effet, si dynamiques soient-ils, des secteurs comme les BTP, l’intermédiation financière et les communications – secteurs particulièrement restreints en termes de main-d’œuvre – ne peuvent à eux seuls garantir le développement à moyen et à long terme de l’économie géorgienne, alors que les potentialités de l’industrie et de l’agriculture restent insuffisamment exploitées.

En ce qui concerne la première – avec une concentration dans l’agro-alimentaire, la production métallurgique, les minerais et la chimie –, son indice, à prix courant, n’a été multiplié que de 1,8 depuis 1996 ; sa contribution à la production nationale n’est plus que de 14 %. L’industrie continue à être lourdement handicapée par l’héritage de l’époque soviétique, un handicap qui se manifeste tout d’abord par l’implantation spatiale des usines et leur concentration dans trois villes : Tbilissi, Kutaisi et Rustavi. De ce fait, les usines ne peuvent pleinement profiter d’une main-d’œuvre meilleur marché dans d’autres zones, ni d’une voie de communication comme la TRACECA[22]. La forte présence d’entreprises d’État est un autre élément hérité du passé soviétique. L’industrie peine donc à passer à l’économie de marché, à faire émerger des entreprises de taille moyenne, qui seraient culturellement davantage adaptées que les grandes unités. Enfin, il semblerait que les bons projets industriels soient rares, et que trop peu de professionnels – du management moyen notamment – soient prêts à s’investir dans le secteur. Il s’ensuit que, au lieu de financer la production industrielle, les banques préfèrent diriger leurs ressources vers les crédits à la consommation ou au négoce.

La situation de l’agriculture est encore plus dramatique. Alors qu’elle occupe plus de la moitié des actifs[23], sa contribution à la production nationale est inférieure à 9 % en 2008, contre 21 % encore en 2001. Il s’agit d’une agriculture basée sur des petites exploitations, résultat, d’une part, du démantèlement des kolkhozes soviétiques et, d’autre part, de l’afflux de tous ceux qui, à la suite de la fermeture de leur entreprise, se sont repliés sur la zone rurale, généralement grâce à l’aide de l’État qui mettait à leur disposition un lopin de terre. En une décennie à peine, la proportion des Géorgiens cultivant la terre ou faisant de l’élevage avait doublé. À l’heure actuelle, les 750 000 fermes sont généralement de petite taille, avec une superficie inférieure à un hectare, et elles sont exploitées par l’unité domestique. Seules 820 peuvent être qualifiées d’entreprises agricoles.

Le système de production agricole présente à la fois une cohérence incontestable – comme ceci est généralement le cas des systèmes tournés vers la couverture des besoins de l’unité domestique – tout en souffrant de blocages, une caractéristique qui oppose l’agriculture actuelle à celle du régime soviétique. À l’époque, l’agriculture fut non seulement fortement subventionnée, mais il y avait aussi une véritable articulation avec l’amont et l’aval de la production : recherche scientifique de pointe, artificialisation et irrigation, équipements lourds fournis par l’industrie de la République socialiste de Géorgie, débouchés garantis au sein de l’Union. La citation suivante donne une image du délabrement actuel des structures agricoles :

[…] There is not much to do in the villages, partly because they do not know how to get the capital for seed, fertilizers, pesticides, irrigation maintenance and repairs, farm tools and machinery. Those who can raise crops do not know where to sell them. All of these things were provided for them in Soviet times[24].

La Géorgie indépendante n’est pas encore arrivée à rendre son agriculture compétitive et à l’adapter à un contexte international hautement concurrentiel. Si la production agricole semble être à un niveau comparable à celui de l’époque soviétique, c’est parce que le désinvestissement en outils et inputs a été compensé par l’important afflux de main-d’œuvre évoqué ci-dessus. Or, cette intensification à base de main-d’œuvre est contraire à la modernisation qui, elle, demande des inputs autres que la force humaine, inputs qui nécessiteraient le recours à des prêts. Mais les petites exploitations agricoles sont généralement exclues du système bancaire. Même les institutions de la micro-finance, de plus en plus nombreuses dans le pays, estiment que l’octroi de prêts présente trop de risques. Peu artificialisée et sous-équipée, l’agriculture géorgienne est aussi particulièrement exposée aux fluctuations climatiques. À cette fragilisation vient s’en ajouter une autre, celle liée à la faible protection contre la concurrence étrangère, un fait imputable à l’appartenance du pays à l’OMC. Ainsi, les produits géorgiens peinent à affronter, sur le marché intérieur déjà, la concurrence de produits étrangers bénéficiant, eux, de subventions souvent élevées. Quant aux exportations, notamment en direction de l’UE, les produits géorgiens ne correspondent pas nécessairement aux normes de qualité requises et ne disposent pas non plus de labels reconnus. Pour toutes ces raisons, l’agriculture semble bloquée.

On conclura de ce bref panorama de l’économie géorgienne que l’évolution entamée depuis la révolution des Roses est loin de garantir une croissance équilibrée de l’ensemble du tissu de production. Seul un tout petit nombre de secteurs – recourant à une main-d’œuvre limitée – ont bénéficié d’un essor, alors que des domaines à haute intensité de main-d’œuvre, et l’agriculture en tête, restent quasiment exclus. On verra par la suite que l’État géorgien n’a pas non plus les ressources nécessaires, ni la volonté politique pour répartir, grâce aux mécanismes de redistribution, les fruits de la croissance.

Demande sociale et réponses néo-libérales

Le passage à l’économie de marché devait confronter les Géorgiens avec des phénomènes qui, jusqu’alors, furent quasiment inconnus, mais qui sont le propre d’un système économique basé sur la performance et la compétition : le chômage, la pauvreté, les difficultés d’accès à certains services de base comme les soins de santé, autant de phénomènes entraînant des exclusions sociales et économiques et qui appellent des régulations. Les décideurs manifestent cependant un engagement limité pour les régulations, d’où aussi un État social résiduel.

Niveau de vie et inégalités

En dépit de la forte croissance qui a caractérisé une bonne partie de la décennie 2000, le PIB de 2008 est toujours de près de 40 % inférieur à celui enregistré en 1989. Parmi les 34 pays dits de transition passés en revue par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), seule la Moldavie est, à cet égard, moins bien placée que la Géorgie[25].

D’après les responsables du pays, la pauvreté serait en train de reculer. Les comparaisons longitudinales s’avèrent cependant délicates, car la définition de la pauvreté a évolué, ce qui est, à travers le monde, un moyen fréquemment utilisé pour escamoter des résultats peu probants. En Géorgie, les pistes sont d’autant plus brouillées qu’il existe plusieurs définitions de la pauvreté. D’après le PNUD, un Géorgien sur quatre vit avec moins de 2 dollars par jour. D’autres indices confirment la faiblesse du niveau de vie. Ainsi, en termes de « développement humain » – qui reflète à la fois les conditions matérielles, l’état de santé de la population et son niveau d’éducation –, la Géorgie n’a toujours pas retrouvé le niveau du début des années 90, une situation qui est, entre autres, due au mauvais état de santé de la population. Ainsi, la mortalité infantile est plus de trois fois plus élevée qu’en Lettonie et en Lituanie, pays qui sont souvent considérés comme des modèles[26]. En cas de maladie, les Géorgiens sont nombreux à renoncer à la visite d’un médecin, évoquant pour cela des raisons financières[27]. Dernier élément confirmant la précarité de la vie au quotidien : la consommation alimentaire. D’après les données statistiques, celle-ci se serait sensiblement détériorée. En effet, au cours des dix années séparant 1998 et 2008, le Géorgien « moyen » a réduit sa consommation de viande et de poisson de 20 % ; il a aussi consommé 27 % moins d’œufs, 35 % moins de fruits et 18 % moins de légumes[28].

Si la faiblesse du niveau de vie s’explique largement par les déséquilibres structurels engendrés ou renforcés par les évolutions économiques récentes, certains facteurs d’ordre démographiques et politiques y contribuent également. La demande sociale vis-à-vis de l’État s’en ressent d’autant plus qu’elle aussi est conditionnée par le passé soviétique.

On soulignera, tout d’abord, que la Géorgie se caractérise par une démographie peu dynamique. Depuis 2009, la population a diminué de 19 %[29], une évolution qui n’est pas seulement imputable à la faible croissance naturelle, mais aussi à des départs définitifs et à l’émigration temporaire, surtout vers la Russie et l’Ukraine, mais aussi vers l’Espagne, la Turquie ou la Grèce. Certes, les émigrés contribuent à améliorer, grâce aux transferts, la vie au quotidien de ceux qui sont restés. Mais comme ils sont généralement jeunes et qu’ils comptent parmi eux de plus en plus de femmes, ils participent au vieillissement de la population résidente, un phénomène auquel la Géorgie est confrontée plus que d’autres pays de la CEI : l’âge médian est de près de 38 ans, ce qui rapproche le pays, de ce point de vue, de l’Europe de l’Ouest[30]. Le nombre élevé de retraités découle de là. Il y a, en 2008, 660 000 retraités pour 570 000 travailleurs dépendants, d’où, bien entendu, des problèmes de financement des retraites et des autres prestations sociales, problèmes qui seront abordés plus loin.

Pour ce qui est, ensuite, de l’emploi, deux actifs sur trois sont auto-employés, avec tout ce que cela suppose comme précarité. Cette situation est sans commune mesure avec l’Europe des 27 où l’auto-emploi concerne, en moyenne, un actif sur six, tout en s’accompagnant d’un minimum de garanties sociales. En Géorgie, la tendance à créer son propre emploi s’est accentuée dans les années 90, du fait des licenciements massifs. Ceux-ci ont aussi provoqué un afflux considérable vers le secteur primaire et notamment l’agriculture, afflux évoqué ci-dessus[31]. La question de l’auto-emploi nous renvoie à la définition du chômage. Celle-ci est d’autant plus délicate que, d’une part, l’auto-emploi correspond souvent à du chômage déguisé. D’autre part, pour ce qui est plus particulièrement de l’agriculture, les autorités géorgiennes estiment que les membres d’une famille disposant d’un terrain d’au moins un hectare sont automatiquement considérés comme des actifs occupés[32]. Autrement dit, il n’y aurait, a priori, pas de chômage en zone rurale. Il s’ensuit que le taux de chômage officiel – 16,5 % en 2008 – est largement sous-estimé ; l’on peut raisonnablement affirmer qu’entre 30 ou 40 % des actifs sont effectivement sans emploi[33]. Le niveau de vie s’en ressent d’autant plus que les sans-emploi ne bénéficient pas d’aide publique de quelque nature qu’elle soit. On y reviendra.

La Géorgie pâtit, enfin, des répercussions des différents conflits armés : la guerre civile des années 90 d’abord, la guerre avec la Russie d’août 2008 ensuite. D’où un grand nombre de déplacés internes, originaires de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Début 2010, leur nombre est de 280 000 dont 42 % sont accueillis dans des centres collectifs[34]. L’on sait que parmi eux, la pauvreté sévit davantage que dans la population dans son ensemble et qu’elle va de pair avec un taux de natalité particulièrement bas et une situation sanitaire alarmante[35].

Tous ces éléments conduisent à une grande précarité et à de fortes inégalités, ces dernières étant, en Géorgie, plus prononcées que dans les autres pays post-soviétiques[36]. La précarité matérielle est plus répandue en zone rurale qu’en milieu urbain, et elle est surtout une caractéristique fréquente des ménages de petite taille, notamment ceux de personnes âgées sans descendants[37]. Autant dire que la demande sociale, que celle-ci s’exprime ouvertement ou non, mérite d’être prise particulièrement au sérieux. Elle le mérite d’autant plus que, compte tenu de leurs expériences passées, les populations ont de très grandes attentes par rapport aux politiques sociales. Ces attentes sont plus importantes dans l’espace post-soviétique que dans les pays asiatiques, sud-américains, voire africains, pour lesquels les protections institutionnalisées contre les aléas de la vie représentent un phénomène relativement nouveau.

L’héritage soviétique ou comment construire « sur et avec les ruines[38] »

Rappelons tout d’abord les grands traits du système en vigueur du temps de l’Union soviétique. À l’époque, la protection sociale lato sensu, enchâssée dans le processus de planification, était pensée comme un droit[39]. Elle assurait une prise en charge universelle car, théoriquement, tout citoyen bénéficiait d’une certaine sécurité matérielle grâce à l’emploi garanti d’une part, aux soins de santé, aux pensions et aux aides accordées en cas d’incapacité de travail d’autre part. L’État était à la fois l’assureur unique et le seul à délivrer les services de santé, et ceci sans que son efficience économique fût véritablement questionnée. Les entreprises d’État accomplissaient, elles aussi, un certain nombre de fonctions sociales, que ce soit dans le domaine du logement, de la garde des enfants, des congés, des loisirs, etc. Ainsi, les filets de sécurité n’avaient qu’à cibler des groupes spécifiques, comme les familles comptant en leur sein des handicapés, des vétérans de guerre, etc., familles généralement stables et relativement faciles à identifier. Puisque les autorités misaient sur des solutions ex ante, il n’y avait pas lieu d’élaborer des stratégies individuelles de prévention des risques. Théoriquement, les ménages pouvaient d’autant moins tomber dans un état de pauvreté que les prix des produits alimentaires, des combustibles, ainsi que les loyers étaient largement subventionnés. De plus, tout un chacun cherchait à éviter d’endosser le statut de pauvre, car la valorisation de la politique de plein emploi allait de pair avec l’assimilation à des « cas sociaux » de tous ceux qui ne travaillaient pas.

Le passage à l’économie de marché avec, comme conséquences fréquentes, le chômage et les difficultés d’accéder aux soins de santé, allait confronter une grande partie de la population géorgienne avec la précarité matérielle. L’élaboration de politiques compatibles avec cette nouvelle donne s’avéra vite indispensable. La santé étant considérée comme un domaine peu productif et exposé à la compétition avec d’autres secteurs tels que l’éducation et la défense, l’État diminua drastiquement les dépenses de santé – d’où des licenciements massifs de personnel médical –, ce qui ne tarda pas à se traduire par l’effondrement complet du système et la détérioration de l’état sanitaire des populations. C’est d’ailleurs de cette époque que datent certaines pratiques consistant à recourir à l’auto-médication, à ne consulter un médecin que dans des cas extrêmes, à négliger l’aspect préventif au bénéfice du curatif, des pratiques qui se perpétuent jusqu’à l’heure actuelle.

Dès le milieu des années 90, les autorités géorgiennes, tout en continuant d’assainir la santé publique, prirent des mesures pour mettre en place de nouvelles protections sociales[40]. Les structures de production et de l’emploi, ainsi que la faiblesse des ressources publiques interdisaient cependant toute « thérapie de choc » qui aurait consisté en la création volontariste de nouvelles institutions, à l’exemple des expériences polonaises, tchèques ou hongroises. Les bailleurs, notamment la Banque mondiale, préconisaient l’introduction de l’assurance santé, la privatisation des hôpitaux, la décentralisation du management des services, le financement sur base de programmes spécifiques, l’élaboration d’une législation appropriée, etc.[41]. Depuis, les tentatives d’aménagement – souvent à tort appelées réformes – se sont succédé. Elles se traduisent tantôt par des mesures spectaculaires qui s’avèrent vite irréalistes, tantôt par de l’immobilisme, voire des retours en arrière. Parfois, les résultats sont impressionnants. Ainsi, 20 300 médecins exercent leur métier en 2008, contre 32 000 en 1989 ; les réductions ont été encore plus drastiques pour le personnel paramédical dont le nombre a été divisé par 3,5 entre 1989 et 2008[42]. Mais il manque des mesures d’accompagnement pour la réinsertion professionnelle du personnel médical qui, tout comme d’autres catégories socio-professionnelles, est touché par la précarité. Des opérateurs privés ont fait leur apparition, la vente des médicaments est quasiment libre. Et alors que la privatisation des hôpitaux publics semble marquer le pas, les compagnies d’assurance sont invitées à investir dans des petites structures de santé en milieu rural. Les pouvoirs publics s’appliquent enfin aussi à agir sur les pratiques de consommation des prestations de santé, en instituant le principe du médecin de référence qui guide le patient dans ses démarches, à l’instar de ce qui se pratique, par exemple, en France.

Un dénominateur commun se dégage de ces différentes mesures. L’option prise par les décideurs consiste à inciter les populations à recourir au marché – au travers des opérateurs privés et l’assurance santé —, l’intervention étatique, elle, étant supposée régresser. Cette approche s’inspire de la théorie du « new public management » mise en application, à des degrés divers, dans la plupart des économies néo-libérales[43]. Le maître mot est la « performance économique ». Ce qui est en jeu, c’est la gouvernance du secteur santé ou, dit autrement, l’articulation entre opérateurs étatiques et non étatiques (assurances, organisations de la société civile, laboratoires, exploitants d’hôpitaux, etc.) L’opposition avec l’approche « tout-État » de l’époque soviétique est manifeste. Tout comme l’est le risque d’accentuer les inégalités au sein de la population.

Un État résiduel qui incite à la souscription d’assurances privées

Les ressources financières de l’État géorgien continuent à poser des limites aux politiques sociales. En effet, malgré leur progression remarquable, les prélèvements obligatoires restent relativement modestes, car inférieurs à 25 % du PIB[44]. La faiblesse de ce taux est, entre autres, liée au grand nombre des auto-employés qui, de fait, échappent à l’obligation fiscale. Les répercussions sur les potentialités redistributives du système sont évidentes. Pour ce qui est plus particulièrement des retraites, un système de répartition est de plus en plus difficile à entretenir dans le contexte géorgien, car l’on compte 1,2 retraité par travailleur[45]. Toutes ces contraintes posent d’étroites limites à la solidarité organisée par l’État. Même si, en dernier lieu, les politiques sociales sont le résultat d’options politiques…

Quoi qu’il en soit, les dépenses sociales de l’État géorgien correspondaient, en 2008, à 7,2 % du PIB[46]. Il s’ensuit que les populations doivent assurer la très grande majorité des soins sans qu’elles puissent prétendre à un remboursement quel qu’il soit. La différence par rapport aux pays d’Europe occidentale est patente : en Géorgie à peine 20 % des dépenses de santé sont désormais d’origine publique, 73 % d’origine privée nationale. En France, les proportions sont inversées, avec 78 % d’origine publique et 22 % d’origine privée[47].

Quelles sont alors les principales caractéristiques des protections sociales en Géorgie ? Elles se distinguent par le degré élevé de sélectivité de l’aide publique, le souci de généraliser les assurances privées, le rôle résiduel de l’État. C’est un système conservateur, en ce sens que les structures sociales ne sont pas remises en question et que la redistribution reste limitée, un système amenant les familles à faire jouer les solidarités inter-générationnelles. À ce titre, il ne correspond à aucun des types présentés dans le schéma désormais classique d’Esping-Andersen[48]. Alors que les allocations de chômage ont été supprimées en 2006, quatre volets composent le système public des protections sociales : une protection universelle minimale pour un nombre limité d’affections, un ensemble de pensions forfaitaires, un dispositif d’assistance aux plus démunis, des assurances de santé minimalistes bénéficiant d’une subvention de l’État.

L’État garantit la couverture universelle de soins spécifiques, liés à des pathologies particulièrement graves telles que les cancers, le diabète, les maladies mentales, etc. De même, sont pris en charge les accouchements et les traitements périnataux. Changement radical s’il en est par rapport à l’époque soviétique, et ceci d’autant plus que la gratuité des soins en question n’est garantie que de manière purement formelle. On y reviendra.

Quant aux pensions (de retraite, d’invalidité, de veuvage, etc.), il s’agit, en principe, de sommes forfaitaires. Pour ce qui est, plus particulièrement, des pensions de retraite, elles sont accordées qu’il y ait eu ou non activité économique antérieure. L’aspect forfaitaire les distingue des pensions perçues à l’époque soviétique ; celles-ci avaient été calculées en fonction des derniers salaires et permettaient de continuer à vivre conformément au standard habituel. Ceci n’est plus le cas à l’heure actuelle, loin s’en faut. En dépit des ajustements récurrents, le niveau des pensions de retraite reste extrêmement bas, 75 lari (31 €) pour la pension de vieillesse « standard », une somme qui se situe 15 % en dessous du minimum de subsistance. Autrement dit, les pensions de retraite sont tout d’abord un moyen de « lutte contre la pauvreté ». Leur faible niveau explique l’exercice fréquent d’une activité génératrice de revenu ainsi que la solidarité inter-générationnelle. À en juger le grand nombre de « familles complexes », c’est-à-dire de foyers comportant des membres autres que ceux de la famille nucléaire[49], la solidarité inter-générationnelle est un fait bien réel dans la société géorgienne actuelle. En même temps, les personnes âgées n’ayant pas d’attaches familiales s’en trouvent lésées, a fortiori lorsque leur état de santé nécessite des soins médicaux coûteux : il n’existe, dans toute la Géorgie, que deux maisons de retraite opérationnelles ; les maisons médicalisées, elles, font totalement défaut.

L’innovation principale des protections sociales réside dans l’existence d’une banque de données dont la fonction majeure consiste à articuler assistance publique et assurance privée. Cette banque de données permet aux plus nécessiteux de se faire connaître aux autorités. La sélection des bénéficiaires potentiels de l’aide publique part de l’auto-déclaration de ceux qui se considèrent comme pauvres, une définition qui privilégie l’état du patrimoine (proxy means testing[50]). Ces déclarations sont par la suite vérifiées par des travailleurs sociaux. La pauvreté ainsi définie est évaluée sur une échelle comprenant entre 3 000 (pour les plus démunis) et un million de points. Ceux qui se situent en dessous du seuil de 70 000 points bénéficient de l’aide de l’État. En principe, environ 20 % des Géorgiens sont concernés par ce « Programme de l’État pour la population en dessous de la ligne de pauvreté » et reçoivent, à ce titre, un bon échangeable contre une police d’assurance santé, auprès d’une compagnie d’assurance de la place. Les plus pauvres parmi eux – soit un Géorgien sur dix – reçoivent, de plus, des allocations en espèces. Le cas échéant, des allocations spécifiques peuvent venir s’y ajouter, notamment des bons pour des combustibles[51].

Ce qui est nouveau, c’est l’introduction, par le biais de cette banque de données, de l’élément assurantiel. Alors que les services de l’État financent l’assurance des plus pauvres, l’autre extrémité de l’échelle, les employés de certaines grandes entreprises bénéficient d’ores et déjà d’une assurance santé collective, négociée par leur employeur auprès d’assureurs privés. Les agents de l’État disposent, eux aussi, d’une assurance santé. Les décideurs comptent alors sur des effets mimétiques en œuvre à partir des deux extrémités de l’échelle sociale et estiment pouvoir provoquer par ce biais l’extension de l’assurance santé sur l’ensemble de la population. Il est aussi envisagé d’obliger les employeurs à articuler systématiquement toute embauche avec un contrat d’assurance. Et enfin, l’État incite dès à présent à la souscription d’assurances volontaires, en subventionnant les primes d’assurance. Ainsi, pour 60 lari (soit 26 €) par an – dont 40 lari (17 €) supportés par l’État –, les individus peuvent souscrire une assurance couvrant des risques liés à des accidents ainsi que des urgences médicales[52].

La situation telle qu’elle se présente en 2010 est le résultat de contraintes économiques et d’options politiques. Elle donne lieu à de nouvelles règles de jeu, sans pour autant pouvoir faire table rase du passé. Toute la difficulté du passage à l’économie post-soviétique réside là.

Règles du jeu et arrangements institutionnels

Alors que les différentes réformes sont menées dans l’optique néo-libérale présentée ci-dessus, l’empreinte institutionnelle du passé est encore prégnante. Celle-ci ne concerne pas seulement le domaine purement économique, mais touche aussi de nombreux autres aspects des interactions sociales. D’où la nécessité d’élaborer, collectivement, un modus vivendi humainement acceptable entre l’ancien et le nouveau. On se contentera ici d’analyser ce processus par rapport aux protections sociales. À cet égard, les populations peinent à se « retrouver » dans la nouvelle constellation et pâtissent manifestement du déficit démocratique propre à la société géorgienne actuelle.

La difficile équation entre institutions potentiellement divergentes

Si nous entendons par institutions les règles du jeu[53], celles-ci sont à la fois de type formel et informel. Parmi les premières comptent les régulations, les lois et, plus généralement, les documents écrits fixant la vie en société. L’effondrement de l’économie administrée a conduit à l’élaboration de nouvelles règles formelles. Leur mise en place pourrait paraître d’autant plus aisée que, d’une part, les changements sont largement souhaités par les parties prenantes locales et que, d’autre part, les agences internationales disposent de modèles globaux, supposés adaptables à des situations fort diverses. Cependant, les choses se compliquent du fait de l’existence de règles de type informel. Celles-ci comprennent les normes, les conventions, des modes de comportement, les croyances, les contraintes que s’imposent les individus, etc. Elles ont été élaborées en fonction des préférences des individus, en articulation avec les valeurs de la société. Elles renvoient donc à la mémoire collective et puisent leurs racines dans l’histoire locale longue. Si leur adaptation à la nouvelle donne et leur mise en harmonie avec les institutions formelles se heurtent à des résistances multiples, toute la difficulté du passage réussi au post-soviétisme consiste en des arrangements institutionnels acceptables pour l’ensemble des parties prenantes. Une condition qui, dans le cas de la Géorgie, semble loin d’être remplie.

Les institutions de type formel sont censées être une source de confiance dans les organisations d’un pays et les hommes qui le gouvernent. Leur fonction majeure consiste à procurer à la société une certaine stabilité. Cependant, lorsque l’on regarde l’histoire récente des politiques sociales en Géorgie, c’est tout le contraire que l’on observe. En effet, depuis les premières réformes il y règne une grande instabilité, voire de la confusion[54]. Cette situation est tout d’abord liée à la succession d’un grand nombre d’organisations en charge de la définition et de l’exécution des protections sociales. Ces organisations – qu’elles s’appellent United Social Welfare Fund, State Medical Insurance Company, United Fund, United Social Insurance Fund (SUSIF), Social Assistance and Employment State Agency (SAESA), etc. – ont régulièrement changé d’attribution, n’ont eu qu’une autonomie insuffisante vis-à-vis des ministères et n’ont généralement connu qu’une durée de vie réduite.

L’instabilité est aussi due aux tergiversations en matière de législation. Pour ne donner qu’un seul exemple, plusieurs lois relatives aux protections sociales ont été votées prévoyant l’obligation de souscrire une assurance et de capitaliser en vue de la retraite[55]. Mais ces lois n’ont pu être appliquées, tant leurs ambitions s’avéraient incompatibles avec les réalités du pays.

L’instabilité se traduit, en outre, par des revirements relatifs à certains aspects techniques. Ainsi, les modalités d’imposition et de prélèvement des contributions salariales ont été modifiées à plusieurs reprises au cours des quinze dernières années, notamment à la suite de l’adoption d’un nouveau Code des impôts en 2008. De même, la coexistence parallèle de services publics et privés, avec des attributions comparables, est susceptible d’entraîner des effets déstabilisateurs. Ceci fut notamment le cas lorsqu’une institution de la micro-finance proposa des produits de micro-assurance, alors que quasiment en même temps, l’État décréta la gratuité de certains soins prodigués dans le cadre du Basic Benefit Package. Une autre modification est actuellement en discussion. Elle concerne la définition de la pauvreté telle qu’elle a été retenue pour la banque de données présentée ci-dessus. Il s’agirait d’abandonner l’estimation de la pauvreté par le biais des biens possédés au profit d’une approche par les revenus.

L’instabilité est, enfin, générée par la multiplication de mesures ad hoc prises dans une optique politicienne et consistant à promettre des améliorations sensibles pour les populations les plus fragilisées. Ceci fut, par exemple, le cas du programme « Une Géorgie unie sans pauvreté » et le « Programme des 50 jours » annoncé la veille des élections législatives de mai 2008[56].

En revanche, ce qui manque, c’est une vision à long terme et une articulation mûrement réfléchie entre politiques publiques globales et mesures sociales spécifiques. Un exemple permet de faire la démonstration de cette absence de vision à long terme. Alors que tout est misé sur la généralisation des assurances et qu’il existe des spécialistes hautement qualifiés en la matière, la Géorgie manque cruellement de structures de formation pour le middle-management. Cette question renvoie à toute la problématique de la formation professionnelle et, plus généralement, aux politiques d’éducation. Là aussi, les décideurs semblent vouloir faire fi du passé[57].

Il convient aussi de s’interroger sur les acteurs du changement institutionnel et la pluralité qui les caractérise. Les agences internationales, les bailleurs de fonds ainsi que les experts de toutes sortes comptent autant parmi les parties prenantes que les investisseurs potentiels et les membres de la société civile et leurs représentants. En promouvant les nouvelles règles du jeu, ils tentent tous de poursuivre des intérêts qui leur sont propres. Alors que, comme on verra plus loin, les populations sont peu associées à l’élaboration des nouvelles règles, le rapport de force joue essentiellement en faveur des agences internationales, Banque mondiale et Commission européenne en tête. Elles privilégient les aspects formels et opérationnels des réformes, sans que leurs représentants disposent toujours d’une connaissance appropriée du terrain. Autrement dit, les règles informelles sont fréquemment négligées, leur prégnance sous-estimée. Le fait que certaines réformes sont restées lettre morte, car s’étant avérées inadaptées à la situation locale, s’explique aussi par là[58].

Les divergences d’approche ne se limitent cependant pas à une opposition entre les agences internationales, d’une part, et les acteurs locaux, d’autre part. Elles traversent aussi les différentes communautés, celle des bailleurs de fonds, celle des décideurs nationaux, celle de leurs partenaires privés et des experts et, enfin, la société civile même. Alors que chaque communauté, chaque groupe est conditionné par sa « culture », des effets de génération viennent complexifier la donne. Ils renvoient notamment aux trajectoires professionnelles des hauts fonctionnaires, à leur attachement à l’ancien système ou leur adhésion à l’approche néo-libérale. Pour beaucoup, les réformes sont menées à un rythme trop rapide, sans qu’ils aient le temps de bien en comprendre l’esprit[59]. La propension du président Saakachvili à s’entourer de très jeunes cadres acquis aux bienfaits des réformes volontaristes ne fait qu’accentuer les antagonismes en présence, tout en soumettant les politiques sociales encore davantage à l’impératif de la performance économique.

De l’importance des liens personnels

Et quid des populations pour lesquelles les réformes sont supposées être faites et qui représentent, en matière de politiques sociales, la partie prenante clé, car décidant, in fine, de leur échec ou de leur réussite ? Pour les Géorgiens, le passage à l’économie de marché et la mise en place de nouvelles protections s’accompagnent de changements institutionnels particulièrement difficiles à accepter. L’impression que l’État n’assume que très imparfaitement les répercussions douloureuses de ce passage n’est pas sans raviver une certaine nostalgie de l’État providence soviétique[60]. Cette situation amène les populations à perpétuer des pratiques qui ont fait leurs preuves à l’époque et à mobiliser des liens personnels tissés au fil du temps. Cependant, ces pratiques s’inscrivent en faux contre les principes mêmes de l’économie de marché. En effet, pour pouvoir fonctionner, celle-ci suppose la neutralité des liens…

La personnalisation des liens entre patients et personnel soignant est particulièrement instructive à cet égard. Elle n’est pas nouvelle en Géorgie. En effet, sous le régime soviétique, qui a priori garantissait la gratuité des soins, la personnalisation se traduisait notamment par des gratifications sous forme de petits cadeaux qu’offraient les patients au personnel médical, à la fois en guise de reconnaissance de ses compétences professionnelles et de récompense pour les soins reçus. Ainsi, on ne se présentait à un médecin que lorsqu’on avait un minimum à lui offrir, que ce soit sous forme d’espèces ou en nature[61]. Dans les années 90, alors que le système de santé allait être démantelé et que la baisse du pouvoir d’achat commençait à toucher l’ensemble de la population, ces gestes paraissaient encore davantage justifiés. Or, l’introduction de la médecine payante n’allait pas seulement alourdir les contributions des patients, mais elle devait entraîner l’ensemble du système de santé dans une spirale autodestructrice dont les répercussions sont toujours sensibles. Étant donné que les structures de soin sont désormais gérées comme des entreprises privées, le personnel est amené à attirer une clientèle solvable, sans pour autant vouloir renoncer à ses propres gratifications. De ce fait, se faire soigner devient de plus en plus coûteux, une évolution qui empêche un nombre grandissant de malades à recourir aux structures médicales et qui contribue par là à des surcapacités par rapport à la demande effective. Les pratiques de type informel entretiennent, voire accentuent ce déséquilibre : les professionnels de la santé ont tout intérêt à faire en sorte que les tarifications soient entourées d’une certaine opacité. Ceci est d’autant plus facile que la personnalisation des liens coupe court à toutes les questions que le patient pourrait (se) poser par rapport aux prix demandés. Il s’ensuit, par exemple, que parmi les bénéficiaires du « Programme de l’État pour la population en dessous de la ligne de pauvreté », 80 % ignorent qu’ils ont droit à des soins gratuits[62]. Mais la personnalisation des liens peut aussi jouer en faveur du patient, par exemple lorsque est facturé un acte médical moins onéreux que celui pratiqué effectivement ou bien lorsque la pathologie traitée est faussement déclarée comme une maladie bénéficiant de la gratuité des soins[63].

L’existence de liens personnels entre médecins et patients permet aussi de comprendre pourquoi ces derniers manifestent un intérêt limité pour les assurances. Puisque les usagers ont l’habitude de rémunérer les actes médicaux, l’assurance n’y changera pas grand-chose à leurs yeux. Autrement dit, pour une importante proportion du grand public – et nous entendons par là toutes les couches de la société –, les assurances ne font pas sens. Elles rencontrent un scepticisme d’autant plus grand que les primes sont subventionnées par l’État[64] : selon la perception des usagers, le professionnalisme des soignants et la qualité des services se mesure à l’aune des tarifs pratiqués[65].

Le changement des règles est fonction de l’intérêt que présentent les innovations aux yeux des différentes parties prenantes. Alors que les règles formelles peuvent se transformer rapidement – par une simple décision politique –, il en est autrement des règles informelles qui sous-tendent les pratiques au quotidien. Ce constat nous amène à soulever deux questions, celle de l’implication des populations dans les prises de décision et celle de l’engagement démocratique des décideurs géorgiens.

Politiques sociales et processus de démocratisation

L’élaboration des politiques publiques et des arrangements institutionnels compatibles avec la nouvelle donne suppose a priori la participation des populations. Beaucoup d’éléments portent cependant à croire que celles-ci sont écartées de ce processus et que les décideurs, eux, privilégient une approche par le haut[66].

Pour mieux apprécier l’ampleur des évolutions en cours, on rappellera que la révolution des Roses fut tout d’abord le résultat de la faiblesse et de la division des cercles au pouvoir sous Édouard Chevardnadze[67]. La mobilisation populaire autour de Mikheïl Saakachvili, leader de cette révolution, fut moins importante qu’on voulait le croire dans la première euphorie. La première révolution des couleurs dans l’espace post-soviétique bénéficiait de l’appui idéologique et financier de la communauté internationale et tout particulièrement des États-Unis sous le président Bush. Cet appui allait trouver son point culminant dans l’aide octroyée à la Géorgie au lendemain de la guerre d’août 2008, une aide consistant moins à réparer les dégâts causés par la guerre qu’à consolider les acquis néo-libéraux et à accélérer les travaux d’infrastructure en cours, et ceci dans un souci de sécuriser la zone.

Pendant plusieurs années, la communauté internationale allait accréditer les intentions démocratiques du régime issu de la révolution des Roses. Cependant, présentée comme la victoire de la démocratie, cette révolution allait avant tout déclencher des mesures volontaristes de modernisation et consacrer l’économie néo-libérale. Le président Saakachvili et son équipe se sont très vite donné les moyens pour imposer leurs visions et ils ont effectivement réalisé un certain nombre de progrès, que ceux-ci concernent l’environnement économique, la sécurité intérieure, la stabilisation des finances publiques et celle du secteur bancaire, etc. Nous l’avons souligné. Mais progressivement, le pouvoir allait se concentrer de plus en plus au niveau de la présidence, au détriment du Parlement où la majorité des partis d’opposition refusent de siéger après les élections de 2008 qu’ils estiment truquées…[68].

Certes, les élections se déroulent généralement de manière relativement transparente, plus transparente en tout cas que dans certains autres pays post-soviétiques. Mais il est également vrai que, selon une vision assez répandue, de nombreux observateurs semblent confondre élections plus ou moins démocratiques et processus de démocratisation en tant que projet politique et social à long terme. Les populations, elles, sont largement conscientes du côté manipulateur du système politique en place, un système qui change le cadre législatif et constitutionnel à un rythme impressionnant, qui exerce un contrôle de plus en plus rapproché des médias, qui prend des libertés par rapport aux droits de propriété, etc., et tout ceci au nom de la sécurité et de la modernisation. De plus en plus, les élites politiques paraissent déconnectées des réalités du pays. Attachées à l’idée de la laïcité, elles semblent ignorer l’adhésion des populations aux valeurs véhiculées par l’Église orthodoxe, pour ne nommer que celle-ci. Et alors que, pour mettre les opposants au pas, les leaders du pays invoquent le danger provenant de l’ennemi extérieur, la Russie, une méfiance non voilée par rapport à la puissance publique gagne la société géorgienne[69].

En même temps, la société civile – au sens d’un ensemble (auto-)organisé et institué, indépendant de l’État et d’intérêts privés – est relativement faible en Géorgie, une faiblesse qui s’explique, entre autres, par l’histoire de l’émergence des ONG, leur marchandisation progressive dans un contexte de globalisation et des clivages qui allaient apparaître petit à petit[70]. Des clivages entre, d’une part, des ONG dotées d’un personnel hautement qualifié, adhérant aux politiques néo-libérales et tirant sa légitimité de sources extérieures, et, d’autre part, des mouvements dépourvus de moyens, soucieux d’accéder aux médias pour faire évoluer la société vers plus de démocratie. Au lendemain de la révolution des Roses, un certain nombre des cadres des ONG ont rejoint les cercles du pouvoir, reléguant au second plan les préoccupations exprimées par les populations, au bénéfice des réformes constitutionnelles destinées à consolider le pouvoir présidentiel.

L’autre groupe, formé généralement d’enseignants et du personnel académique, est, lui, généralement plus proche des Géorgiens privés des fruits de la croissance macro-économique qui expriment leurs frustrations en descendant dans la rue, comme ils l’on fait en novembre 2007[71] et pendant le second trimestre 2009. Ces récentes manifestations, dont les dernières se sont d’ailleurs soldées par des restrictions drastiques du droit au rassemblement, ne sont cependant pas des expressions proprement dites de la société civile, mais des manifestations spontanées, initiées par des réseaux souvent éphémères. Ceux qui sont le plus lésés par les évolutions économiques récentes – les retraités, les déplacés internes, les sans-emploi – sont privés de véritables porte-parole et ne peuvent se faire entendre que sur la voie publique. Les autorités du pays, au lieu de promouvoir des espaces de délibération, répondent aux expressions de la colère par des mesures ponctuelles et souvent spectaculaires – tels les deux programmes évoqués ci-dessus –, prenant les populations davantage pour des électeurs qu’il s’agit de contenter la veille des scrutins que pour des citoyens disposant de droits sociaux, des citoyens capables de prises de paroles responsables[72].

Les efforts faits par les pouvoirs publics pour associer les populations à l’élaboration des politiques publiques paraissent globalement faibles. Tout comme, en aval, paraît faible le souci de faire passer l’information sur les tenants et aboutissants des réformes, sur les nouvelles règles en valeur. Les abus librement acceptés en matière de soins médicaux et l’ignorance des usagers de leurs droits sont autant d’expressions d’une information insuffisante des populations. Ce qui prévaut, c’est une attitude paternaliste qui n’est pas sans rappeler les pratiques du temps de l’Union soviétique, une attitude qui enferme les populations dans une passivité préjudiciable. L’ambiance de fin de règne qui caractérise la Géorgie en ce début 2010 ne fait qu’accentuer cette situation.

Conclusion

Quelles sont les conclusions que l’on peut tirer des développements faits ci-dessus ?

Comme d’autres équipes dirigeantes dans les pays post-soviétiques, celle conduite par Mikheïl Saakachvili éprouve beaucoup de difficultés à mener de front l’introduction et la généralisation de l’économie de marché, d’une part, et la mise en place et l’enracinement d’institutions démocratiques, d’autre part. Certes, l’économie géorgienne a connu une évolution tout à fait remarquable, compte tenu des conditions de départ héritées de l’époque Chevardnadze. Sa croissance macro-économique a pu impressionner, surtout au milieu des années 2000. Mais l’approche ultra-libérale qui cherche son égal dans les pays post-soviétiques a eu comme conséquence l’accentuation des déséquilibres entre secteurs économiques, entre zones rurales et milieu urbain et entre les différents segments de la société géorgienne. De nouveaux clivages ont fait leur apparition, de nouvelles couches fortunées – qui émargent souvent dans des secteurs puisant leur légitimité à l’extérieur – ont fait leur apparition. La grande majorité des Géorgiens, elle, n’a guère vu s’améliorer ses conditions de vie. Ses aspirations à une vie meilleure ont été déçues. Faisant une confiance quasiment aveugle aux lois du marché, l’équipe au pouvoir à Tbilissi semble considérer les réformes structurelles comme une fin en soi, susceptible d’augmenter le prestige du pays auprès des agences de notation et de garantir de la sorte aussi une certaine visibilité au sein de la communauté internationale. L’idée selon laquelle l’économie de marché allait automatiquement entraîner une croissance équilibrée et une progression du bien-être de l’ensemble de la population ne s’est donc pas vérifiée.

En ce qui concerne les politiques sociales susceptibles d’amortir les chocs qui accompagnent la généralisation de l’économie de marché, les décideurs de Tbilissi ont pris un grand nombre de mesures. Non sans surprise, celles-ci accordent un rôle central aux mécanismes du marché, tout en limitant l’assistance de l’État aux plus pauvres, une catégorie quasiment inconnue sous le régime soviétique. Ces derniers s’en trouvent d’autant plus stigmatisés que les politiques d’emploi – condition sine qua non pour affronter la pauvreté – se réduisent à des mesures ponctuelles qui n’ont de politiques que le nom. Les réformes en matière de protections sociales ont été souvent prises de manière précipitée et sans véritable coordination, et surtout sans grand souci d’en tenir informées les populations et sans que celles-ci puissent opérer les arrangements institutionnels nécessaires pour que les réformes deviennent humainement acceptables. L’implication des populations laisse donc à désirer, et ceci d’autant plus que l’opposition est divisée et que, à part certaines ONG particulièrement visibles mais peu représentatives, la société civile manque de structuration et de leaders crédibles. Comme le disait l’un de nos interlocuteurs :

La Géorgie a pu se permettre, dans le domaine des politiques sociales, le luxe d’expérimentations de toutes sortes, allant jusqu’à provoquer des erreurs susceptibles d’avoir des répercussions pendant des décennies[73].

Elle a pu se le permettre, car, somme toute, les décisions politiques ne rencontrent qu’une résistance limitée.

Restent les réactions de la communauté internationale et tout particulièrement de l’Union européenne à laquelle la Géorgie est liée par la « politique européenne de voisinage » et le « partenariat oriental ». Les marges de manœuvre de Bruxelles sont également limitées et la Commission européenne doit, globalement, se contenter d’injonctions pour que la législation prennent suffisamment en compte les aspects sociaux. Mais elle a peu de moyens pour vérifier l’application des lois, peu de moyens aussi pour sanctionner les abus… Alors que les élites utilisent le discours sur la modernisation pour consolider leur propre pouvoir, les régulations les plus élémentaires pour amortir les chocs engendrés par le passage à l’économie de marché semblent de moins en moins à l’ordre du jour. Dans son allocution de début 2010, le président Mikheïl Saakachvili, n’a-t-il pas prétendu que l’économie géorgienne ne pourra être redressée que grâce à une politique économique libérale ? Que la Géorgie « ne se détournera jamais du chemin du libéralisme[74] » ? Ce credo ne saura cependant faire office de politiques publiques, tenir lieu d’un projet de société, avec des perspectives à long terme susceptibles d’encourager les populations à se projeter dans le temps.

En même temps, d’importantes reconfigurations politiques s’effectuent dans la sous-région, qui font peser une lourde hypothèque sur l’avenir de la Géorgie. Qu’il s’agisse du souci de Moscou de « désinternationaliser la question géorgienne[75] », du retour en Ukraine d’une équipe proche de la Russie, de la « réconciliation » entre Ankara et Erevan, du désir de la Turquie d’accéder au rang de puissance régionale, l’on est amené à penser que la Géorgie est à un croisement important dans son histoire. Un croisement entre la poursuite d’un rapprochement par rapport au monde occidental – mais un rapprochement plus prudent que par le passé – et la redéfinition de ses relations avec la Russie dont celle-ci sortira vainqueur. Le mandat de Mikheïl Saakachvili expire en 2013. Ceci laisse peu de temps pour consolider les quelques acquis du processus de démocratisation…


[1] Je tiens à remercier l’équipe du Centre for Social Studies (Tbilissi), et notamment Marina Muskhelishvili, pour les nombreuses discussions stimulantes et l’appui logistique sur le terrain. Mes remerciements vont aussi aux participants de la Journée d’études du 5 décembre 2008 à l’École normale supérieure à Lyon, Institut européen Est-Ouest. Je reste cependant seule responsable de toutes les imperfections.

[2] EBRD (European Bank for Reconstruction and Development), Life in Transition. A Survey of People’s Experiences and Attitudes, Londres, EBRD.

[3] Pour une revue de la littérature, on peut voir P. Grosjean et C. Senik, Should Market Liberalisation Precede Democracy? Causal Relations between Political Preferences and Development, Bruxelles, EBRD, document de travail n° 103, 2007.

[4] T. Carothers, « Democracy Assistance: Political vs Developmental? », Journal of Democracy, vol. 20, n° 1, janvier 2009, p. 5-19.

[5] T. Carothers, « The End of the Transition Paradigm », Journal of Democracy, vol. 13, n° 1, janvier 2002, p. 5-21 ; L. Diamond, « The Démocratic Rollback », Foreign Affairs, Mars-avril 2008 ; M. Emerson et R. Youngs (dir.), Democracy’s Plight in the European Neigbourhood. Struggling Transitions and Proliferation of Dynasties, Bruxelles, Centre for European Policy Studies, 2009.

[6] International Crisis Group, Georgia: Sliding towards Autoritarianism?, rapport européen n° 189, 19 décembre 2007 ; G. Khutsishvili, « Georgia’s Degenerative Transition », dans M. Emerson et R. Youngs (dir.), Democracy’s Plight in the European Neigbourhood, op. cit., p. 68-75.

[7] Voir http://www.doingbusiness.org/economyrankings/. Les données sont reprises, sous forme tronquée, sur le site de l’Agence nationale pour l’investissement : http://www.investingeorgia.org/. Tous les sites mentionnés dans ce texte ont été consultés en février 2010.

[8] G. Mars et Y. Altman, « Case Studies in Second Economy Production and Transportation in Soviet Georgia », dans S. Allessandrini et B. Dallago (dir.), The Unofficial Economy. Consequences and Perspectives in Different Economic Systems, Gower Publishing Company, 1987, p. 197-219, et G. Mars et Y. Altman, « Case Studies in Second Economy Distribution in Soviet Georgia », dans ibid., p. 220-254.

[9] Cette homogénéité n’excluait cependant pas des inégalités. Voir A. McAuley, Economic Welfare in the Soviet Union. Poverty, Living Standards, and Inequality, Madison (WI), The University of Wisconsin Press, 1979.

[10] Voir, entre autres, V. Papava, « The “Rosy” Mistakes of the IMF and World Bank in Georgia », Problems of Economic Transition, vol. 52, n° 7, novembre 2009, p. 44-55.

[11] « No Taxi Regulation », Georgia Today, n° 477, 18-24 septembre 2009 (http://www.georgiatoday.ge/) ; « Ordinary Shops Soon to Sell Over-the-Counter Drugs », Georgia Today, n° 480, 9-15 octobre 2009 ; Labor Code of Georgia (http://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex_browse.country?p_lang=en&p_country=GEO).

[12] Cependant, ces taux méritent d’être relativisés, tant les besoins de rattrapage étaient importants. Sources pour ce paragraphe : GEPLAC (Georgian-European Policy and Legal Advice Centre), Georgian Economic Trends, octobre 2006 ; GEPLAC, Georgian Economic Review, janvier-septembre 2009 ; Ministry of Economic Development of Georgia, Department of Statistics, Statistical Yearbook of Georgia 2009, Tbilissi, 2009.

[13] Lié à un important afflux de capitaux, le syndrome hollandais désigne tout déséquilibre entre les secteurs des produits échangeables (industrie, agriculture) et non échangeables (restauration, hôtellerie, construction) et une gestion imprudente des richesses créées. Voir N. Aslamazishvili, « “Dutch Disease” in Georgian Economy: Current Reality and Potential Threats », dans GEPLAC, Georgian Economic Trends, octobre 2006, p. 75-62 ; V. Papava, « The Baku-Tbilisi-Ceyhan Pipeline: Implications for Georgia », dans S. F. Starr et S. E. Cornell (dir.), The Baku-Tbilisi-Ceyhan Pipeline: Oil Window to the West, Washington/Uppsala, John Hopkins University / Uppsala University, 2005, p. 85-102 (http://www.silkroadstudies.org/BTC.htm) ; I. Samson, Medium Terms Prospects for the Georgian Economy, Grenoble, université Pierre-Mendès-France, Institut de recherche Espace Europe, 2008, (http://upmf-grenoble.fr/espace-europe/).

[14] M. Kakulia, « Labour Migrants’ Remittances to Georgia: Volume, Stucture and Socio-economic Effect », dans GEPLAC, Georgian Economic Trends, octobre 2007, p. 49-57.

[15] United Nations / World Bank, Georgia. Summary of Joint Needs Assessment Findings. Prepared for the Donors’ Conference of October 22, 2008 in Brussels, Genève/Washington, 2008.

[16] V. Papava, « The Baku-Tbilisi-Ceyhan Pipeline », art. cité, 2009, p. 48-49.

[17] « Georgia’s Saakashvili Won’t Impede Russian Business », Bloomberg.com, 13 mars 2009 (http://bloomberg.com/).

[18] Voir IMF (International Monetary Fund), Georgia: Fourth Review under the Stand-By Arrangement and Request for Modification of Performance Criterion, Washington, IMF, décembre 2009, p. 15-16, et le site de la Présidence géorgienne (http://www.president.gov.ge/?l=E&id=3085).

[19] V. Papava, The “Immortal” Idea of a Free Economic Zone, Tbilissi, Georgian Foundation for Strategic and International Studies, 2007.

[20] Les données chiffrées relatives à l’économie géorgienne proviennent essentiellement de IMF, Georgia, op. cit. ; GEPLAC, Georgian Economic Trends, mai 2008 ; GEPLAC, Georgian Economic Review, 1er trim., 2009 ; V. Papava, « Georgia’s Economy. Post-Revolutionary Development and Post-War Difficulties », Central Asian Survey, vol. 28, n° 2, 2009, p. 199-213 ; A. Boone et T. Fazio Tatiana, « Georgia: Facing the Global Crisis », Trusted Sources, mars 2009 (http://www.trustedsources.co.uk/).

[21] Pour plus de détails, voir E. Baumann : L’Économie géorgienne. Menaces au présent, poids du passé, incertitudes pour l’avenir, note n° 7, 3 octobre 2008, Fondation Jean-Jaurès, Paris ; Géorgie : soigner les blessures de la guerre, note n° 15, 13 janvier 2009, Fondation Jean-Jaurès, Paris (http://www.jean-jaures.org).

[22] Transport Corridor Europe Caucasus Asia. Elle englobe des voies routières, ferroviaires et maritimes reliant treize pays, de l’Asie centrale à l’Europe. Voir : http://www.traceca-org.org/.

[23] Pour les paragraphes qui suivent, voir C. Cordonnier, « Prospects for the Development of Georgian Agriculture and Rural Society. Proposals for Action Plan », dans GEPLAC, Georgian Economic Trends, décembre 2005, p. 65-75.

[24] C. R. MacPhee, Roll over Joe Stalin. Struggling with Post-Soviet Reform in the Caucasus, New York, iUniverse Inc, 2005, p. 144.

[25] Voir le site de la BERD : http://www.ebrd.com/country/sector/econo/styats/index.htm.

[26] 32 pour mille contre 9 pour mille. Voir le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : http://www.who.int/whosis/database/.

[27] Georgia Primary Health Care Development Project / Oxford Policy Management / Curatio International Foundation, Georgia Health Utilisation and Expenditure Survey. Results from a Household Survey on the Use of Health Services and Expenditure on Health. Final Report, Tbilissi, Ministry of Labour, Health and Social Affairs, 2007, p. 12.

[28] Ministry of Economic Development of Georgia, Department of Statistics, Statistical Yearbook of Georgia 2009, Tbilissi, 2009, p. 60, et Ministry of Economic Development of Georgia, Department of Statistics, Statistical Yearbook of Georgia 2003, Tbilissi, 2003, p. 86.

[29] Voir le site de Statistics Georgia, service statistique national : http://www.geostat.ge/.

[30] L’âge médian est de 28 ans en Azerbaïdjan, de 30 ans au Kazakhstan, de 40 ans en Ukraine et de 39 ans en France (http://www.indexmundi.com, estimations pour 2009).

[31] M. Tokmazishvili et I. Archvadze « Socio-economic and Institutional Aspects of Labour Market Development in Georgia », dans GEPLAC, Georgian Economic Trends, juillet 2007, p. 49-57 ; C. Cordonnier, « Prospects for the Development of Georgian Agriculture and Rural Society », art. cité.

[32] Et pourtant, il n’est pas certain qu’un terrain d’un hectare permette de nourrir convenablement une famille.

[33] Les données reliant emploi et niveau d’études semblent accréditer cette hypothèse : environ 30 % des diplômés de l’enseignement secondaire se disent sans emploi, et 40 % des diplômés du supérieur. Voir Ministry of Economic Development of Georgia, Department of Statistics, Labour Market in Georgia, Tbilissi, 2007, p. 32.

[34] Source : http://www.mra.gov.ge/index.php?lang_id=ENG&sec_id=210, le site du Ministry of Refugees and Accommodation.

[35] A. Zoidze et M. Djibuti, IDP Health Profile Review in Georgia, Tbilissi, UNDP, 2004.

[36] United Nations Development Programme, Human Development Report 2009, Genève, UNDP, p. 195-197.

[37] Pour les détails, on peut consulter le site de la Social Service Agency dont il sera question plus loin : http://www.ssa.gov.ge/index.php?id=69&lang=2.

[38] Expression reprise de A. Cerami, « The politics of Reforms in Bismarckian Welfare Systems: The Cases of Czech Republic, Hungary, Poland and Slovakia » (2008), dans B. Palier (dir.), A Long Good Bye to Bismarck? The Politics of Reforms in Continental Europe. Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 3 (http://www.policy-evaluation.org/cerami/).

[39] A. McAuley, Economic Welfare in the Soviet Union, op. cit.

[40] A. Jorbenadze et al., « Health Reform and Hospital Financing in Georgia », CMJ Online, vol. 40, n° 2, 1999 (http://www.cmj.hr/1999/40/2/10234066.htm) ; A. Tvalchrelidze, « The Social Security System in Georgia and Possible Trends in Its Development », dans IDEA (International Institute for Democracy and Electoral Assistance), Building Democracy in Georgia. Democratization in Georgia: Economic Transformation and Social Security, discussion paper n° 8, Stockholm, 2003, p. 16-21. Des allocations de chômage faisaient partie de ces mesures, mais ne couvraient qu’une proportion infime des chômeurs.

[41] T. Collins, « The Georgian Healthcare System. Is It Reaching the WHO Health System Goals? », International Journal of Health Planning and Management, vol. 21, 2006, p. 297-312 ; V. Megrelishvili et T. Chanturidze, « Georgian Health Care System Reform Overview », dans Oxford Policy Management, Introduction to Primary Health Care in Georgia, Oxford, OPM, 2008, vol. 1, p. 9-26.

[42] Sources : Statistics Georgia (http://www.statistics.ge/main.php?pform=51&plang=1), et Ministry of Economic Development of Georgia, Social Trends in Georgia, Tbilissi, p. 67. La fermeture de certains instituts de recherche et les départs massifs de scientifiques d’origine russe contribuaient à cette diminution drastique. Cependant, d’après l’OMS, la densité de médecins en Géorgie est toujours plus importante que dans les pays d’Europe occidentale (4,7 pour 1 000 habitants contre 3,4 en France et en Allemagne).

[43] Voir D. Simonet, « The New Public Management Theory and European Health-Care Reforms », Canadian Public Administration, vol. 51, n° 4, décembre 2008, p. 617-635.

[44] La situation est tout autre en France, par exemple, où les prélèvements obligatoires – composés à raison de deux tiers des cotisations sociales – correspondent à environ 50 % du PIB.

[45] En tenant compte de l’ensemble des bénéficiaires d’une pension, le rapport est de 1,5. Pour donner un ordre de grandeur, en France, l’on compte 0,4 retraité par actif. Voir aussi A. Gugushvili, « Political Economy of Old-Age Pension Reforms in Georgia », Caucasian Review of International Affairs, vol. 3, n° 4, automne 2009, p. 371-386.

[46] Elles comprennent des programmes de santé, les pensions (plus de la moitié du total), l’assistance sociale. Voir IMF, Georgia, op. cit., p. 10. À titre de comparaison, en France, ce taux tourne autour de 55 % du PIB.

[47] Source : http://www.who.int/nha/country/en/index.html, le site de l’OMS.

[48] G. Esping-Andersen, Les Trois Mondes de l’État-providence, Paris, PUF, 2007 [traduction révisée, 1re édition française en 1999]. Voir aussi A. Orenstein Mitchell, « Postcommunist Welfare States », Journal of Democracy, vol. 19, n° 4, octobre 2008, p. 80-94.

[49] Un ménage géorgien sur deux est un « ménage complexe », contre un sur vingt en France. Voir C. Lefèvre et al., « Le rôle de la famille et de la société dans les solidarités intergénérationnelles. Comparaison des opinions en France, Géorgie, Lituanie et Russie », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 40, n° 3-4, décembre 2009, p. 315-345.

[50] Pour une revue des différentes méthodes de ciblage, voir L. Pasquier-Doumer et al., « Cibler les politiques de lutte contre la pauvreté dans les pays en développement ? Un bilan des expériences », Revue d’économie du développement, vol. 23, n° 3, 2009, p. 5-50.

[51] Avantage non négligeable dans ce pays où les dépenses d’électricité et de chauffage représentent 10 % des dépenses monétaires de consommation et où les prix de l’électricité et des combustibles peuvent connaître des augmentations spectaculaires (de 24 % en 2007, par exemple). Source : Ministry of Economic Development of Georgia, Department of Statistics [2008], Quarterly Bulletin, n° III-IV, 2007, p. 59.

[52] Transparency International Georgia, The GEL 5 Health Insurance Scheme. An Appraisal, Tbilissi, Transparency International, 2009.

[53] Les passages qui suivent s’inspirent essentiellement de D. C. North : Institutions, Institutional Change and Economic Performance, New York, Cambridge University Press, 1990, et The Contribution of the New Institutional Economics to an Understanding of the Transition Problem, WIDER (World Institute for Development Economics Research) Annual Lectures 1, Genève, United Nations University, WIDER, mars 1997.

[54] Voir A. Tvalchrelidze, « The Social Security System in Georgia », art. cité ; A. Gugushvili, « Political Economy of Old-Age Pension Reforms in Georgia », art. cité ; T. Antadze, « Social Protection System », dans Friedrich Ebert Foundation, European Neighbourhood Policy and Georgia. Analyses of Independent Experts. Tbilissi, Friedrich Ebert Foundation, 2007, p. 65-67.

[55] Law on Mandatory Social Insurance, Law on Mandatory Insurance Pensions, Law on Introducing Individual Registration and Individual Accounts in the System of Mandatory Social Insurance.

[56] Voir « Government’s Five-Year Program », Civil Georgia, 31 janvier 2008 sur : http://www.civil.ge/eng/article.php?id=17030, et Open Society Georgia Foundation, Analysis of the « 50-Day Program » of the Government of Georgia, Tbilissi, Open Society Georgia Foundation, 2008.

[57] M. Muskhelishvili, « Educational Reform », dans Friedrich Ebert Foundation, European Neighbourhood Policy and Georgia, op. cit., p. 81-83.

[58] L’on pense notamment à une étude sur la réforme des pensions, restée « sur l’étagère », comme le disait l’un de nos interlocuteurs à Tbilissi.

[59] I. Samson, Medium Terms Prospects for the Georgian Economy, op. cit., p. 20.

[60] En témoignent de nombreux sondages d’opinion. Voir, par exemple, ceux publiés régulièrement par le Caucasus Analytical Digest (http://www.res.ethz.ch/analysis/cad/).

[61] Voir P. Belli, G. Gotsadze et H. Shahriari, « Out-of-Pocket and Informal Payments in Health Sector. Evidence from Georgia », Health Policy, vol. 70, 2004, p. 109-123.

[62] Georgia Primary Health Care Development Project / Oxford Policy Management / Curatio International Foundation, Georgia Health Utilisation and Expenditure Survey, op. cit., p. 14.

[63] P. Belli et al., Qualitative Study on Informal Payments for Health Services in Georgia, Health, Nutrition and Population Working Paper, Washington, World Bank, novembre 2002.

[64] « The New GEL 5 Health Insurance Plan is Now in Effect, as of Last Week », Georgia Today, n° 449, 3-12 juin 2009.

[65] G. Gotsadze, S. Bennett, K. Ranson et D. Gzirishvili, « Health Care-Seeking Behaviour and Out-of-Pocket Payments in Tbilisi, Georgia », Health Policy and Planning, vol. 20, n° 4, juillet 2005, p. 232-242.

[66] Pour les paragraphes suivants, voir : D. Aprasidze, « Lost in Democratization and Modernization. What Next in Georgia? », Caucasus Analytical Digest, n° 2, 2009, p. 9-11 ; L. Diamond, The Spirit of Democracy, New York, Henry Holt, 2008, p. 190-207 ; G. Khutsishvili, « Georgia’s Degenerative Transition », art. cité, p. 68-75 ; M. Lanskoy et G. Areshidze, « Georgia’s Year of Turmoil », Journal of Democracy, vol. 19 , n° 4, octobre 2008, p. 154-168.

[67] S. Bertelsmann, Georgia Country Report, Gütersloh, Bertelsmann Stiftung, 2009, p. 4.

[68] Le déplacement du Parlement dans une ville de province, Kutaisi, – l’un des derniers projets en date du président Saakachvili – a toutes les chances de renforcer la super-présidence au détriment du pouvoir législatif.

[69] Voir notamment M. Lanskoy et G. Areshidze, « Georgia’s Year of Turmoil », art. cité.

[70] Voir l’analyse de M. Muskhelishvili, « Globalization and the Transformation of Institutions and Discourses in Georgia », dans E. Baumann et al. (dir.), Anthropologues et économistes face à la globalisation, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 171-186, et J. Wheatley, « Civil Society in the Caucasus: Myth and Reality », Caucasus Analytical Digest, n° 12, janvier 2010, p. 2-6.

[71] E. Baumann, « Géorgie : une campagne électorale mouvementée », La Newsletter de la Fondation Jean-Jaurès, n° 292, 20 décembre 2007 (http://www.jean-jaures.org).

[72] Pour des considérations théoriques, voir T. Fitzpatrick, « The Two Paradoxes of Welfare Democracy », International Journal of Social Welfare, vol. 11, 2002, p. 159-169.

[73]nbsp;1 D. G., consultant, Tbilissi, 29 novembre 2007.

[74] « Saakachvili’s State of Nation Address », Civil.ge, 26 février 2010 (http://www.civil.ge/eng/article.php?id=22029).

[75] G. Minassian, Le Caucase du Sud, un an et demi après la « guerre des cinq jours », note n° 01/10, Paris, Fondation pour la recherche stratégique, 2010, p. 3.  

 

Pour citer cet article

Eveline BAUMANN. «Géorgie : la difficile équation entre économie néo-libérale et valeurs démocratiques». In : Maryline Dupont-Dobrzynski et Garik Galstyan (dir.) Les influences du modèles de gouvernance de l’Union européenne sur les PECO et la CEI. Lyon : ENS de Lyon, mis en ligne le 15 juillet 2011. URL : http://institut-est-ouest.ens-lyon.fr/spip.php?article290