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Intégration du système de l’enseignement supérieur arménien au processus de Bologne

Garik GALSTYAN

Maître de conférences en civilisation russe et soviétique, université Lille 3, CECILLE

Index matières

Mots-clés : Bologne, Arménie, crédit, recherche, baccalauréat, mastère.


Plan de l'article

Texte intégral

Après la chute de l’URSS, les États post-soviétiques se sont activement engagés dans des réformes qui touchaient pratiquement tous les domaines de la vie sociale, politique et économique. Le système de l’éducation en faisait partie. Nous allons nous concentrer sur les réformes dans le système de l’enseignement supérieur en étudiant tout particulièrement le cas de l’Arménie.

La réforme du système éducatif a plusieurs origines. Suite à l’effondrement de l’URSS, le plus grand cataclysme géopolitique de la fin du XXe siècle, la situation socio-économique de l’espace post-soviétique a subi de profonds changements. Sortis de leur ère soviétique, les nouveaux États ont souhaité intégrer les structures européennes. Cette aspiration et le processus global de mondialisation a conduit d’emblée à l’élaboration de réformes afin d’harmoniser le système local avec le système européen basé sur l’accord et le processus de Bologne, la plus importante initiative européenne dans le domaine de l’éducation depuis les 30 dernières années.

Une fois les réformes entamées, l’efficacité des traditions de fonctionnement et d’organisation bien établies durant des décennies a été remise en cause. Il en a découlé une crise dans le système de l’enseignement, révélatrice du constat selon lequel pendant les réformes structurelles le secteur public a été souvent négligé, alors que la sphère économique a toujours été considérée comme prioritaire. La crise économique profonde a eu un impact négatif sur le financement du système d’éducation arménien. En effet, si en 1992 7,2 % du PIB étaient alloués aux besoins de l’enseignement, en 2006 cette proportion a baissé de plus de la moitié avec 3,23 % du PIB[1]. Pourtant, la croissance économique d’un pays est difficilement imaginable sans le développement du secteur de l’éducation. Hormis la dimension économique, les « écoles et autres institutions du système éducatif sont des canaux de création et de transmission des valeurs de la société et du maintien de la cohésion sociale[2] ».

L’introduction de l’économie de marché et le processus douloureux de démocratisation de la société ont amené à repenser les méthodes d’enseignement, à revoir son mode de financement et, en général, à changer la manière de voir le système éducatif. C’est d’autant plus important que l’enseignement est un pilier de base pour le devenir de la société, pour sa capacité à réagir aux défis lancés par le temps, notamment par la mondialisation qui voit s’accélérer les processus de diffusion des connaissances et s’intensifier les échanges. Dans le Rapport national sur le développement humain, le système arménien de l’enseignement est décrit ainsi :

L’école arménienne, comme la famille arménienne, repose essentiellement sur le principe d’autorité. L’état actuel du système éducatif arménien est dû dans une large mesure à la discordance entre les nouvelles lignes directrices et valeurs proclamées en matière d’éducation d’une part, et l’approche, les perceptions et les convictions soviétiques préservées d’autre part. Dans un monde qui connaît une évolution dynamique, notre éducation est restée fidèle au principe de l’invariabilité sociale et met principalement l’accent sur la transmission d’un savoir tout prêt et d’un contrôle des connaissances par la restitution plutôt que sur la résolution des problèmes, l’application des connaissances, et le développement des savoir-faire[3].

Nous allons traiter de la politique d’éducation selon ses trois dimensions : nationale (en matière de législation), universitaire (pour ce qui concerne la politique interne des établissements supérieurs) et sociale (quant à la demande et à l’offre).

L’intégration officielle de l’Arménie au processus de Bologne

En mai 1998, à l’occasion des 800 ans de l’université de la Sorbonne, les ministres français, italien, allemand et britannique de l’éducation ont conclu un accord qui avait pour objectif de créer un espace commun européen de l’enseignement supérieur. Un an après, les ministres de l’Éducation de 29 pays européens se sont réunis à Bologne pour décider de s’engager dans des réformes afin d’harmoniser les systèmes d’enseignement supérieur. De nos jours, 46 États européens, dont l’appartenance à l’Union européenne (UE) n’est pas nécessaire, ont déjà apposé leur signature sur la Déclaration de Bologne.

Le but principal du processus de Bologne est la formation d’un espace commun européen d’enseignement supérieur. La reconnaissance mutuelle des diplômes, leur lisibilité et comparabilité sont devenues primordiales ces deux dernières décennies étant donné la mobilité des diplômés dans l’espace européen et les problèmes rencontrés avec les futurs employeurs en termes de reconnaissance de leurs diplômes.

Le 7 janvier 2005, la République d’Arménie (RA) a ratifié la Convention de Lisbonne sur la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur du 11 avril 1997 (signée en 2000). Elle a officiellement rejoint le processus de Bologne le 20 mai 2005, à Bergen, lors du sommet des ministres de l’Éducation des pays européens, au même titre que l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie. En s’associant à cette initiative européenne dans la sphère de l’enseignement, la RA a dû engager des réformes de son système d’éducation et de recherche. Ce dernier domaine a d’ailleurs été classé par le gouvernement arménien comme l’une des préoccupations prioritaires.

Avant cette date, le 14 décembre 2004, la RA a adopté la loi sur l’Enseignement supérieur et doctoral qui était basée sur les principes de la déclaration de Lisbonne. Il s’agissait notamment de l’enseignement à deux niveaux, du système de crédits, de la reconnaissance des qualifications et des périodes d’études, etc.

L’introduction de l’enseignement à deux niveaux

Avant même de s’associer au processus de Bologne, certains établissements supérieurs locaux avaient déjà entamé des réformes de leur système d’enseignement. Le précurseur a été l’université des Ingénieurs qui, à partir de 1992, a supprimé son cursus d’études supérieures de cinq ans en le remplaçant par le baccalauréat et le mastère. Deux ans plus tard, le doctorat ou le cycle de « chercheur » est intégré dans son système d’enseignement. Ainsi, celui-ci devient désormais composé de trois niveaux. En 1995, l’université d’État d’Erevan et l’Université agricole, en 1996, suppriment à leur tour l’enseignement en cinq ans pour le remplacer par le baccalauréat et le mastère. Depuis l’année scolaire 2004-2005, pratiquement tous les établissements supérieurs, publics et privés, ont réalisé le passage à l’enseignement en deux cycles[4].

L’enseignement à deux niveaux a incontestablement ses avantages. Le premier niveau (baccalauréat) délivre un diplôme à part entière tandis que dans le système soviétique d’enseignement les 3-4 premières années d’études, appelées aussi nepolnoe vysšee obrazovanie (« instruction supérieure incomplète »), n’avaient pas de statut social reconnu et ne donnaient pas droit à un diplôme.

Au début, certains estimaient que l’introduction du système entraînerait la suppression des matières « inutiles » tout en permettant aux universités d’économiser des moyens financiers. Ces « économies » auraient pu ensuite être utilisées pour l’intégration dans les programmes scolaires de nouvelles matières nécessaires à la formation de spécialistes en fonction des besoins longtemps négligés du marché. Or, la réforme a été pensée autrement. Actuellement, dans la plupart des cas, le premier niveau d’études représente les cinq années d’études préexistantes condensées en quatre et non pas trois, comme dans beaucoup de pays d’Europe occidentale. L’existence de la quatrième année « supplémentaire » est justifiée par le fait que l’école secondaire arménienne dure 10 ans et non 12 comme en Occident et que la différence est « rattrapée » par une année d’études universitaires supplémentaire au baccalauréat. Cette explication ne paraît pas très convaincante. À notre sens, les raisons principales de cette particularité reposent plutôt sur la crainte, d’une part, de voir disparaître certaines matières susceptibles d’entraîner une réduction des services des enseignants et, par conséquent, la suppression de postes, et, d’autre part, de voir le niveau général des études baisser, et être jugé insuffisant pour le démarrage professionnel des promus des établissements supérieurs.

Ainsi, compte tenu du fait que le deuxième cycle (mastère) dure deux années, les études supérieures en Arménie sont prolongées d’une année : six ans au lieu de cinq auparavant. Le mastère est souvent considéré comme la « continuation organique et non pas logique du baccalauréat[5] ». En ce qui concerne son contenu, dans de nombreux cas, certains sujets et thèmes sont repris des années d’étude précédentes, les programmes spécifiques ne sont pas bien élaborés et les étudiants ne perçoivent pas vraiment les différences entre les deux niveaux d’études. Dans le système antérieur, la spécialisation comme l’initiation à la recherche des futurs diplômés étaient très précoces, souvent à partir de la deuxième année. Cela rendait l’apprentissage assez fondamental. Dans le nouveau système, la « vraie » spécialisation est censée commencer à partir du mastère avec, de surcroît, un nombre réduit d’heures, ce qui nuira encore quelque temps à l’étudiant, notamment dans une société où l’enseignement supérieur est particulièrement coté.

Dans ce contexte, la société arménienne a mal accepté cette réforme car le baccalauréat reste considéré comme un diplôme incomplet. Il faudra du temps pour valoriser ce nouveau diplôme aux yeux des étudiants et de leurs parents et aussi des employeurs. Le baccalauréat de type européen reste, pour le moment, un diplôme assez général, sans connaissances approfondies des matières, mais permettant néanmoins aux jeunes de s’adapter au moins aux conditions du marché. Dans les réformes engagées, les connaissances étendues en sciences fondamentales, typiques du système universitaire classique, sont les grandes perdantes, notamment dans le premier cycle.

On note également une confusion sur le marché du travail en terme de rendement salarial du diplôme. Lors de l’embauche, parmi les employés, il n’y a pratiquement aucune différence de revenu entre les titulaires d’un baccalauréat et les titulaires d’un mastère. Cependant, les titulaires d’un doctorat peuvent percevoir un supplément de rémunération, ce qui existait déjà à l’époque soviétique.

En corollaire, ajoutons que la loi arménienne sur l’Enseignement supérieur stipule que les diplômes de « spécialistes diplômés »[6] obtenus jusqu’en 2010 sont équivalents à ceux du niveau des mastères.

La mise en place du système de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS)

Le 22 décembre 2005, le gouvernement arménien décide par arrêté d’introduire dans l’enseignement supérieur le système de transfert et d’accumulation de crédits (ECTS)[7] qui est fondé sur la charge de travail de l’étudiant (en cours, en dehors des cours et en travail autonome). La charge annuelle de l’étudiant est estimée égale à 60 crédits. Pour le diplôme de bachelier, il est nécessaire d’obtenir au moins 240 crédits (300 pour les spécialités médicales). Pour le mastère de 60 à 120 crédits (180 pour les spécialités médicales) sont indispensables. La charge en cours des étudiants est de 23 à 30 heures hebdomadaires pour le bachelier et de 15 à 22 heures pour le mastère. Quant à la charge totale d’un étudiant, elle ne doit pas dépasser 54 heures académiques par semaine.

Dans le cadre des réformes, les crédits et les acquis de l’apprentissage (le contenu) sont indissociables, car les premiers sont issus de l’obtention des deuxièmes. Inversement, les acquis d’apprentissage sont limités par le nombre de crédits préalablement décidé dans le cadre d’un programme d’études.

Une autre nouveauté est liée à l’introduction du principe du choix de certains modules (au moins 30 % des cours). Dans le cadre de la réforme, il est aussi envisagé pour les étudiants la possibilité d’étudier certaines matières dans d’autres établissements supérieurs. Les raisons peuvent être diverses : soit l’absence d’enseignement d’une matière donnée dans l’université d’origine, soit sa fermeture en raison de faibles effectifs.

Se posait également la question de réformer le mode et le principe des évaluations qui n’encourageaient pas la créativité et l’originalité. À ce jour, contrairement à beaucoup d’universités européennes, ce n’est pas seulement la note finale de l’étudiant, obtenue lors de l’examen, qui compte. En vertu des traditions existantes, d’autres critères composant les crédits sont pris en compte lors de l’évaluation de l’étudiant. Le dernier mot est, bien évidemment, réservé aux jurys. Par contre, il n’existe pas encore de système de compensation des notes largement pratiqué dans les établissements supérieurs européens. Dans le futur proche, il paraît difficile d’envisager son application dans le mode d’évaluation. Ainsi, les crédits académiques affectés aux étudiants sont calculés en fonction des critères présentés dans le tableau suivant :

 

Tableau 1. Exemple de critères entrant dans l’évaluation des étudiants et poids dans les crédits ECTS.

Critères Poids dans les crédits (en %)
Assiduité et participation 20
Contrôle continu 1 20
Contrôle continu 2 20
Travail individuel de l’étudiant 10
Examen final 30

Source : Consignes méthodologiques concernant la mise en œuvre du système d’accumulation et de transfert des crédits académiques et évaluation de la réussite scolaire selon de multiples facteurs, Erevan, université des Sciences économiques d’Arménie, 2008 [3e édition], p. 51.

 

De plus, l’introduction du système de crédits ECTS a entraîné la possibilité de chevauchement d’un semestre à l’autre. Auparavant, les étudiants ayant échoué aux deux sessions d’examen, première session et session de rattrapage, étaient automatiquement exclus de l’établissement d’enseignement supérieur. Désormais, ils peuvent accéder au semestre suivant par le biais du chevauchement.

Dans la mesure où l’acquisition de crédits n’est pas révélatrice du niveau réel des étudiants, les universités ont élaboré des systèmes d’évaluation nuancée. Le tableau 2 en présente un exemple :

 

Tableau 2. Exemple de notation nuancée.

Notation traditionnelle Selon le système américain Crédits gagnés (en %)
« Excellent » A+ 96-100
« Excellent » A 91-95
« Excellent » A– 86-90
« Bien » B+ 81-85
« Bien » B 76-80
« Bien » B– 71-75
« Passable » C+ 66-70
« Passable » C 61-65
« Passable » C– 40-60
« Insuffisant » D jusqu’à 39

Source : Consignes méthodologiques concernant la mise en œuvre du système d’accumulation et de transfert des crédits académiques et évaluation de la réussite scolaire selon de multiples facteurs, Erevan, université des Sciences économiques d’Arménie, 2008 [3e édition], p. 50.

 

Pour encourager les étudiants à obtenir de meilleurs résultats, chaque université élabore son propre système de valorisation de la réussite. Le plus souvent cela permet de réduire le coût des études, parfois même d’effectuer un passage à des études dites « gratuites ». Les étudiants se trouvant déjà dans le cadre de la « commande d’État » voient leur bourse majorée d’une prime.

L’introduction des crédits ECTS est également censée modifier les modalités d’entrée dans les universités tout comme celles du passage d’un cycle à l’autre. Ainsi, l’organisation classique des examens pour ces types de demande est mise en cause. Les trois ou quatre examens d’entrée ne peuvent pas être révélateurs des connaissances de départ des futurs étudiants. Ceci permet en outre de réduire la corruption existante dans l’organisation des examens.

L’accès aux universités européennes est rendu possible pour des enfants autres que ceux de l’élite. Avoir des universités publiques de haut niveau est un grand acquis des dernières décennies en Europe, même si certaines sont dites élitistes. À l’opposé, les places dans toutes les universités d’Arménie sont limitées et il existe toujours un concours d’entrée difficile, notamment quand il s’agit des établissements supérieurs d’État. Cette pratique ouvre souvent la voie à la corruption et aux abus. Les crédits accumulés peuvent remplacer le vieux système d’examen d’entrée et revaloriser les études faites dans les établissements professionnels et dans les collèges. Ainsi, les crédits accumulés lors de ces études peuvent ouvrir la porte des universités et, dans une certaine mesure, contribuer à la démocratisation du système d’enseignement supérieur dans sa phase initiale.

Dans le cadre des réformes, un Centre national d’information pour la reconnaissance des diplômes et la mobilité[8] a vu le jour le 31 mars 2005[9]. Il a commencé à fonctionner en janvier 2006. Le Centre est membre du réseau ENIC/NARIC[10] créé par l’UNESCO, le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Ses tâches principales sont de fournir de l’information et des conseils, de délivrer les attestations de reconnaissance des diplômes étrangers. Ceci a constitué un pas important dans l’intégration au processus de Bologne. Hormis la reconnaissance complète des diplômes, on applique également une reconnaissance alternative ou partielle, car les crédits ne sont pas automatiquement interchangeables compte tenu des différences qui existent entre les programmes d’études des différents pays. Le transfert de crédits n’est qu’un outil qui facilite la reconnaissance des acquis de l’apprentissage et des diplômes.

Avec le concours de l’UE, du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO, le Centre a également élaboré le supplément arménien au diplôme européen qui a pour objectif de rendre les diplômes plus lisibles et comparables. Le supplément est composé de huit parties : informations sur le titulaire du diplôme, sur le diplôme, sur le niveau de qualification, sur le contenu de la formation et les résultats obtenus, informations complémentaires, certification du supplément, informations sur le système national d’enseignement supérieur. Le directeur exécutif du Centre est l’un des deux représentants de l’Arménie dans le groupe exécutif de Bologne[11].

Il reste un long chemin à accomplir pour l’application complète de ce nouveau système face au conservatisme et à la corruption généralisée qui règnent dans le système d’enseignement national. Les choses sont encore plus complexes quand il s’agit du passage d’une université à l’autre et d’un niveau à l’autre.

Garantie de la qualité de l’enseignement : gage de la réussite

La Déclaration de Graz (4 juillet 2003) soulignait en particulier que l’objectif de l’assurance qualité est l’augmentation de la « confiance mutuelle et l’amélioration de la transparence tout en respectant la diversité des contextes nationaux et des disciplines[12] ». Après la chute de l’URSS (1991), les dépenses publiques, y compris pour l’enseignement supérieur, ont enregistré une forte baisse. Les conséquences ont été inévitablement la dégradation de la qualité de l’enseignement et la mise en place de systèmes payants, mettant en grande difficulté des milliers de familles et fermant la porte des universités aux plus démunis. Parallèlement, le nombre d’établissements supérieurs non étatiques dits coopératifs ou privés a explosé, révélant l’inégalité entre différents établissements privés et aussi la différenciation du public universitaire. Quant aux bourses, elles sont plutôt devenues symboliques (de 15 à 35 euros par mois).

 

Tableau 3. Évolution des établissements d’État et de l’effectif étudiant.

  1990/1991 1999/2000 2002/2003 2005/2006
Nombre d’établissements supérieurs d’État 14 16 20 22
Nombre d’étudiants (en milliers) 48,9 39,8 54,1 72,6
Nombre d’étudiants inscrits dans le système public (en milliers et en pourcentage) 47,1
96,3 %
15,8
42,9 %
16,0
29,6 %
19,9
27 %
Nombre d’étudiants inscrits dans le système payant (en milliers et en pourcentage) 1,8
3,7 %
24,0
57,1 %
38,1
70,4 %
53,8
73 %

Source : Rapport national sur le Développement humain. Arménie, 2006 ; « Le programme d’introduction de l’enseignement supérieur à trois niveaux dans la République d’Arménie », dans L’Enseignement supérieur, op. cit., vol. 3, p. 318.

 

En 2006, l’Arménie disposait de 19 établissements supérieurs d’État. Pour trois autres, l’État n’est que partie prenante avec d’autres États. Le nombre d’universités sans participation étatique est de 72, dont 28 sont accréditées et 8 ont des spécialités accréditées. Le nombre d’étudiants dans les écoles supérieures d’État est de 72 630, dont 15 143 sont inscrits en télé-enseignement. Les établissements supérieurs non étatiques comptent 25 214 étudiants. Les nouveaux mastères, quant à eux, comptent 1 668 étudiants[13].

Dans les conditions de crise économique profonde qui ont accompagné les nouvelles indépendances, l’introduction d’une participation financière pour les études supérieures a permis de conserver le système de l’enseignement supérieur. Parallèlement, le nombre d’étudiants formés dans les établissements supérieurs d’État ou privés a augmenté. Or, ce processus a aussi généré une nette baisse de la qualité de l’enseignement, conduisant à l’« illettrisme généralisé diplômé[14] ».

En Arménie, on s’est concrètement focalisé sur l’élaboration, la définition et l’application de critères de qualité de l’enseignement en 1999, lors de l’adoption de la loi sur l’Éducation. Les institutions chargées de cette question ont tenté de tenir compte de l’expérience occidentale et de rapprocher les critères locaux des critères internationaux pour ce qui concerne l’élaboration des programmes, la définition de la charge minimale de travail de l’étudiant, l’évaluation des connaissances, etc.

La qualité doit être assurée au niveau interne, au sein de l’université, et appréciée par une notation extérieure. Sur celle-ci, il convient encore d’élaborer une approche commune et de définir les critères communs d’une telle évaluation. La loi arménienne sur l’Enseignement supérieur stipule que le corps enseignant des établissements supérieurs et spécialisés doit être intégré dans le système de formation permanente au moins une fois tous les 5 ans. Or, il n’existe pas de structures adaptées pour la réalisation de cette clause. Seuls quelques établissements supérieurs offrent, d’une manière spontanée, certains services liés à la formation continue.

L’accréditation par l’État des établissements supérieurs et des spécialités fait partie intégrante du contrôle de la qualité de l’enseignement. Malgré les critères et la base normative en vigueur, la fiabilité des certifications laisse beaucoup à désirer. Depuis août 2000, la certification a lieu dans 14 domaines : programmes d’enseignement ; préparation des spécialistes ; niveau de formation des diplômés ; préparation des cadres scientifiques ; liste des conseils de spécialités ; utilisation des ressources informatiques ; recherches scientifiques des personnels ; travaux scientifiques et méthodologiques ; niveau des cadres scientifiques et pédagogiques ; demande des diplômés ; assurances sociales des étudiants ; base matérielle et technique de l’établissement supérieur ; état financier de l’établissement ; programmes de développement de l’établissement supérieur.

La certification et l’octroi des licences se font une fois par an en quatre étapes :

  • analyse de ses activités par l’établissement ;
  • audit de cette analyse réalisé par une agence assermentée par le ministère de l’Éducation ;
  • conclusion de l’expertise obtenue, contrôle final des promus des deux dernières années de l’établissement effectué par le Service des licences et de certification à la demande du ministère de l’Éducation ;
  • présentation au ministre de l’Éducation de la conclusion de l’audit et de la certification d’au moins 60 % des diplômés contrôlés pour une obtention ultérieure du certificat.

Conformément au principe de l’autonomie des établissements, c’est à l’établissement supérieur de veiller à la qualité de l’enseignement dans toutes ses composantes tout au long de l’année. Sont ainsi vérifiés : le déroulement des cours magistraux, des travaux dirigés et des travaux pratiques, les contrôles des connaissances, les fiches anonymes, les attestations provenant des stages réalisés, les mémoires.

Dans un rapport intra-universitaire de la qualité de l’enseignement, sont pris en compte les critères suivants : moyenne obtenue lors de la session, proportion des notes « excellent », pourcentage d’enseignants gradés, surface par étudiant (y compris sportive), nombre de livres et d’ordinateurs par étudiant, pourcentage de cours avec utilisation des technologies modernes, nombre de doctorats par an, fréquentation des cours, proportion du travail individuel avec les étudiants. Ces critères restent soumis à des modifications selon les services proposés par l’établissement supérieur et selon les exigences de l’évolution de la situation dans le temps. Ajoutons également que l’élaboration des systèmes intérieurs de contrôle de qualité pour l’université d’État d’Erevan, l’université des Ingénieurs, l’université d’État de Médecine et l’Institut pédagogique de Vanadzor, est réalisée avec l’aide de l’Open Society Institute Assistance Fondation-Armenia[15].

Le gouvernement arménien prévoit la création d’un Centre national de garantie de la qualité de l’enseignement spécialisé. Il aura comme tâche principale la garantie de la qualité de l’application des normes européennes dans l’enseignement supérieur arménien. Son contrôle devra être indépendant et s’appuyer sur une certification et l’élaboration de ses propres critères[16].

L’étudiant au centre de l’enseignement

Avant l’introduction du système de crédits, seuls les services d’enseignants étaient pris en compte pour les calculs des charges. Autrement dit, le système était centré sur l’enseignant. L’essence de la réforme consiste à réorienter l’attention vers l’étudiant. Quant à l’enseignant, il doit se placer peu à peu dans un rôle d’accompagnement et de guidage. Un tel rôle demandera des efforts particuliers aux enseignants locaux habitués à se placer eux-mêmes au centre et à se distinguer par un autoritarisme hérité de l’époque soviétique.

En dépit du fait que la philosophie du processus de Bologne consiste à mettre l’étudiant au centre de l’enseignement, celui-ci est le moins consulté en ce qui concerne la gestion et l’élaboration des réformes et des programmes stratégiques des universités arméniennes[17]. Selon le monitoring réalisé par Sarguis Tkhrouni, l’aile des jeunes du parti social-démocrate Hntchak, même les conseils d’étudiants ont du mal à dire comment se déroule l’application de la réforme dans leurs établissements respectifs[18]. Vu le faible niveau de confiance des jeunes et de la société arménienne en général vis-à-vis des institutions étatiques, et étant donné l’importance de la corruption existante, notamment dans la sphère de l’enseignement supérieur, ce sont les organismes non étatiques qui se chargent d’une sorte de suivi de l’introduction du système de Bologne dans l’école supérieure arménienne. Or, très souvent, ils n’ont pas le soutien des établissements concernés. Par exemple, dans le cas de l’association Sarguis Tkhrouni, seuls l’université d’État d’Erevan et le Conservatoire ont donné leur accord pour une coopération. Cela révèle indirectement que les questions liées à l’introduction du système de crédits, à l’activité des conseils étudiants et à la corruption ne sont pas bien traitées par les établissements et institutions concernés.

Les enseignants sont-ils prêts à accepter l’ingérence des étudiants dans la gestion du processus d’enseignement qui, traditionnellement, était leur domaine privilégié ? Sont-ils prêts à considérer les étudiants en tant que jeunes partenaires dans ce processus[19] ? Enfin, sont-ils prêts à apprécier l’étudiant et ses valeurs personnelles en s’abstenant de considérer le statut social de ses parents ? Ainsi, les réformes demanderont beaucoup d’efforts aux enseignants. Le fait de voir leur rôle passer au « second » plan dans l’organisation du processus d’enseignement ne suscite pas un grand enthousiasme. Pour résumer, les relations entre professeurs et étudiants doivent être impérativement revisitées, ce qui pourrait devenir le gage de la réussite des réformes.

L’état de la mobilité des étudiants

La mobilité des étudiants reste encore embryonnaire. À l’heure actuelle, il n’existe pas de programmes permanents de type Erasmus accessibles à tous entre les universités ou entre les pays. Le nombre d’étudiants qui ont la chance d’intégrer des programmes de bourses (IREX, Conseil britannique, TEMPUS, DAAD, Erasmus Mundus, Conseils américains) et d’accords interétatiques et interuniversitaires reste restreint. Néanmoins, il existe une mobilité qui est plutôt basée sur des démarches individuelles et, dans leur majorité, sur l’autofinancement, dans le cadre d’accords bilatéraux signés entre des universités. À l’instar d’abord des États-Unis et ensuite de l’Europe, l’introduction du système de crédits est justement destinée, entre autres, à faciliter et favoriser la mobilité des étudiants.

La reconnaissance des acquis, des diplômes et des titres scientifiques est bien évidemment un moyen important pour accélérer la mobilité académique. Or, cette dernière, pour l’instant, est conditionnée par la situation matérielle des étudiants et par les restrictions dans l’octroi des visas d’études de la part des ambassades, restrictions liées aux problèmes de l’immigration.

En 2007, l’université d’État d’Erevan, l’université des Sciences économiques, l’Université agricole et l’Institut pédagogique de Gumri ont commencé à participer au programme de mobilité Erasmus Mundus. Le gouvernement arménien s’efforce de créer une fondation dont l’objectif serait de favoriser les études dans des établissements supérieurs étrangers des meilleurs promus des établissements secondaires et supérieurs du pays.

En ce qui concerne la co-habilitation des diplômes, le système national n’a pas enregistré d’avancée significative. On est toujours loin de constater une flexibilité quelconque dans ce domaine. En 1995, l’université des Ingénieurs et l’Université agricole ont élaboré un programme conjoint du mastère 2 qui devait aboutir à la délivrance de co-diplômes. L’expérience a eu une très courte durée de vie à cause de l’absence de mécanismes juridique et administratif permettant la double inscription et de la reconnaissance mutuelle[20]. On a également tenté d’autres expériences avec l’aide de l’université de New-York et de l’Open Society Institute et avec la participation de trois universités arméniennes. Mais elles n’ont pas non plus été couronnées de succès.

Formation tout au long de la vie

Les pays en transition, dont l’Arménie fait partie, et qui sont engagés dans un processus de transformation de leur économie et de leur système politique et social, ont besoin de repenser et de mettre en place, de manière urgente, la formation continue. Plusieurs spécialités ne sont plus demandées, tandis que de nouvelles sont apparues conduisant à une pénurie de spécialistes. Ainsi, la formation tout au long de la vie a une importance primordiale, mais elle est encore loin d’être intégrée au système d’enseignement national. Il est nécessaire de revisiter les traditions d’enseignement établies dans lesquelles la mixité d’âge était toujours mal vue et peu encouragée. Pendant la période de transition, la mise en place des structures d’enseignement spécialisées dans l’acquisition de nouvelles qualifications plus adaptées aux besoins du temps s’avère indispensable.

Dans ce contexte, il existe un problème de reconnaissance des études antérieures, ce qui dans le système actuel n’est pas facile à faire pleinement valoir. Selon des études sociologiques réalisées parmi la population adulte jusqu’à 65 ans, 70 % des sondés ne sont nullement intégrés dans le système d’enseignement. Si jusqu’à 30 ans cette proportion est de 42,7 %, elle s’élève à 99,7 % pour la tranche des 30 à 44 ans. Les sondés âgés de 45 à 65 ans ne perfectionnent pas leurs connaissances[21].

En corollaire ajoutons que la législation existante ne permet pas de former un vrai système national d’études tout au long de la vie et nécessite d’être revue. Le document le plus complet à ce sujet est La Conception et la stratégie de l’éducation des adultes, datant de la fin 2005. Or, ce document ne s’avère contenir que des déclarations de principe sans constituer un projet élaboré d’actions pratiques. En attendant l’élaboration d’une vraie politique sur cette question, ce sont les représentations de certaines organisations internationales (USAID, AED), associations locales et fondations, qui mettent en œuvre des programmes de formation permanente. D’autres services sont également impliqués dans ce secteur : le Service de l’emploi (pour les chômeurs), le ministère de l’Éducation (pour les enseignants), le Conseil de l’emploi public conjointement à l’université d’État d’Erevan, l’université des Ingénieurs et l’Académie de gestion (pour les fonctionnaires), etc.

Indissociabilité de l’enseignement et de la recherche

L’indissociabilité de l’enseignement et de la recherche est particulièrement soulignée dans la Grande Charte des universités (Magna Charta Universitatum, 1988) qui constitue le texte fondateur du processus de Bologne lors de la célébration du 900e anniversaire de l’université de Bologne[22]. Dans le système qui existe en Arménie, l’enseignant de l’université est également chercheur, et l’étudiant est initié à la recherche dès la deuxième année d’études. Cette tradition va-t-elle disparaître avec la mise en œuvre des réformes ?

Au niveau du troisième cycle d’études supérieures, l’Arménie a hérité de l’ancienne Union Soviétique l’« aspirantoura » qui n’était pas forcément une partie intégrante de l’instruction supérieure, mais un enseignement à part, tourné vers des activités scientifiques. Le nombre de places y était strictement limité. Pour y entrer, il fallait passer trois ou quatre examens dont un seul avait un rapport avec la spécialité choisie. La finalisation des recherches, la publication des articles et une activité d’enseignement avec un nombre d’heures limité constituaient le contenu des études doctorales.

Selon la Déclaration de Bergen, le doctorat doit être une partie intégrante, la « pierre de soubassement » des études supérieures[23]. Un doctorant est considéré à la fois comme étudiant et comme chercheur. En ce qui concerne les examens d’entrée au doctorat, il faudra désormais prendre en compte les crédits obtenus durant les années d’études précédentes. Dans la logique des choses, les examens d’entrée qui n’ont pas forcément un rapport direct avec la spécialisation, doivent être supprimés ou remplacés. Il est prévu d’élaborer de vrais programmes pour le doctorat (15 à 20 matières) avec au moins 90 crédits.

À l’heure actuelle, hormis l’université des Ingénieurs, les autres établissements supérieurs n’ont pas encore réformé leurs programmes doctoraux. Dès 1992, cette université a introduit un programme doctoral de deux ans. Aujourd’hui, il est de trois ans et fonctionne sur la base de 120 crédits. Comme auparavant, les places restent limitées et leur nombre est toujours déterminé par le ministère de l’Éducation. Actuellement, l’université n’a que 19 doctorants sur site et 9 en enseignement à distance[24]. Pour ces derniers, les places ne sont pas limitées, mais il existe un problème sérieux pour trouver un directeur de recherche. Le troisième cycle est gratuit. L’ancienne pratique de faire passer aux futurs doctorants trois examens de sélection (langue étrangère, informatique, spécialité) est conservée.

Le programme doctoral s’achève par une attestation terminale dont le but est de décerner un grade de qualification au doctorant. C’est un jury spécial de qualification qui accorde la qualification de chercheur aux doctorants qui sont bien avancés dans leurs recherches, autrement dit, lorsque plus de 90 % de la thèse sont effectués. Une fois la thèse soutenue, l’université se trouve dans l’obligation de garantir aux seuls doctorants sur site un travail pendant trois ans. Les doctorants, à leur tour, sont obligés d’accepter le travail proposé pendant cette période.

Se pose également la question de repenser l’ordre et les modalités des soutenances de thèses. En considérant le doctorat comme troisième cycle des études supérieures, on peut poursuivre un objectif stratégique consistant à rajeunir les cadres enseignants et les chercheurs titulaires des universités et des centres scientifiques d’Arménie. En effet, l’âge moyen des professeurs de l’université d’État d’Erevan est de 62 ans, des maîtres de conférences de 57 ans, les professeurs de 35 à 45 ans sont pratiquement absents et il n’y a que 15 professeurs de 45 à 55 ans[25]. Ainsi, le système d’enseignement de la recherche est confronté au phénomène de gérontocratie.

Écho de la réforme dans la société arménienne

La mise en place des réformes du système de l’éducation nationale a rencontré beaucoup d’opposants dans la société arménienne, sans qu’on entende leurs voix et tienne compte de leur argumentation. Une partie minoritaire est convaincue que les temps changent et que la mise en place des réformes est une nécessité absolue. L’autre partie estime toujours que le système éducatif soviétique, qui avait pour objectif la polyvalence, était assez efficace et qu’il fallait juste éliminer les éléments idéologiques, fort présents dans les programmes universitaires.

Les acquis du système de l’éducation soviétique sont indéniables. Il se trouvait au centre des préoccupations de l’État et était plus ou moins bien financé par le budget. À la différence du système occidental, le système soviétique d’enseignement chargeait l’étudiant, entre autres, de matières dites secondaires (sans compter les matières « idéologiques ») qui, a priori, n’étaient pas forcément nécessaires pour une future embauche. Par contre, ces matières complétaient la formation par une conception du monde et, à long terme, s’avéraient plus efficaces, notamment pour la mobilité d’un poste à un autre. Or, la période soviétique est le passé. Son modèle d’enseignement est indissolublement lié à l’ordre social socialiste qui a disparu. Il était isolé des systèmes internationaux d’enseignement hormis ceux du bloc socialiste qui a disparu à son tour. En conséquence, il a progressivement perdu son lien avec la réalité.

Bien que l’éducation nationale soit une partie intégrante de la culture arménienne depuis la création de l’alphabet national unique en 406, et qu’elle ait donc des traditions séculaires, elle est soumise aux représentations les plus conservatrices du peuple. Les cadres enseignants d’aujourd’hui sont encore majoritairement des spécialistes qui ont été formés dans le système soviétique d’enseignement considéré justement comme un des meilleurs de son temps. Leur opposition à la réforme d’un système qui, en gros, marchait bien est tout à fait compréhensible. De plus, la période de transition a été assez douloureuse, car il fallait changer le contenu des traditions établies et des services offerts par les établissements universitaires. Il fallait également reconstruire le comportement des étudiants et leur rôle dans le processus d’enseignement. Sur ce point, les opposants et les réformateurs sont d’ailleurs d’accord sur le fait qu’il faut conserver au maximum l’« autoritarisme » existant du système d’enseignement légué de l’ère soviétique voire des périodes antérieures.

Les inquiétudes des opposants aux réformes sont aussi liées à l’idée répandue que ces dernières menacent les valeurs nationales de l’enseignement. Malgré le fait que l’accord de Bologne souligne particulièrement le respect des cultures, des langues, de la diversité des systèmes d’enseignement nationaux et de l’autonomie des universités[26], ces opposants sont inquiets de l’application des textes européens par les bureaucrates locaux, notamment en raison de l’absence de vrais débats à ce sujet dans la société. Ce n’est pas un secret de dire que la comparabilité est parfois, pour ne pas dire souvent, perçue comme homogénéité. À notre question adressée aux responsables de quelques universités visitées, « existe-t-il parmi le corps enseignant de sérieuses discussions ou une opposition concernant les réformes entamées en accord avec le processus de Bologne ? », la réponse a été la suivante : « De quelles discussions ou opposition faut-il parler s’il existe une loi, puisqu’il convient d’exécuter les lois. » Le manque de débats démocratiques dans les milieux concernés qui, normalement, doivent précéder l’adoption de la loi et la rendre plus viable et appropriée, est à l’origine de nombreuses craintes et de méfiance quant au caractère novateur de la réforme.

Face aux nouveaux objectifs déclarés de l’enseignement supérieur

L’économie de marché a ses besoins et ses prérogatives et demande un enseignement plus tourné vers le monde de l’entreprise et une application plus pratique des sciences. Les principes sur lesquels est actuellement basé l’enseignement local reflètent, d’une manière insuffisante, les intérêts de l’employeur. Un grand nombre de diplômés ne trouvent jamais de travail dans leur spécialisation, car les besoins évolutifs de la société ne sont pas pris en compte ou ont été négligés aussi bien lors du choix des orientations prioritaires des établissements supérieurs que de l’élaboration des programmes universitaires.

Pendant les dernières décennies de la période soviétique, la demande d’enseignement supérieur en Arménie s’est accrue de manière spectaculaire. La plus petite république fédérée d’URSS devançait ses sœurs par le nombre de diplômés. Parallèlement, il s’est produit une rupture entre l’enseignement et les services que ce dernier proposait, d’une part, et l’application pratique des connaissances acquises et le marché du travail, de l’autre. Ainsi, traditionnellement, l’objectif principal des universités locales est la transmission des connaissances et elles ne portent pas la « responsabilité » de l’application pratique de celles-ci (système Humboldt[27]).

Donc, un travail important est à faire pour élaborer de nouveaux programmes et les adapter aux besoins sociaux « en termes de préparation à la citoyenneté et à l’employabilité[28] ». Une concertation du corps des enseignants, des professionnels et des employeurs s’avère indispensable dans cette démarche. L’efficacité des programmes enseignés dans la durée et pour le futur emploi doit passer au premier plan, ce qui mettra en cause une bonne partie des cours existants, de leur contenu jusqu’à leur intitulé. Il faut donc s’attendre (mais pas à court terme) à l’« économisation » et à la commercialisation du processus de l’enseignement considéré comme partie intégrante de la sphère des services[29].

Force est de constater que la réalité des choses et les déclarations des officiels arméniens diffèrent sensiblement. L’enseignement supérieur est encore loin de jouer le rôle de vivier de jeunes spécialistes dont les compétences acquises seront le moteur du futur développement économique. Le système d’enseignement est traditionnellement appelé à résoudre le problème de la mobilité sociale de l’individu. En définissant le nombre de places dans les universités d’État, les organismes compétents continuent à ignorer les besoins réels de l’économie et du marché du travail. Par exemple, depuis 2001, le nombre d’enseignants dans les écoles secondaires a diminué de plus de 20 000 personnes. Paradoxalement, on découvre que le nombre de places dans les universités pédagogiques d’État et privées est en nette hausse[30]. Du fait que de plus en plus les études deviennent payantes (environ 75 % des places), les écoles supérieures tentent à tout prix d’avoir plus d’étudiants, donc plus d’argent. L’avenir de ces derniers ne les intéresse pas. Pour elles, l’employabilité des diplômés fait partie des compétences de l’État et du gouvernement.

Le plus grand nombre de places payantes est également destiné à améliorer la rémunération du corps enseignant, car l’État ne couvre qu’un quart du montant des salaires. Un autre problème est lié aux désirs des jeunes d’ajourner de 4 à 5 ans l’accomplissement de leur service militaire. Pour cela, n’importe quel cursus d’étude est bon pour eux, ainsi que pour leurs parents qui décident encore très souvent quelle école supérieure leur enfant fréquentera. Comme souligne le ministre arménien de l’Éducation et de la Recherche, Spartak Seyranyan : « Aujourd’hui, les étudiants ne payent pas pour faire des études, mais pour ne pas les faire[31]. »

Selon les données de 2005, 45,9 % des jeunes diplômés n’avaient pas encore trouvé un travail un an après la fin de leurs études, pour différentes raisons. Pour 28,6 %, leur qualification obtenue ne correspond pas aux besoins du marché arménien du travail[32]. Trois ans après, l’employabilité des jeunes diplômés est de 61,9 %[33]. Certaines universités (Université slave, etc.) créent des centres de gestion de carrière qui sont appelés à suivre l’insertion professionnelle de leurs promus. Mais il faut constater un manque de transparence dans ce domaine, les rapports ne sont pas encore publics.

Conclusion

On peut conclure qu’avant d’être associée à l’accord de Bologne, la République d’Arménie avait déjà enregistré certaines avancées. En 2008, elle s’est associée au réseau européen de garantie de la qualité. L’élaboration de programmes conjoints inter-universitaires va s’achever en 2009. Le passage définitif au système de crédits dans le système arménien d’enseignement doit être réalisé en 2010. Quant à la création du champ normatif et juridique concernant la reconnaissance mutuelle ou l’équivalence des diplômes, elle est déjà presque terminée.

La base normative pour un passage au BMD (baccalauréat-mastère-doctorat) est beaucoup plus avancée que le contenu de chaque niveau d’enseignement supérieur. Les anciens programmes sont plutôt reclassés dans le baccalauréat tandis que le mastère et le doctorat nécessitent de profondes réformes. Ainsi, les changements n’ont pas encore amélioré l’état des choses d’une manière significative, souvent ils sont superficiels et ne sont pas suffisants pour une vraie formation et l’enracinement d’une nouvelle approche du travail. Dans ce contexte, la dégradation de la qualité de l’enseignement et du contrôle de la qualité pendant les années post-soviétiques pèse encore lourd.

Le fait de s’associer au processus de Bologne permet au pays d’éviter l’isolement et contribue à l’intégration aux institutions européennes. Cela ouvre également la voie à la reconnaissance des diplômes qui favorise la mobilité des étudiants et des chercheurs aussi bien pour la poursuite des études que pour l’embauche sur le marché européen du travail. Dans ce sens, certains programmes commencent à répondre un peu mieux aux besoins de l’économie de marché.

L’harmonisation des programmes de spécialisation avec ceux des universités occidentales aboutira à la reconnaissance mutuelle des diplômes et facilitera la mobilité des étudiants aussi bien dans la poursuite des études que dans l’embauche ultérieure. Dans ce contexte, le gouvernement arménien s’est donné pour objectif le développement de ses services en matière d’enseignement en direction des étudiants étrangers. Il vise plus précisément l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers, notamment ceux des pays du Proche-Orient et d’Asie centrale, pour lesquels son système d’éducation réformé et reconnu au niveau international sera davantage attractif[34].

De nos jours, le système d’enseignement arménien se présente comme un mélange de système d’enseignement quasi libéral et administré. Il a manqué de souplesse devant les défis du temps. Certains établissements continuent encore par inertie à viser les objectifs que le système soviétique ne permettait pas d’atteindre. L’étudiant est encore traité en tant que destinataire de l’enseignement et non en tant qu’acteur. Ainsi, l’« ombre » de l’ancien système est encore omniprésente, mais sur un fond de tentatives croissantes de révision des programmes universitaires dans le but de mieux les adapter aux besoins de la société en pleine transformation.

Réformer le système d’enseignement supérieur en Arménie, pays qui est encore mis à l’écart du processus global d’intégration européenne, risque de ne pas aboutir aux mêmes résultats qu’en Europe. Cette réforme, en Europe, est arrivée après des décennies d’intégration européenne, notamment dans les domaines économiques, de libre circulation, etc. D’une part, elle est dépendante du niveau de développement économique, des politiques sociales pratiquées et du marché du travail, de l’autre, elle est appelée à augmenter l’attractivité et la compétitivité du système économique européen.

Ainsi, sans aucun appui économique solide, dans des conditions sociales très précaires et sans être intégrées au système global d’intégration européenne, les réformes ne peuvent pas avoir le même effet que dans les pays de l’UE. Une lourde participation financière pèse sur les étudiants et leurs parents, le prix des études augmente sans cesse et dépasse largement les frais payés par les étudiants européens dans les universités publiques et dans certains établissements privés. La réforme engagée est orientée vers les besoins et les normes du marché européen du travail dont l’Arménie ne fait pas partie. Les futurs diplômés seront donc plutôt demandés par ce marché, ce qui favorisera l’émigration des jeunes promus des universités locales, car leurs compétences acquises ne sont pas compatibles avec les conditions économiques locales qui sont encore très loin d’être libérales et démocratiques. Malgré tout cela, on ne peut pas rester à l’écart de ce processus et on doit continuer à réformer le système d’enseignement supérieur national.


[1] PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), Rapport national sur le Développement humain. Arménie, 2006. Le texte anglais est consultable sur le site du PNUD : http://hdr.undp.org/xmlsearch/reportSearch?y=2006.

[2] A. Coudouel et J. Mickelwright, « L’éducation en transition dans les PECO et la CEI », Le Courrier des pays de l’Est, n° 438, mars 1999, p. 68-81.

[3] PNUD, Rapport national sur le Développement humain, op. cit.

[4] « La loi de la République d’Arménie sur l’Enseignement supérieur et doctoral », dans L’Enseignement supérieur, Erevan, Institut national d’éducation publique, 2007, vol. 1, p. 122-157 [en arménien].

[5] S. Yeritsian et A. Tjourourian, 100 questions et réponses sur le processus de Bologne, Erevan, Edit Print, 2007, p. 53 [en arménien].

[6] Des diplômes issus d’un parcours universitaire à un seul cycle d’une durée de quatre ou cinq années.

[7] PNUD, L’Enseignement supérieur, op. cit., vol. 2, p. 58-60.

[8] National Information Center for Academic Recognition and Mobility : http://www.armenic.am.

[9] PNUD, L’Enseignement supérieur, op. cit., vol. 3, p. 298-316.

[10] Le réseau des NARIC (National Academic Recognition Information Center) a été créé en 1984 par la Commission des Communautés européennes. Initié par l’UNESCO et le Conseil de l’Europe en 1997, le réseau des ENIC (European Network of Information Center) est créé selon les mêmes principes que le réseau des NARIC.

[11Le Processus de Bologne en Arménie. Guide, Erevan, Antares, 2008, p. 20 [en arménien].

[12Déclaration de Graz, 2003, consultable sur : http://www.eua.be/eua/jsp/en/upload/COM_PUB_Graz_publication_ final.1069326105539.pdf.

[13] PNUD, Rapport national sur le Développement humain, op. cit. ; « Le programme d’introduction de l’enseignement supérieur à trois niveaux dans la République d’Arménie », dans L’Enseignement supérieur, op. cit., vol. 3, p. 318.

[14] Expression utilisée par le ministre arménien de l’Éducation et de la Recherche lors de la rencontre avec les étudiants de l’université d’État d’Erevan le 17 décembre 2008.

[15] Voir Higher Education Support Program: http://www.osi.am.

[16Le Processus de Bologne en Arménie, op. cit., p. 46.

[17] Cela a également été reconnu lors de la conférence de presse de fin d’année (le 23 décembre 2008) du ministre arménien de l’Éducation et de la Recherche, Spartak Seyranyan. Ce dernier a particulièrement souligné l’indifférence et la passivité des étudiants par rapport aux questions les concernant et à la réforme du système d’enseignement.

[18Aravot, 7 juin 2008.

[19] Rappelons que la loi arménienne prévoit que les étudiants doivent constituer au moins 25 % des conseils des établissements supérieurs et des facultés.

[20Le Processus de Bologne en Arménie, op. cit., p. 50.

[21L’Éducation, la pauvreté et l’activité économique en Arménie, Erevan, MAZTS, 2002, p. 43 [en arménien].

[22http://www.magna-charta.org.

[23http://www.bologna-bergen2005.no/Docs/France/050520_Bergen_Communique-Fr.pdf.

[24] Au total, en 2006, dans les programmes post-universitaires ont été impliqués 1 490 doctorants et 2 533 doctorants relevant de l’enseignement à distance. Trente personnes étaient en cours de préparation d’une habilitation. « Le programme d’introduction de l’enseignement supérieur à trois niveaux dans la République d’Arménie », p. 319.

[25] S. Yeritsian et A. Tjourourian, 100 questions et réponses sur le processus de Bologne, op. cit., p. 58.

[26] Déclaration commune des ministres européens de l’Éducation, le 19 juin 1999 à Bologne : http://www.education.gouv.fr/realisations/education/superieur/bologne.htm.

[27] Wilhelm von Humboldt (1767-1835), linguiste, fonctionnaire, diplomate et philosophe allemand. En tant que ministre prussien de l’Éducation (1809-1810), il réforma profondément le système scolaire.

[28] « Introduction », Tuning pour une convergence des structures éducatives en Europe. Contribution des universités au processus de Bologne, Education and Culture, Socrates/Tempus, p. 10.

[29] V. Mironov, « Modernizaciâ obrazovaniâ kak sostavnaâ čast´ globalizacii » [« La modernisation de l’éducation comme partie intégrante de la mondialisation »], dans Bolonskij process i podgotovka sovremennyh služaŝih: rossijskij i zarubežnyj opyt [Le Processus de Bologne et la formation actuelle des fonctionnaires d’État : expériences russe et étrangère], Saratov, AVSES, 2008, p. 24-33.

[30] Rapport national sur le Développement humain, op. cit.

[31] Conférence de presse de fin d’année du ministre arménien de l’Éducation et de la Recherche, Spartak Seyranyan, le 23 décembre 2008 à Erevan.

[32] Parmi les spécialités les moins demandées, on trouve les spécialistes des déficiences (44,4 % des promus), les physiciens (28,6 %), les psychologues et philosophes (23,8 %), les juristes (20,6 %), les spécialistes de langue et littérature arméniennes (21 %), les orientalistes (20 %).

[33] Les Approches conceptuelles de la politique d’État dans la sphère de l’enseignement spécialisé de la RA, Erevan, MERRA, 2005, p. 30-32 [en arménien].

[34] S. Yeritsian et A. Tjourourian, 100 questions et réponses sur le processus de Bologne, op. cit., p. 38-39. 

 

Pour citer cet article

Garik GALSTYAN. «Intégration du système de l’enseignement supérieur arménien au processus de Bologne». In : Maryline Dupont-Dobrzynski et Garik Galstyan (dir.) Les influences du modèles de gouvernance de l’Union européenne sur les PECO et la CEI. Lyon : ENS de Lyon, mis en ligne le 15 juillet 2011. URL : http://institut-est-ouest.ens-lyon.fr/spip.php?article291