Vous êtes ici : Accueil > Publications et travaux > Ouvrages collectifs > Les influences du modèles de gouvernance de l’Union européenne sur les PECO et (...) > Le cadre institutionnel en Roumanie. L’opinion des firmes françaises

Le cadre institutionnel en Roumanie. L’opinion des firmes françaises

Laura BRANCU

Enseignant-chercheur en gestion, faculté d’Économie et Administration des affaires, université de l’Ouest, Timisoara, Roumanie

Index matières

Mots-clés : institutions, investissements étrangers, Roumanie.


Plan de l'article

Texte intégral

Après la chute du mur du Berlin, les entrées d’investissements directs étrangers (IDE) dans les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) ont connu une forte croissance. En effet, les flux d’IDE reçus par ce groupe de pays sont passés d’environ 2,5 milliards de dollars, au début de la transition, à plus de 55,7 milliards en 2006[1].

Cette tendance est la conséquence logique de la libéralisation des entrées de capitaux, une des réformes les plus importantes effectuées après 1990 dans le cadre du processus de transformation systémique. En suivant cette voie, les gouvernements des PECO ont encouragé les entrées d’IDE afin de profiter de leurs bénéfices. Effectivement, dans le contexte actuel de la mondialisation, les IDE sont généralement considérés comme le flux international de ressources le plus dynamique vers les pays en développement qui soit susceptible de contribuer au processus de rattrapage[2].

L’ouverture des PECO aux investisseurs étrangers s’inscrit dans le nouveau paradigme de la globalisation, celui de l’attractivité et de la promotion des IDE, qui s’est progressivement imposé à partir des années 1980[3]. Jusqu’aux années 1970, dans le cadre du processus d’internationalisation, les entreprises se concurrençaient pour investir dans certains territoires. L’excès d’offre d’IDE poussait les firmes multinationales (FMN) à chercher à profiter des opportunités offertes par les nouveaux pays en voie de développement. À partir des années 1980, avec la globalisation, un changement de fond s’est produit. Ce sont maintenant les firmes multinationales qui mettent en compétition les territoires nationaux les uns avec les autres pour attirer leurs investissements.

Parce que la demande pour les IDE est de plus en plus forte, les FMN sont de plus en plus sélectives dans leur choix de localisation et favorisent les pays d’accueil les plus attractifs. L’attractivité des économies d’implantation dépend de plusieurs variables, la qualité du cadre institutionnel figurant parmi les plus importantes. Dans la globalisation, les firmes doivent agir rapidement ; la concurrence est tellement forte que la conquête de nouvelles parts de marché repose sur la vitesse d’action des entreprises. De ce fait, les firmes qui veulent gagner n’ont guère de temps à gaspiller dans les méandres de la corruption et de la bureaucratie et ne désirent pas s’implanter dans un pays où les procédures sont trop lentes et les décisions administratives aléatoires.

Le changement de régime des PECO a engendré un vide institutionnel : les institutions communistes étant dépassées, celles-ci devaient être changées et adaptées au nouveau contexte, de manière à introduire la démocratie et les rouages de l’économie de marché. Le succès de la transition a largement dépendu de la volonté des gouvernements à mettre en place un cadre institutionnel capable de soutenir les réformes. Dans ce domaine, certains pays ont mieux réussi que d’autres.

Le classement réalisé par l’organisation Freedom House situe la Roumanie en dernière position par rapport aux autres PECO en ce qui concerne son avancée vers les réformes. Dans son rapport daté de 2006, la Roumanie est décrite comme le pays ayant connu la transition politique la plus difficile et la transition économique la plus coûteuse[4]. Au-delà des limites inhérentes à ce type de classement par pays, réalisé à partir d’indices composites, et dont nous reprendrons par la suite les critiques, le rapport de Freedom House nous offre un point de départ utile dans la mesure où il compare les progrès réalisés dans leur transition par les pays de la région. Ainsi, selon la source citée, en 1999, lors de l’invitation de la part de la Commission à rejoindre l’Union européenne (UE), la Roumanie avait encore d’importantes réformes structurelles à accomplir par rapport aux autres PECO qui, eux, avaient déjà implanté ces réformes dès le début des années 1990.

À la suite des progrès enregistrés par le pays dans l’accomplissement des critères de l’UE, le Conseil européen a annoncé, en 2002, sa décision d’accepter l’adhésion de la Roumanie au 1er janvier 2007. Le trajet parcouru pour satisfaire les critères européens fut long et sinueux. Dans les dernières années, la Roumanie a connu un développement soutenu et son environnement d’affaires s’est amélioré considérablement. D’importants progrès ont été réalisés dans la transposition de l’acquis communautaire.

Pourtant, l’une des principales critiques apportées par les observateurs reste la faiblesse dans la mise en place de cet acquis. Compte tenu de ces difficultés, nous avons orienté notre recherche sur le contexte institutionnel roumain en tant que facteur déterminant pour les IDE. Parce qu’il est souvent reconnu que les investisseurs étrangers sont sensibles à la qualité et à la stabilité de l’environnement institutionnel du pays d’implantation, nous analyserons comment les firmes étrangères perçoivent le cadre institutionnel de la Roumanie. Notre démarche repose sur une enquête que nous avons menée auprès des FMN françaises présentes dans le pays avant et après l’adhésion.

Notre plan est le suivant : le cadre conceptuel, qui contient un bref aperçu de la littérature sur le rôle de la qualité du cadre institutionnel dans l’attractivité d’un pays pour les investisseurs étrangers (section 1) sera suivi des caractéristiques et des résultats de notre enquête (section 2). Ces derniers, tout en fournissant des éclairages utiles, nous conduiront en même temps à d’autres interrogations et à de nouvelles pistes de réflexion.

Le cadre conceptuel

Selon Douglass C. North, les institutions représentent les « règles du jeu » dans une société, qui affectent les activités économiques par les coûts de transaction et de production qu’elles engendrent quand elles sont déficientes, tandis que les bonnes institutions diminuent le coût des affaires et augmentent ainsi la profitabilité de l’activité[5]. Quand les institutions ne fonctionnent pas normalement, certaines informations dont les partenaires d’affaires disposent sont déformées. L’environnement des affaires devient incertain et une prime de risque supplémentaire doit être prévue dans le cadre des coûts de transaction. Quant aux coûts de production, ceux-ci augmentent à cause des institutions défaillantes par le biais de procédures bureaucratiques, ou de pots-de-vin, qui ralentissent la production.

Les institutions permettent la structuration sociale, politique et économique de l’activité humaine et représentent l’un des facteurs déterminants dans le choix d’implantation des investisseurs étrangers. Elles encouragent les IDE en garantissant la propriété privée, les droits des individus, l’ouverture de l’économie et un climat favorable aux investissements. Selon l’OCDE, la performance économique d’un pays dans le temps ainsi que les choix des investisseurs étrangers sont fortement influencés par son environnement politique, institutionnel et légal[6].

Quelles que soient leurs raisons principales d’investir à l’étranger, les investisseurs considèrent ces facteurs comme une condition nécessaire préalable à toute implantation. Deepak Sethi et alii les dénomment « panier de conditions préalables[7] » qui garantit la santé de l’environnement des affaires et des investissements[8]. Pour parler de ces facteurs, Steven Globerman et Daniel Shapiro utilisent le terme générique d’« infrastructures de gouvernance » et soulignent leur rôle dans la création de l’environnement d’investissement et dans la croissance économique[9]. L’existence d’un environnement politique, législatif et social stable et libéral est un facteur d’attractivité particulièrement important pour les PECO.

L’instabilité du cadre institutionnel engendre des coûts de transaction très élevés dans les PECO en retard avec les réformes[10]. Les investisseurs qui veulent s’y implanter sont souvent affectés par :

  • le manque d’informations sur leurs partenaires ;
  • la difficulté de négocier avec des partenaires sans expérience en négociation ;
  • le cadre réglementaire peu clair et la bureaucratie ;
  • les faiblesses et le manque d’expérience de la justice.

En raison de l’héritage de la période communiste, les PECO présentent des manières différentes d’agir dans les affaires, des routines spécifiques par rapport aux pays industrialisés. Moins un pays est avancé dans les réformes, plus les caractéristiques du vieux système persistent : cadre législatif instable qui ne garantit pas le respect des contrats et de la propriété privée ; asymétrie d’information concernant, par exemple, les procédures de privatisation ; existence de forts groupes d’intérêts qui manifestent des comportements opportunistes ; difficulté de négociation avec les gouvernements ; corruption ; marché noir… Tous ces défauts du cadre institutionnel augmentent les coûts de transaction et, par voie de conséquence, éloignent les investisseurs. Cependant, ces coûts diminuent au fur et à mesure que le pays avance dans la transition et met en place des institutions en concordance avec l’économie de marché.

De nombreuses explorations économétriques ont testé le rôle joué par ces facteurs institutionnels dans le choix d’implantation des firmes étrangères. Des variables comme la stabilité politique, l’État de droit, la démocratie, la corruption, la protection de la propriété intellectuelle ou bien le risque-pays ont été employées dans ce but. Le tableau 1 rassemble et confronte les résultats dégagés par ces recherches[11]. Il montre qu’en dépit de leur importance théorique pour les flux d’IDE dans les pays en voie de développement et en transition, ces variables explicatives sont loin de faire l’unanimité quant à leur portée empirique.

 

Tableau 1. Impact des variables institutionnelles sur les entrées d’IDE : une synthèse des résultats empiriques.


Variable

Nombre d’études
Corrélation trouvée
Oui Non
Positive Négative


Le risque politique
9 sur les PVD
(*dont 1 sur les PECO)
-
-
6
(1)
3
-
5 mélangées :
pays développés et PVD 
- 3 2
1 mélangée :
pays développés et PVD
1 - -

L’État de droit
2 sur les PVD
(*dont 1 sur les PECO)
2
(1)
-
-
-
-
1 mélangée :
pays développés et PVD
1 - -

La corruption
3 sur les PVD
(*dont 2 sur les PECO)
-
(1)
3
(1)
-
-
3 mélangées
pays développés et PVD
- 2 1
La protection de la propriété intellectuelle 1 sur les PECO 1 - -
2 mélangées
pays développés et PVD
2 - -

La démocratie
3 sur les PVD
(*dont 2 sur les PECO)
3
(2)
-
-
-
1 mélangée :
pays développés et PVD
1 - -

Le risque-pays
6 sur les PVD
(*dont 4 sur les PECO)
1
-
5
(4)
-
-
1 mélangée :
pays développés et PVD
- 1 -

Source : Notre recherche bibliographique.

 

La divergence des résultats obtenus par les différentes vérifications empiriques peut être liée à leur approche méthodologique qui engendre des faiblesses quant à la mesure des variables[12]. Plus précisément, les travaux présents dans la littérature sont en fait des approches économétriques (des régressions en coupe transversale ou données panel) qui prennent en compte une large gamme de facteurs et de nombreux pays. L’analyse du contexte institutionnel est un processus dont la complexité exige l’intégration de plusieurs variables et qui impose parfois une sélection en fonction de leurs caractéristiques, quantifiables ou non. Devant cette restriction, les travaux empiriques sont souvent obligés soit de mentionner l’importance de certaines variables institutionnelles, sans les intégrer pour autant dans l’analyse, soit de faire appel, comme nous l’avons déjà mentionné, aux classements réalisés à l’aide d’indices composites d’organismes non gouvernementaux ou de cabinets de conseil comme Heritage Foundation, Economist Intelligence Unit, Economic Freedom[13]. L’usage d’indices composites, qui couvrent les nombreuses facettes du phénomène dans plusieurs pays sur de longues périodes, rend cependant difficile la généralisation de leur impact sur les IDE car ils sont construits et mesurés de façon différente.

Par ailleurs, Kenneth Bollen et Pamela Paxton, analysant les indices élaborés pour évaluer la démocratie et les libertés politiques, attirent l’attention sur les erreurs qui peuvent intervenir dans la construction des indices composites qui reposent sur les opinions des spécialistes[14]. Les sources d’erreurs sont multiples. Tout d’abord, parce qu’il existe des distorsions dans la collecte d’informations, dans la mesure où les spécialistes utilisent des données venant en grande partie des publications anglo-saxonnes. Ensuite, parce que les spécialistes confondent souvent le critère de définition de la variable expliquée avec les variables explicatives. S’il est permis, par exemple, de tester le lien entre la religion et la démocratie, la vérification de ce lien ne fait pas de la religion un critère de définition de la démocratie. Or, comme le constatent ces deux auteurs, le pas est souvent rapidement franchi par certains experts. Enfin, parce que les pondérations utilisées n’échappent pas aux critiques quant à leur nature subjective. Dans ces conditions, les études empiriques ne sont pas convergentes dans leurs résultats et n’arrivent pas à conclure si certaines variables sont plus significatives que d’autres comme facteurs explicatifs des IDE. Sur le même registre de classement par pays, Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné attirent l’attention sur la fragilité de la base théorique et de la méthodologie statistique des indices de compétitivité[15]. Lorsqu’ils sont employés pour réaliser des classements par pays, ils peuvent conduire le chercheur vers des résultats contradictoires. Dans le rapport sur la compétitivité de la France, ces auteurs citent l’exemple de la France, classée par le World Economic Forum et l’International Institut for Management Development sur des positions assez défavorables (entre le 12e et le 20e rang en 2001), tandis que les entrées d’IDE durant la période ont augmenté significativement à l’inverse d’autres pays industrialisés mieux classés par les mêmes indices.

L’enquête sur la perception des multinationales françaises présentes en Roumanie

Pour dépasser ces limites méthodologiques, mais aussi pour mieux comprendre les caractéristiques institutionnelles de la Roumanie, nous avons personnellement procédé à une enquête. Cette méthode nous offre une vision plus claire sur la perception des investisseurs étrangers sur la qualité du cadre institutionnel.

L’enquête que nous avons menée a été réalisée en deux temps : une première étape s’est déroulée en 2005, avant l’adhésion de la Roumanie à l’UE, tandis que la deuxième étape a été réalisée en 2008, une année après l’adhésion. L’échantillon couvre 62 entreprises françaises en Roumanie, sur les 126 que nous avons pu identifier et parmi lesquelles figurent de grandes firmes comme Renault, Alcatel, Lafarge, Danone ou Carrefour.

L’état des lieux en 2005

Dans notre enquête, les investisseurs français ont été sollicités afin d’apprécier, sur une échelle à cinq niveaux, allant de « pas ou peu important » à « très important », la qualité de plusieurs variables pouvant être considérées comme des obstacles dans le bon fonctionnement du cadre institutionnel roumain. Le tableau 2 résume les réponses fournies par les investisseurs concernant les obstacles institutionnels les plus importants[16].

 

Tableau 2. Classement des principaux obstacles institutionnels roumains en 2005.

Variables Pas ou peu important (en %) (1) Important (en %) (2) Rang
L’instabilité du cadre législatif 6,5 93,5 1
La bureaucratie 11,3 88,7 2
La corruption 14,5 85,5 3
Le droit de propriété sur le terrain 46,8 53,2 4
La protection de la propriété intellectuelle 55 45 5
Le marché noir 66,2 33,8 6
Le risque d’expropriation 67,7 32,3 7

Source : Notre enquête.

 

L’instabilité législative est considérée, par les investisseurs français répondant à notre première enquête, comme l’obstacle le plus important pour le déroulement efficace de leurs affaires en Roumanie. Elle est suivie de près par la bureaucratie et la corruption.

L’instabilité législative est un facteur spécifique pour les pays en transition. Elle exprime les retards dans le processus de réformes et confère au cadre institutionnel un caractère arbitraire qui augmente le sentiment d’insécurité des investisseurs étrangers. En effet, pour les dirigeants avec lesquels nous avons eu un entretien, le problème le plus important du cadre institutionnel roumain est la faiblesse de l’État de droit redoublée d’« un climat d’insécurité sur le plan juridique, commercial et financier[17] ». Cette insécurité découle en grande partie de la lourdeur de l’appareil judiciaire, caractérisé par la mise en œuvre d’un « cadre législatif imprécis et volatil, qui favorise les interprétations et le recours à l’arbitraire administratif[18] ». Les dirigeants français de notre échantillon ont accusé en premier lieu la différence entre le cadre juridique formel et sa mise en œuvre. En second lieu, les dirigeants reprochent le fait que, sans tenir compte des nécessités du milieu d’affaires, un nombre élevé de lois et d’ordonnances d’urgence sont adoptées, tout en étant accompagnées par des normes d’application floues et parfois même contradictoires pour enfin être amendées par des « ordonnances d’urgence imprécises, voire incohérentes[19] ». Le Code fiscal, par exemple, entré en vigueur au 1er janvier 2004 à la suite d’une longue période d’élaboration, a été amendé par une ordonnance d’urgence quelques mois plus tard, la même année.

Les dysfonctionnements du cadre institutionnel constituent un terreau pour le développement de la bureaucratie et de la corruption, autres facteurs envisagés comme des obstacles importants par les firmes de notre échantillon. En effet, les investisseurs considèrent que, malgré la volonté d’une administration plus libérale depuis novembre-décembre 2004, la lutte contre la corruption n’a pas eu le succès escompté.

L’appareil administratif est également une source de mécontentements. Les investisseurs estiment que l’administration n’est « ni efficace, ni compétente, ni neutre[20] ». L’administration fiscale est très souvent critiquée, étant perçue comme une bureaucratie répressive, préoccupée à effectuer des contrôles intempestifs et à interpréter la loi au détriment du contribuable. Ainsi, certains cadres nourrissent des doutes sur la justesse des contrôles effectués par des « inspecteurs fiscaux mal payés et motivés surtout par le nombre de contrôles effectués[21] ».

Soulignons au passage que les firmes françaises ne sont pas les seules à développer une vision critique. Le Conseil des investisseurs étrangers en Roumanie souligne lui aussi, dans un rapport paru en septembre 2003, que le manque de respect des lois agit comme un obstacle dans le fonctionnement normal de l’économie de marché[22]. Le cas du respect de la propriété intellectuelle illustre bien ce sujet dans notre enquête. En effet, si cette variable ne constitue pas un obstacle majeur pour la majorité des firmes, 45 % des dirigeants pointent néanmoins un problème important. Ce dernier pourcentage est loin d’être négligeable. Une explication de cette inquiétude peut résider dans le décalage entre le cadre législatif formel et l’application effective des lois. Théoriquement, la loi protège le droit d’auteur et interdit les importations, les exportations et l’entreposage des marchandises contrefaites. Pourtant, l’opinion des dirigeants est que l’application des lois est soumise à l’arbitraire des administrations corrompues et que, de toutes manières, les sanctions ne sont pas assez dissuasives pour endiguer ces pratiques illégales.

Les deux derniers facteurs figurant dans notre tableau, le marché noir et le risque d’expropriation sont des facteurs dont la force d’influence sur la qualité de l’environnement des affaires est assez réduite : 66,2 % des firmes de notre échantillon considèrent le marché noir comme un obstacle pas important. Le pourcentage est de 67,7 % pour le risque d’expropriation. En effet, selon la législation roumaine, les IDE effectués en Roumanie ne peuvent pas être expropriés, à l’exception de la clause d’utilité publique. La décision d’expropriation est non discriminatoire et s’effectue en conformité des lois en vigueur (la loi n° 332/2001 et le Code fiscal du 1er janvier 2004).

L’évolution depuis l’adhésion

Les résultats de la première enquête, effectuée avant l’adhésion de la Roumanie à l’UE, sont loin d’êtres étonnants. Lors de son adhésion, le 1er janvier 2007, la Roumanie accusait encore un retard sur de nombreux points : la réforme du système judiciaire, la lutte contre la corruption, l’adaptation de la législation et de l’administration aux critères européens et surtout l’application des lois. Parce que ces lacunes pouvaient empêcher l’application efficace de la législation, des politiques et des programmes de l’UE, le traité d’Adhésion a fixé un cadre pour des efforts supplémentaires à fournir dans ces domaines. La Commission s’est engagée à aider la Roumanie à dépasser ces retards, mais aussi à vérifier régulièrement les progrès accomplis au regard des quatre objectifs de référence définis pour la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption. En même temps, le gouvernement roumain s’est lui aussi engagé à remédier aux dysfonctionnements enregistrés dans ces domaines.

Pour apprécier l’avancée du pays depuis son adhésion et l’amélioration de la qualité de sa gouvernance, nous avons réitéré l’enquête en 2008, c’est-à-dire trois ans après son premier envoi. Les résultats obtenus sont consignés dans le tableau 3.

 

Tableau 3. Classement des principaux obstacles institutionnels roumains en 2008.

Variables Pas ou peu important (en %) (1) Important (en %) (2) Rang
La corruption 12 88 1
L’instabilité du cadre législatif 20,5 79,5 2
La bureaucratie 45 55 3
La protection de la propriété intellectuelle 51,8 48,2 4
Le marché noir 63,5 36,5 5
Le droit de propriété sur le terrain 91,5 8,5 6
Le risque d’expropriation 94 6 7

Source : Notre enquête.

 

On observe un changement par rapport aux résultats antérieurs. La corruption se trouve maintenant en tête de liste, avec un pourcentage encore plus élevé qu’auparavant : elle est présentée comme un obstacle important par 88 % des firmes interrogées. Elle est suivie de près par l’instabilité du cadre législatif (79,5 %).

Ce résultat est confirmé par le rapport de la Commission daté de juillet 2008, qui souligne le fait que la Roumanie doit encore beaucoup lutter contre la corruption à haut niveau, pour améliorer l’environnement des affaires et pour que les citoyens aient davantage confiance en l’État de droit[23]. Le rapport estime que les éléments essentiels permettant à un système de bien fonctionner sont en place. Pourtant, les fondations restent fragiles. Les actions sur la corruption à haut niveau sont très politisées et le système doit démontrer sa volonté de la sanctionner. Le Conseil des investisseurs étrangers en Roumanie estime également que la corruption reste encore un problème grave[24]. Il propose un ensemble de solutions pour lutter contre celle-ci. Parmi les mesures envisagées figurent : l’augmentation des salaires des employés de l’administration publique ; l’élimination du pouvoir discrétionnaire excessif ; l’application des mesures punitives pour ceux qui ne respectent pas la loi ; l’examen attentif des fortunes des personnalités officielles. La corruption dans le milieu judiciaire est également montrée du doigt par les firmes que nous avons interviewées. Les investisseurs rapportent des exemples où les juges roumains ont été soumis à des pressions pour influencer la résolution de certains cas[25]. De ce fait, les décisions ne sont ni indépendantes ni objectives et l’État de droit est affecté. Ces opinions sont confirmées par le rapport de Transparency International Roumanie selon lequel les juges roumains ont indiqué que « des pressions s’exercent sur leurs décisions […] pressions venant des médias, des membres du Parlement, des responsables du gouvernement et d’intérêts économiques[26] ». Un autre problème est la lenteur des procédures judiciaires ; même si la loi prévoit un délai raisonnable pour résoudre un dossier, il arrive encore que des appels et des plaintes traînent pendant des années dans les « méandres » du système judiciaire.

On observe également que, selon les firmes interrogées, l’instabilité du cadre législatif continue à être un obstacle majeur dans le milieu d’affaires roumain, même si le pourcentage a diminué en passant de 93,5 % à 79,5 %. Les dirigeants continuent à reprocher au gouvernement roumain le fait qu’il émet abusivement des ordonnances d’urgence. Selon eux, cette situation engendre de nombreux problèmes car elle relève d’un abus de pouvoir et du non-respect du principe de la séparation des pouvoirs. Pourtant, la législation existante prévoit explicitement des sanctions en cas de corruption, mais sa mise en application réelle est trop souvent retardée.

Les investisseurs rapportent également que les ordonnances d’urgence sont souvent contraires aux lois, car leur mise en forme a été trop rapide. Ils accusent également le fait que les changements intervenus dans les textes de loi sont difficilement identifiables car n’apparaissent pas dans un seul document.

La bureaucratie reste un obstacle majeur selon les firmes françaises, même si son pourcentage marque une diminution, passant de 88,7 % en 2005 à 55 % en 2008. Quant aux autres facteurs étudiés, leur importance tend à s’éteindre. Ainsi, la variable relative au droit de propriété sur le terrain est tombée à la 6e position, affichant le faible pourcentage de 8,5 %.

Conclusion

Le but de cet article a été d’analyser, sur la base de notre enquête, la perception des firmes françaises installées en Roumanie, concernant la stabilité de l’environnement institutionnel roumain. Deux éléments ont guidé notre problématique. Premièrement, le retard de la Roumanie dans son avancée vers les réformes ; retard qui subsiste toujours après l’adhésion à l’UE. Deuxièmement, la compréhension de l’influence exercée par le contexte institutionnel sur l’attractivité d’un pays à l’égard des IDE.

La perception des firmes étrangères a été étudiée en deux temps : en 2005, avant l’adhésion de la Roumanie à l’UE, puis en 2008, après l’adhésion. Les résultats obtenus indiquent que, pour les firmes françaises retenues dans notre échantillon, les variables institutionnelles agissent comme des obstacles importants ; en particulier la corruption, l’instabilité législative et la bureaucratie. De plus, ces obstacles persistent toujours depuis l’adhésion, ce qui semble signifier que la reprise des normes européennes demeure incomplète.

Il est possible de croire que le temps écoulé depuis l’adhésion a été trop court pour que les améliorations réelles soient visibles. En 2007, la Roumanie s’est engagée à lutter contre la corruption et à réformer le système judiciaire. La Commission confirme que le pays a élaboré un plan d’action contre la corruption. Pourtant, au début 2008, les résultats ne sont pas encore convaincants.

Pour conclure, nous pouvons dire que le contexte roumain présente des caractéristiques plutôt répulsives qu’attractives. Nos résultats tendent à affirmer que l’environnement institutionnel roumain semble être dissuasif à l’égard des investisseurs étrangers potentiels ; ce qui est d’ailleurs confirmé par l’examen comparé des flux d’IDE vers la Roumanie et les autres PECO.

Pour autant, nos conclusions ne permettent pas d’éclairer la décision des investisseurs interrogés qui, eux, se sont installés en Roumanie. Comment donc expliquer leur présence ? Nous pouvons formuler deux réponses. La première consisterait à dire que l’appréciation du contexte roumain a évolué depuis l’entrée des firmes dans le pays. Autrement dit, la perception des investisseurs traduit une déception par rapport à ce qu’ils attendaient avant leur installation. Dans ce cas, l’absence de progrès destinés à réduire l’impact des facteurs répulsifs risque de se traduire par leur retrait à terme de la Roumanie. La deuxième réponse repose sur l’hypothèse que les investisseurs connaissaient le contexte roumain avant de prendre leur décision ; celle-ci se justifiant par le fait que le poids des facteurs attractifs l’emportait sur celui des facteurs répulsifs.


[1] UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Development), World Investment Report 2007: Transnational Corporations, Extractive Industries and Development, United Nations, 2007.

[2] UNCTAD, World Investment Report 1999: Foreign Direct Investment and the Challenge of Development, United Nations, 1999.

[3] C.-A. Michalet, La Séduction des Nations ou comment attirer les investissements, Paris, Economica, 1999.

[4] Freedom House, Nations in Transit: Democratization to Central Europe to Eurasia, Lanham (MD), Rowman & Littlefield Publishers, 2006.

[5] D. C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

[6] OECD, The well-being of nations: The role of human and social capital, Paris, OECD, 2001.

[7] « Basket of pre-requisites ».

[8] D. Sethi, S. Guisinger, D. L. Ford jr. et S. E. Phelan, « Seeking Greener Pastures: A Theoretical and Empirical Investigation into the Changing Trend of Foreign Direct Investment Flows in Response to Institutional and Strategic Factors », International Business Review, n° 11, 2002, p. 685-705.

[9] S. Globerman et D. Shapiro, « Global Foreign Direct Investment Flows: The Role of Governance Infrastructure », World Development, vol. 30, n° 11, 2002, p. 9-39.

[10] K. E. Meyer, « Entry into Transition Economies: Beyond Markets and Hierarchies », Center for East European Studies, working paper n° 16, Copenhague, Copenhagen Business School, 1998 ; T. Postma et N. Hermes, « Institutions, Corporate Governance and Corporate Governance Institutions: the case of Estonia », Mimeo, 2002.

[11] On se réfère ici aux études suivantes : D. Wheeler et A. Mody, « International Investment Location Decision: The Case for U.S. Firms », Journal of International Economics, n° 33, 1992, p. 57-76 ; V. Gastanga, J. B. Nugent et B. Pashamova, « Host Country Reforms and FDI Inflows: How Much Difference do they Make? », World Development, vol. 27, n° 7, 1998, p. 1299-1314 ; C.-A. Michalet, La Séduction des Nations, op. cit. ; B. K. Smarzynska, « Composition of Foreign Direct Investment and protection of Intellectual Property Rights: Evidence from Transition Economies », Mimeo, World Bank, août 2000 ; E. Asiedu, « On the determinants of foreign direct investment to developping countries: is Africa different? », World Development, vol. 30, n° 1, 2002, p. 107-119 ; S. Globerman et D. Shapiro, « Global Foreign Direct Investment Flows », art. cité ; A. Baniak, J. Cukrowski et J. Herczynski, « On Determinants or Foreign Direct Investment in Transition Economies », Global Development Network Workshop, Prague, Mimeo, 2002 ; M. et W. Andreff, « Comparative Attractiveness of Central and Eastern European and Maghreb Countries to French Firms », Actes du colloque Dynamiques institutionnelles et organisationnelles dans la transformation post-socialiste, Amiens, CRIISEA et OEP, 2002 ; M. Busse, « Democracy and FDI », Hamburg Institute of International Economics Discussion Paper n° 220, 2003 ; E. Asiedu, « Foreign Direct Investment in Africa: The role of Natural Resources, Market Size, Government Policy, Institutions and Political Instability », WIDER research paper n° 2005/24, 2005 ; M. Busse et C. Hefeker, « Political Risk, Institutions and Foreign Direct Investment », HWWA discussion paper, n° 315, 2005 ; L. Brancu, « Déterminants institutionnels et culturels du processus d’investissement étranger : le cas des PECO », dans H. Krifa-Schneider (dir.) L’Élargissement de l’Union européenne : quels enjeux et défis majeurs ?, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 257-280 ; A. Fathi, N. Fiess et R. MacDonald, « Do Institutions Matter for Direct Investment? », University of Glasgow, working paper n° 2008/26, 2008.

[12] L. Brancu, Stratégies des firmes multinationales. Éléments de management comparé. Le cas des firmes françaises en Roumanie, Timisoara, Mirton, 2008.

[13] À titre d’exem ple, nous allons citer quelques indices utilisés dans quelques travaux empiriques recensés. – Gastanga et al., « Host Country Reforms and FDI Inflows », art. cité : les indices de BERI et de la Banque Mondiale. – B. K. Smarzynska, « Composition of Foreign Direct Investment and protection of Intellectual Property Rights », art. cité : l’indice BERD sur la clarté et l’accessibilité des lois concernant les IDE ainsi que leur application par les appareils administratif et judiciaire ; – D. Wheeler et A. Mody, « International Investment Location Decision », art. cité : un indice composite pour évaluer le risque-pays. – S. Globerman et D. Shapiro, « Global Foreign Direct Investment Flows », art. cité : l’« indice composite » de Kaufmann et al. (1999), indice composé par des indices élémentaires liés au respect de la loi : l’indice de l’État de droit (inviolabilité des contrats, droit de propriété, crimes et vols, etc.) ; l’indice de l’efficacité gouvernementale (la qualité des services offerts par le gouvernement) ; l’indice de corruption. – M. Busse, « Democracy and FDI », art. cité, et L. Brancu, « Déterminants institutionnels et culturels du processus d’investissement étranger », art. cité : les indices de droits publics et de libertés civiles de Freedom House. – A. Fathi et al., « Do Institutions Matter for Direct Investment? » : l’indice ICRG (International Country Risk Guide) de PRS Group. – S. Zeghni et N. Fabry, « Building Institutions for Growth and Human Development: An Economic Perspective Applied to the Transitional Countries of Europe and CIS », MPRA paper, 2008 : plusieurs variables pour analyser autant les institutions formelles que les informelles : BERD Transition Report, les dépenses pour l’éducation en % du PIB, l’indice de la démocratie de Freedom House, le Corruption Perception Index de Transparency International, etc.

[14] K. Bollen et P. Paxton, « Subjective Measure of Liberal Democracy », Comparative Political Studies, vol. 33, n° 1, février 2000, p. 58-86.

[15] M. Debonneuil et L. Fontagné, Compétitivité [rapport], Paris, La Documentation française, 2003.

[16] Pour faciliter la lecture des tableaux, nous avons regroupé les réponses en deux colonnes : la colonne (1) rassemble les réponses données aux niveaux « Pas important » et « Peu important » de notre échelle, tandis que la colonne (2) rassemble les réponses pour les niveaux « Moyennement important », « Important » et « Très important ».

[17] Notre enquête.

[18Idem.

[19Idem.

[20Idem.

[21Idem.

[22] « Propuneri pe termen scurt pentru atragerea de investitii straine directe in Romania », Consiliul Investitorilor Straini [« Propositions à court terme pour attirer des IDE en Roumanie, Conseil des investisseurs étrangers »], septembre 2003.

[23http://ec.europa.eu/dgs/secretariat_general/cvm/index_fr.htm (site consulté le 22 novembre 2008).

[24http://www.fic.ro (site consulté le 22 novembre 2008).

[25]Notre enquête.

[26www.transparency.org.ro (site consulté le 19 décembre 2008).

 

Pour citer cet article

Laura BRANCU. «Le cadre institutionnel en Roumanie. L’opinion des firmes françaises». In : Maryline Dupont-Dobrzynski et Garik Galstyan (dir.) Les influences du modèles de gouvernance de l’Union européenne sur les PECO et la CEI. Lyon : ENS de Lyon, mis en ligne le 15 juillet 2011. URL : http://institut-est-ouest.ens-lyon.fr/spip.php?article292