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L’émergence d’une nouvelle classe moyenne en Russie ou les caractéristiques d’une nouvelle consommation

Natalia GUILLUY-SULIKASHVILI

Maître de conférences en civilisation russe
Université catholique de Lille

Index matières

Mots-clés : comportements de consommation, classe moyenne, Russie, statut social, occidentalisation des comportements.


Plan de l'article

Texte intégral

Introduction

Les mutations économiques qui ont accompagné le passage de l’économie planifiée à celle de marché ont bouleversé la structure sociale russe et les rapports entre groupes sociaux. De nouvelles formes d’inégalités sociales ont entraîné une forte différenciation au sein de la population.

Il serait pourtant erroné de penser que les inégalités sociales sont apparues uniquement après la Perestroïka. En URSS, derrière les discours officiels visant à présenter une société socialiste égalitaire, les différences sociales existaient déjà. Toutefois, comme la propriété privée occupait une place réduite dans l’économie planifiée, les inégalités reposaient sur d’autres fondements[1]. La population qui était présentée comme la base sociale du régime était constituée des ouvriers et des employés. Un groupe nettement moins important, celui de la nomenklatura, était composé de dirigeants et membres du Parti. Entre les deux existait une couche moyenne, constituée de professions intellectuelles et de responsables d’échelon intermédiaire. En réalité, les contrastes de pouvoir et de richesse étaient importants entre la nomenklatura qui dirigeait le pays, les apparatchiks, membres de l’appareil du Parti, et le reste de la population. Les fonctionnaires de haut rang, les directeurs d’usines stratégiques, les artistes officiellement reconnus ainsi qu’une partie de l’intelligentsia, notamment les médecins et les scientifiques, jouissaient d’un niveau de vie plus confortable. Les contrastes de consommation étaient cachés et les inégalités provenaient en partie de différences d’accès aux magasins spéciaux, aux datchas de fonction, aux sanatoriums sur la mer Noire.

Cette structure a changé après la Perestroïka. Les bouleversements macroéconomiques ont influencé le niveau de vie de la population de plusieurs manières. La récession économique a eu pour conséquence une chute du niveau d’activité et du niveau de rémunération des actifs. Elle a aussi conduit à une réduction des transferts et des programmes sociaux dans les domaines de l’instruction et de la santé publique. La libéralisation des prix, quant à elle, a amputé le pouvoir d’achat effectif des ménages. Dans ce contexte d’appauvrissement général, il est naturel de s’interroger sur le sort de l’ancienne nomenklatura soviétique. Nombre d’anciens privilégiés ont profité de la situation politique pour se procurer des avantages tirés de la nouvelle économie. Le développement des coopératives à partir de 1987 avait déjà permis à certains d’entre eux d’accumuler des richesses assez importantes. Les privatisations et l’explosion des initiatives privées, particulièrement dans le commerce et les services, ont amené à la multiplication des trafics et à la constitution de fortunes illégales importantes. En 2004, les revenus des 10 % les plus riches représentaient 14 fois ceux des 10 % les plus pauvres[2]. En ce qui concerne l’intelligentsia, le passage à l’économie de marché a anéanti son prestige et son style de vie. De fortes inégalités se sont manifestées suivant les secteurs d’activité. En 2003, le salaire mensuel moyen présentait de grandes disparités. En moyenne nationale, il était de 5 508 roubles, mais il pouvait atteindre des niveaux bien plus élevés : 25 500 roubles dans le secteur gazier et 20 100 roubles dans le pétrole[3]. Les écarts moyens entre les agriculteurs, les plus défavorisés, et les employés du secteur gazier, les mieux payés, sont estimés de 1 à 12. Les salaires des fonctionnaires, des enseignants et des professions de santé demeurent médiocres.

L’analyse des inégalités et de la structure sociale de la Russie actuelle donne l’image d’une société éclatée. Dans cette société à deux vitesses, la diversité des situations a entraîné la mise en œuvre par la population de stratégies de survie et d’adaptation aux conditions de la transition. Les changements engendrés par la Perestroïka se sont traduits par l’émergence de la nouvelle classe moyenne. Qui la compose ? Comment se définit-elle ? Peut-on appliquer des critères sociologiques pour son analyse ou plutôt choisir une approche axée sur le marketing ? Afin de répondre à ces questions, nous allons analyser les principaux concepts permettant d’aborder la classe moyenne en Russie.

Comment conceptualiser la classe moyenne russe ?

Dans ce nouvel environnement économique, une nouvelle classe moyenne fait son apparition, mais son profil exact est bien difficile à définir[4], même si les chercheurs et les universitaires y travaillent depuis quelques années. La difficulté principale provient du fait que la classe moyenne russe ne peut s’approcher de la même façon que la classe moyenne occidentale. Les critères occidentaux concernent les conditions économiques (niveau de revenus, patrimoine), les genres de vie (pratiques sociales, culturelles et politiques), les normes et les valeurs, le sentiment d’appartenir à une communauté. Les classes moyennes occidentales participent activement au fonctionnement des institutions, elles s’attachent beaucoup plus aux valeurs de leurs systèmes politiques. Dans leurs comportements, elles apparaissent moins défensives que les familles à bas revenus mais moins entreprenantes que les élites sociales et économiques[5]. La classe moyenne russe paraît peu identifiable selon ces critères. Son niveau de revenus est beaucoup plus bas qu’en Occident. Pour la plupart, les membres de cette classe sont devenus propriétaires par l’héritage des biens encore attribués sous l’époque soviétique à leurs parents. Leurs représentants sont peu sensibilisés au monde politique et à la démocratie car les aspects de la vie civique occidentale sont encore nouveaux pour eux. Loin d’être un pilier économique de la société, la classe moyenne russe ne contribue que faiblement à l’impôt. Son niveau d’auto-identification est relativement bas, les normes et les valeurs partagées par ses membres restant très hétérogènes.

En Russie, il existe plusieurs écoles qui travaillent sur la problématique de la classe moyenne. Diverses définitions coexistent et chacune se base sur des critères différents. Ainsi, Tatiana Maleva, s’appuyant sur les résultats de la recherche réalisée par le Centre Carnegie de Moscou, la définit comme :

[Un] groupe social composé de personnes qui ne sont ni très riches, ni pauvres, mais disposent de ressources matérielles plus importantes que la « couche de base », groupe le plus nombreux[6].

L’auteur poursuit en précisant que le niveau de formation élevé permet à ses membres d’obtenir un emploi stable et un salaire plus élevé que la moyenne. Toutefois, les représentants de la classe moyenne russe sont peu prévoyants vis-à-vis de l’avenir, mais plutôt aptes à saisir les opportunités de court terme. La plupart d’entre eux tirent leurs revenus, pour tout ou partie, de l’économie de l’ombre. Ce sont des personnes qui ont réussi à atteindre une certaine position dans la société grâce à des efforts personnels et à l’acquisition d’une expérience professionnelle et pratique. Elles sont un atout pour la société. Leur but est avant tout de maintenir leur statut social et de conserver le niveau de vie qu’elles ont pu acquérir jusque-là. Il en ressort que 29 millions de personnes (20 % de la population) se disent ainsi « prêtes à ne compter que sur leurs propres forces sans l’aide du gouvernement et à faire tous les efforts pour s’adapter au monde qui change[7] ». Toujours selon Tatiana Maleva, ces personnes sont animées par un désir d’ascension dans la hiérarchie sociale. L’esprit d’initiative et la recherche de nouveauté dans le travail sont primordiaux selon elles, tout comme l’acceptation de la différenciation sociale. Elles privilégient les valeurs individualistes combattues sous le régime socialiste. Plus de la moitié d’entre elles posséderait un ordinateur et une voiture, utiliserait une langue étrangère au travail et chercherait à développer ses connaissances soit par un travail individuel dans le cadre d’une formation, soit par la poursuite de ses études. 84 % de ces personnes ont le sentiment que leur vie a changé considérablement depuis 2000 : elles ont obtenu un meilleur poste, amélioré les conditions et le cadre de leur vie, ouvert leur propre entreprise et eu recours à la médecine privée.

En revanche, la sociologue russe Tatiana Zaslavskaya définit la classe moyenne russe comme une « quasi couche poreuse, en cours de formation ». Selon cette sociologue, la classe moyenne en Russie possède une qualité précieuse, celle de l’adaptation aux réformes. Elle est également porteuse d’un potentiel d’innovation et de connaissances, ce qui lui permettra un jour de se transformer en une classe moyenne au sens occidental. Mais dans son état de développement actuel, elle ne peut pas être considérée comme un stabilisateur économique de la société car elle n’a pas assez d’indépendance économique et institutionnelle[8].

Un autre point de vue est exprimé par le sociologue russe Andrei Zdravomyslov[9], qui souligne que la présence de la classe moyenne est incontestable car auparavant il existait déjà une « masse » moyenne considérable. Selon lui, le concept marxiste de classe sociale ne peut être appliqué au cas russe, dont la diversité des valeurs et des orientations politiques doit être considérée comme « normale ». L’auteur souligne que les « débats sur les critères et la définition de la classe moyenne sont inutiles, au lieu de cela il faudrait étudier de près les processus qui se passent à l’intérieur de la classe même[10] ».

Nous allons nous centrer sur l’approche de Tatiana Zaslavskaya car la classe moyenne russe nous semble réellement une couche poreuse en cours de formation. Les conditions économiques russes actuelles ne l’aident pas à se stabiliser et à s’affirmer en tant que classe à part entière. Malgré cette difficulté de définition d’un point de vue socio-économique, nous proposons de la cerner en ayant recours au marketing. C’est en effet la couche de la société qui a un gros potentiel de consommation et dépense les trois quarts de son revenu disponible. De ce point de vue, on peut affirmer qu’elle se rapproche de la classe moyenne occidentale. Ses membres reprennent en quelque sorte le modèle de consommation de leurs homologues occidentaux en laissant de côté leurs caractéristiques politiques et socio-économiques.

Les critères économiques et financiers : revenus et pouvoir d’achat

La classe moyenne se manifeste par une certaine boulimie de consommation qui s’explique sans doute par un comportement de rattrapage après tant d’années de privation. Elle est surtout concentrée à Moscou et dans de grandes villes mais existe également en province, malgré des revenus inférieurs.

D’après l’étude menée par la revue économique Expert, en 2008, les représentants de la classe moyenne peuvent être divisés en cinq couches selon leurs revenus mensuels[11]. La couche inférieure, composée à 61,5 % de femmes, perçoit entre 185 et 265 euros par mois et par personne en activité. La deuxième couche se situe entre 265 et 375 euros, dont 53 % de femmes. La troisième compte la population touchant des revenus entre 375 et 525 euros dont 51,7 % de femmes. La quatrième comprend les revenus entre 525 et 745 euros avec 46,5 % de femmes. Enfin, la couche supérieure englobe la population avec des revenus supérieurs à 745 euros, les femmes représentant 42,3 % de cette catégorie.

Le niveau d’éducation des hommes et des femmes est similaire. Les femmes sont surreprésentées dans la filière « éducation supérieure lettres », par contre les hommes sont plus nombreux dans celle « éducation supérieure technique ». Le secteur industriel est principalement masculin, employant 40 % des hommes issus de la classe moyenne contre 18 % des femmes. À l’opposé, les femmes sont plus nombreuses dans la culture, la santé et l’éducation : 25 % des femmes issues de la classe moyenne contre seulement 9 % des hommes.

Les Russes disposent de deux types de ressources : les revenus monétaires, provenant des salaires et des placements financiers, sont complétés par des revenus en nature issus des productions domestiques (potagers, artisanat) et de l’échange (troc). Le niveau et la répartition de ces ressources varient selon la localisation géographique. En 2008, le salaire moyen régional n’était que de 350 euros contre 740 euros à Moscou[12]. Les ressources monétaires composaient 91 à 92 % des ressources totales des ménages urbains, les 8 à 9 % restants provenant de ressources en nature, alors qu’elles ne représentaient que 72 à 79 % du total des revenus des ménages ruraux. À ces ressources s’ajoutent d’autres revenus monétaires non déclarés, provenant d’un double voire d’un triple emploi ou de l’économie parallèle, qui accroissent le pouvoir d’achat de la classe moyenne.

L’ouverture des frontières a contribué à l’avènement d’une nouvelle norme de consommation calquée sur les habitudes occidentales et rejetant le style de vie « soviétique » marqué par les pénuries, la médiocrité des produits et l’absence de diversité. Les représentants de la classe moyenne sont très réceptifs à ce nouveau modèle de consommation dont l’adoption suppose un budget important. Lors des entretiens[13] que nous avons réalisés à Moscou, nous avons posé des questions portant sur le revenu : « De quel revenu voudriez-vous disposer ? » et « Quel revenu vous paraît suffisant ? ». Les résultats ont montré que tous les interviewés affirmaient que leurs compétences étaient sous-évaluées au niveau salarial. Ils comparaient leurs salaires avec les critères occidentaux, estimant que leur rémunération devait leur permettre de couvrir un certain nombre de besoins et de dépenses, notamment posséder un logement, voyager, etc. Selon eux, 500 dollars par personne du ménage représenteraient la norme garantissant un niveau de vie confortable.

L’émergence de cette classe moyenne est un facteur attractif pour les investissements étrangers axés dans le secteur des biens de consommation et visant la demande intérieure russe. Les entreprises sont en effet attirées par la vitalité surprenante des dépenses dont témoignent les ménages russes, à Moscou et dans les grandes villes de province en plein essor. Le marché russe est ainsi une priorité pour beaucoup d’entreprises européennes spécialisées dans la grande distribution. En effet, la propension à consommer représente en moyenne 87 % du revenu des ménages[14]. La conjonction d’éléments favorables à la consommation semble propice à en élever le niveau. Au-delà, c’est surtout un état d’esprit qui explique la frénésie d’achat des consommateurs, disposés à profiter de la vie et à se faire plaisir. On remarque un souci de bénéficier de l’instant présent qui s’explique en partie par le niveau assez bas de l’espérance de vie : pour les hommes 59,2 ans et pour les femmes 73,1 ans (2009)[15].

L’avènement d’une nouvelle norme de consommation dite « eurostandard »

La notion d’« eurostandard » est purement russe[16]. Il s’agit d’une norme de consommation importée qui est apparue en Russie avec l’avènement de l’économie de marché et qui a vite intégré le vocabulaire courant. Elle signifie, par exemple, que les travaux dans un appartement sont effectués avec utilisation de matériaux de construction européens, ou que les meubles sont fabriqués en Union européenne. D’une manière générale, elle symbolise le refus de la mauvaise qualité soviétique et s’applique aux objets ou biens de bonne qualité. Il est important de souligner que les Occidentaux n’ont pas conscience de l’existence de cette notion. Ils ignorent qu’ils habitent dans des appartements ou qu’ils achètent des meubles qui correspondent à cette norme. En principe, les objets et les biens de bonne qualité importés peuvent être facilement qualifiés d’« eurostandard ». Dans les revues et les journaux spécialisés dans l’ameublement et la décoration, on trouve une publicité abondante pour les meubles et les accessoires correspondant à ce standard. En effet, la part des dépenses affectées au logement occupe une place importante. Le quartier de résidence, le type d’immeuble et le milieu social jouent de plus un rôle majeur dans l’alignement sur cette nouvelle norme.

La nouvelle structure des besoins a également été importée par le biais des films occidentaux, transmettant et imposant inconsciemment à la population le standard américain ou européen. Les séries télévisées ou, comme on les appelle, les « films à l’eau de rose », qui sont diffusées depuis plus de deux décennies à la télévision russe, sont également un vecteur important dans la formation des goûts, en créant de nouveaux besoins de consommation. Ces films transmettent aux consommateurs une image de « belle vie » qui se déroule dans un beau cadre, avec de beaux meubles, vêtements ou automobiles. Elizabeth C. Hirschman analyse ce phénomène à propos du modèle de consommation véhiculé par Dallas ou Dynastie[17]. Selon son étude, ces séries développent un système complexe de significations symboliques associées aux objets possédés : modèle des voitures, type du logement, ameublement, habillement. Les pratiques sont également très influentes : comportement familial, activités sociales, types de loisirs. Les séries apportent aux téléspectateurs des schémas complexes d’identification aux personnages.

L’ouverture des frontières est ainsi devenue une source de formation aux nouveaux goûts. De nos jours, Moscou compte plus de 2 000 agences de voyage[18]. La nature des voyages a également changé. Il y a encore 15 à 20 ans, les séjours à l’étranger étaient associés aux shop tours, c’est-à-dire des déplacements motivés par l’achat de biens et leur revente éventuelle en Russie. Maintenant, le but est essentiellement touristique : se reposer, découvrir de nouveaux pays dans une ambiance confortable. Les tour-opérateurs proposent des parcours divers pour découvrir la culture occidentale et créer des contacts personnels avec des étrangers. Ces vacances permettent aux voyageurs de revoir leur propre style de vie et de changer leurs goûts et habitudes de consommation.

Tous ces facteurs forment et contribuent à un nouveau modèle de consommation. Les actes d’achat, l’envie de correspondre à un standard ou de suivre un style de vie, ainsi que l’acquisition de produits de marque à forte notoriété, participent au processus de distinction et de différenciation des individus. C’est le côté « show off » des Russes qui explique en partie leur engouement pour les voitures, les toilettes, les produits de beauté, la décoration de la maison, et on constate effectivement une tendance à vouloir correspondre à une certaine image.

La construction du nouveau mode de consommation suppose la réalisation et la satisfaction des besoins des consommateurs face au choix des produits disponibles et en fonction de leur contrainte budgétaire. Sur ce point, il est important de souligner que la nouvelle norme est créée mais que les budgets ne suivent pas toujours. Pour y être conformes, certains membres de la classe moyenne doivent faire des économies ou n’acheter que ponctuellement des articles de luxe.

Les budgets de consommation

L’analyse des budgets de consommation nous permet de saisir les comportements des consommateurs russes. Le Tableau 1 présente la répartition de la consommation russe selon les principaux coefficients budgétaires. On constate que les postes principaux sont le logement, l’automobile et les communications, ce qui révèle un alignement des comportements sur ceux des ménages occidentaux.

Tableau 1. Le budget de consommation des ménages en Russe, en % des dépenses (2007).

Biens de consommation courante 9,9
Voiture 21,2
Communication 18,6
Logement 18,0
Éducation 6,9
Santé 4,9
Dépenses administratives 2,5
Culture 2,2
Tourisme 1,6
Divers 14,2
Total 100

Source : Global Market Information for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2007.

Une étude plus fine portant sur les taux d’équipement corrobore l’idée de l’adoption du modèle occidental de consommation. En effet, les taux d’équipement présentés dans le Tableau 2 sont élevés pour l’ensemble de la population russe. La présence d’appareils électroménagers dans le foyer est une caractéristique du niveau de vie et du comportement des consommateurs. Elle reflète le mode de vie et le niveau de bien-être atteint par les individus.

Tableau 2. Équipement des ménages en biens durables, en % des ménages, 2007

Biens d’équipement Taux d’équipement
Télévision 96,4
Magnétoscope 47,3
Chaîne stéréo 24,5
Appareil de chauffage d’appoint 21,8
Machine à laver 81,3
Aspirateur 78,5
Plaque de cuisson 98,3
Réfrigérateur 98,0
Chauffe-eau 52,1
Mixeur 38,3
Robot ménager 17,2
Couteau électrique 15,3
Machine à café 8,9
Friteuse 3,3

Source : Global Market Information for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2007.

En ce qui concerne l’achat de biens durables, les appareils électroménagers et les appareils audio et vidéo sont achetés dans des magasins spécialisés qui offrent une garantie et un service après-vente. La décision d’achat est prise en famille. Les classes moyennes choisissent leurs marques à l’aide d’une information spécialisée, la publicité, les catalogues, et Internet qui les aide à s’orienter dans les nouveaux standards de consommation. Habituellement, les représentants de la classe moyenne possèdent à la maison de nouveaux ordinateurs coûteux, souvent des ordinateurs portables. Le Tableau 3 illustre la montée parmi les consommateurs russes des achats et des équipements concernant les nouvelles technologies.

Tableau 3. Équipement des ménages en technologies de l’information et de la communication, en % des ménages, 2007.

Équipement Taux d’équipement
Abonnement téléphonique 145,6
Abonnement téléphonique portable 114,6
Accès à Internet 2,8
Ordinateur 12,1

Source : Global Market Information for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2007.

Les caractéristiques de l’équipement des ménages russes sont aussi liées au fait que de nos jours, à l’image des femmes occidentales, la majorité des femmes russes sont engagées dans la vie active. Comme les femmes disposent de moins en moins de temps pour s’occuper des tâches ménagères, mais par contre perçoivent des revenus plus importants, elles s’équipent de biens durables afin de faciliter leur quotidien. De plus, nombreux sont les Russes qui cumulent plusieurs emplois. Ils cherchent alors des produits qui leur permettent de concilier leur vie active et leur vie familiale. Les biens durables tels que le lave-vaisselle, le réfrigérateur, le four à micro-ondes et le sèche-linge sont de plus en plus présents dans les foyers russes. Leur qualité a progressivement augmenté entre 1990 et 2000. D’après les prévisions, cette progression sera encore plus importante vers 2015[19].

L’analyse de la fréquence d’achat de ces appareils n’a révélé que des différences minimes dans le comportement des consommateurs. Les gens acquièrent ces objets sans intention d’en changer souvent, même s’ils en ont les moyens. Une telle attitude révèle que la modernisation n’est pas encore aboutie comme en Europe, où les consommateurs changent un appareil électroménager car un nouveau modèle est sorti ou parce qu’ils ont l’habitude de renouveler régulièrement leurs biens durables. Les fabricants n’ont pas encore réussi à persuader les consommateurs russes de changer d’appareils et d’équipements pour des raisons autres que des pannes ou des défauts. La mode ou l’apparition d’un modèle plus récent ne suffit pas. Ainsi, l’analyse du temps nécessaire au renouvellement des achats amène à la conclusion que les représentants de la classe moyenne russe sont très pragmatiques. Il n’est pas encore courant qu’un consommateur décide de remplacer son vieux réfrigérateur au profit du dernier modèle, alors que l’ancien fonctionne encore.

Les résultats du sondage effectué par le groupe Esomar ont montré que pour les représentants de la classe moyenne, les marques les plus populaires de téléviseurs (Sony, Panasonic et Philips) sont les plus prestigieuses, tandis que les représentants des couches sociales inférieures préfèrent acheter des produits moins onéreux. La classe moyenne a tendance à s’orienter vers l’achat de marchandises dont les gammes de prix sont plutôt larges, et comprennent des biens de luxe. Il est évident que les premiers consommateurs de produits de luxe sont les personnes très aisées, mais les représentants de la classe moyenne en sont également car ils veulent correspondre à une certaine image et préserver leur statut dans la société[20].

Une tendance inverse est remarquée pour la consommation des produits alimentaires. En ce qui concerne ces derniers, la norme occidentale est beaucoup moins prononcée. Apparemment, les représentants de la classe moyenne font moins confiance aux produits étrangers et préfèrent les produits nationaux. En général cette classe, comme celles qui lui sont inférieures, consomment les mêmes marques de produits. Les aliments issus des productions locales inspirent plus de confiance. Parmi les denrées importées, la préférence est donnée aux vins, aux conserves et à la confiserie. La consommation des biens qui ne sont pas de première nécessité (chips, yaourts, eau minérale) se développe de façon très dynamique. Une attention particulière est accordée à la quantité de calories et la qualité des aliments. Une différence existe ainsi dans le niveau de consommation de certains produits. Par exemple, les représentants de la classe moyenne consomment environ 8,2 litres de lait par mois, tandis que les autres n’en consomment que 6,2 litres. Ils achètent 1,5 fois plus de viande et 2 fois plus de spécialités de viande[21].

Les nouveaux lieux d’achat et leur accessibilité

Les habitudes d’achat s’occidentalisent également, ce qui est conditionné en partie par l’apparition de différents formats commerciaux. Une analyse des comportements d’achat a été réalisée par nous en 2007 sur la base d’interviews effectuées dans 50 familles moscovites[22]. Elle révèle en premier lieu que les Russes achètent souvent dans les hypermarchés à l’avance. Seuls les produits laitiers, le pain, la viennoiserie ainsi que les fruits et légumes sont achetés quotidiennement. Le fait d’acheter les produits à l’avance ne relève pas d’une stratégie d’achat par peur d’une pénurie ou par manque d’argent, comme c’est le cas dans les familles à bas revenus. Il s’agit plutôt de la reprise d’une stratégie occidentale d’achat dans le but de libérer plus de temps dans la semaine. Les personnes ont ensuite été interrogées sur les raisons qui déterminent le choix du centre commercial. Le critère déterminant semble être l’objectif de l’achat, puis vient l’accessibilité des centres commerciaux et des hypermarchés.

Comme le démontre ce sondage, la qualité des articles est jugée très importante, les heures d’ouverture viennent en seconde position, tandis que les prix des articles occupent la troisième place. L’accessibilité du lieu par les transports en commun, la distance par rapport au domicile et la durée du trajet sont également à prendre en considération. Quant aux éléments relevant de la perception personnelle des sondés, on retrouve, sans qu’ils soient pour autant déterminants, les critères de la propreté et de la sécurité, ainsi que la qualité du service.

Si l’on prend en compte le groupe d’âge des interrogés, les mêmes critères se retrouvent en tête de liste par ordre d’importance. La qualité des articles est très appréciée par la jeune population qui semble également sensible à la variété du choix des articles, ainsi qu’à l’atmosphère du lieu fréquenté. On constate une manifestation nette dans la volonté du consommateur d’adopter le western way of life. Les marques les plus appréciées sont celles qui sont omniprésentes dans les publicités. Les représentants de la classe moyenne achètent souvent chez Auchan, Ikea et Sedmoï Kontinent[23].

D’habitude, ce sont les femmes qui s’occupent de l’achat de l’alimentation mais, dans la plupart des cas, les hommes accompagnent leur conjointe dans les hypermarchés, les aident et les reconduisent à la maison. Avec le développement récent d’autres formats commerciaux, de nouveaux concepts se mettent en place à l’intérieur des magasins et contribuent aussi à l’occidentalisation des habitudes de consommation en Russie. Les formats développés prévoient non seulement le traditionnel hypermarché avec la galerie marchande, mais également des structures de loisirs telles que des cinémas, des bowlings, des aires de jeux pour les enfants, ainsi que des points de restauration. Les opérateurs veulent ainsi créer une ambiance favorisant les flâneries familiales. Depuis 2000, un nouveau concept s’est manifesté en Russie : il s’agit du fun shopping. Ce concept importé par les développeurs et distributeurs occidentaux, associe l’activité d’achat à celle des loisirs. Le fun shopping trouve son origine aux États-Unis et se répand en Europe. L’association de ces deux activités existait déjà en Europe à la fin du xixe siècle. L’équivalent américain du centre commercial est le shopping mall, le terme « mall » se traduisant en français par « promenade ». Les centres commerciaux modernes sont ainsi destinés à devenir des lieux de promenade au même titre que les parcs publics. La tendance à l’occidentalisation des habitudes s’est fortement accentuée en Russie dans la mesure où les galeries commerciales modernes remplaçant, en quelque sorte, les centres-villes traditionnels, sont considérées par la jeune population comme un lieu de socialisation et de loisirs pour des soirées qui se déroulaient habituellement en ville. Cela concerne, en particulier, les « soirées cinéma » avec l’apparition de complexes en périphérie des cités qui concurrencent les anciens cinémas des cœurs de ville. Les jeunes s’y rendent plus souvent que la population plus âgée. Le samedi, des familles entières vont dans ces lieux et peuvent y passer une journée complète. Le centre commercial est considéré par les représentants de la classe moyenne comme un endroit où l’on peut faire des achats, se distraire et éventuellement rencontrer ses amis.

La consommation des services de loisirs et de santé

La classe moyenne a pris conscience du fait que le loisir n’est pas uniquement le temps libre après le travail, mais une opportunité de remplir sa vie, de la rendre plus vive et intéressante. Les résultats de plusieurs sondages concernant la classe moyenne montrent que l’utilisation du temps libre s’oriente vers le développement personnel, l’auto-instruction, le perfectionnement des connaissances et la pratique du sport. Cette tendance démontre l’amélioration de la qualité des activités effectuées dans le cadre du temps libre. Il est important de souligner que le passage à l’économie de marché a ouvert de nouvelles opportunités de loisirs.

À l’époque soviétique, les infrastructures pour les activités ludiques n’étaient pas aussi riches et variées qu’aujourd’hui. À cela s’ajoutait le fait que le taux d’équipement des ménages en appareils électroménagers et en voitures était beaucoup plus faible qu’à l’heure actuelle. Le temps libre était donc davantage mobilisé, pour les femmes et mères de famille, par les tâches domestiques et, pour les hommes, par le bricolage ou le jardinage. La résidence secondaire appelée datcha, avec une parcelle de terrain, était très prisée en URSS. Elle servait à cultiver des légumes et des fruits pour faire des provisions et éviter les dépenses supplémentaires de la famille. Ce type d’activité prenait beaucoup de temps et d’énergie pour tous les membres de la famille pendant les week-ends ou les vacances et ne contribuait pas forcément au développement personnel ou à la vie sociale de la famille.

Avec le passage à l’économie de marché, les modes de vie ont changé. Les nouvelles infrastructures de loisirs et de consommation ont fait leur apparition, la multiplication des centres de distribution, liée à l’offre de nouveaux loisirs (diversité des salles de cinéma avec effets spéciaux, des bars, des restaurants, des parcs aquatiques, des bowlings, de différents clubs thématiques adaptés aux intérêts des personnes), a amené les Russes à remanier leur emploi du temps. Néanmoins, l’accès à ce type de loisirs représente un certain coût et ce sont les représentants de la classe moyenne les premiers consommateurs de ce genre d’activité.

La façon d’occuper le temps libre est une autre particularité qui reflète le bien-être des familles. À la différence des membres des autres couches de la société, ceux de la classe moyenne n’apprécient guère le jardinage, qui était auparavant un loisir très répandu et très apprécié. Ce fait est prouvé par des affirmations spécifiques : « J’aime bien passer la soirée avec mes amis dans un bar ou dans un café », « Je préfère que mon repos ait un caractère organisé ». La réponse « Je préfère passer une soirée au calme chez moi plutôt que de sortir dans une soirée bruyante » n’est pas très populaire dans la classe moyenne[24].

La classe moyenne regroupe des personnes qui travaillent beaucoup et qui apprécient d’autant plus leurs loisirs. Elles ne renoncent pas à la vie sociale, aiment être entourées et, pour se rencontrer entre amis, choisissent un café ou un bar plutôt que leur maison. Cette forte demande de lieux de rencontre amène le nombre de clubs, de restaurants, de cafés et de bars à augmenter. Une autre caractéristique de leur comportement de consommation est l’importance et la qualité des loisirs, comme les soirées passées entre amis dans des clubs, des discothèques, des concerts. Les loisirs des représentants de la classe moyenne sont assez diversifiés. En moyenne, 10,2 % de la classe moyenne va à l’opéra au moins une fois tous les 3 mois contre 3,7 % parmi les autres groupes. Pour les musées, les chiffres sont respectivement de 24,4 % et 9,2 %[25]. Les visites des bibliothèques, qui ne demandent pas beaucoup de dépenses financières, sont également typiques de la classe moyenne. Les fréquentations régulières d’expositions, de salons et de concerts s’expliquent par son haut niveau de formation intellectuelle.

La classe moyenne prouve que la situation dans la société conditionne un certain mode de vie qui doit être sain. La santé est considérée comme un des plus importants composants du capital humain. Quelles sont les particularités de la classe moyenne russe concernant ce domaine ? L’attitude rationnelle envers la santé est traditionnellement une des caractéristiques de cette couche sociale. Les études menées à ce sujet par deux sociologues russes, Natalia Tikhonova et Svetlana Mareeva, utilisent trois critères : culturel et comportemental, sociopsychologique et psychosocial, matériel et financier. Ces études ont montré que l’état de santé de la classe moyenne est meilleur que celui du reste de la population[26]. Avec l’âge, cet écart grandit. Concernant les facteurs comportementaux, la pratique du sport, le refus du tabagisme et de l’alcool sont très prononcés. Le pourcentage de fumeurs dans cette catégorie s’élève à 28 %, contre 35 % dans le reste de la population[27]. La consommation du nombre de cigarettes par jour est également moindre. En ce qui concerne l’alcool, seulement 3 % de la classe moyenne consomme de l’alcool plus de 2 à 3 fois par semaine. Pour le reste de la population, cette proportion est deux fois plus élevée. La pratique du sport est également très appréciée. Elle est de 2 à 3 fois plus élevée dans cette catégorie que dans les autres[28]. Les Russes moyens pratiquent généralement la natation, le jogging et la gym. Néanmoins, les représentants de la classe moyenne ne se préoccupent pas de leur poids. On constate qu’ils éprouvent moins le besoin d’économiser sur les dépenses alimentaires que leurs compatriotes des classes inférieures. 34 % de la classe moyenne est en surpoids contre 27 % pour l’ensemble de la société. Les critères matériels et financiers exercent une influence importante en apportant de meilleures conditions de vie, une amélioration du quotidien et l’accès à une large palette de services.

Les représentants de la classe moyenne évitent les arrêts maladie. En même temps, ils sont les principaux consommateurs de tranquillisants. La crainte du licenciement et de la perte du statut social explique ce recours aux antidépresseurs.

Pour les soins courants, les membres de la classe moyenne apprécient les polycliniques commerciales. Entre 2005 et 2007, 55 % d’entre eux ont eu recours à la médecine privée, contre 31 % pour le reste de la population[29]. Ces choix s’expliquent par la meilleure qualité de la médecine privée par rapport à celle des services publics et gratuits. Toutefois, on constate un manque de ressources pour accéder à ces soins médicaux de qualité. Entre 2005 et 2007, 2 % des Russes moyens ont dû contracter un crédit pour financer leurs dépenses de santé. Lors d’une autre enquête, en 2008, ce chiffre ne s’est pas réduit : 11 % des sondés souhaiteraient investir davantage afin d’améliorer les soins médicaux pour leur famille[30].

Pour alléger leurs dépenses de santé, les représentants de la classe moyenne souscrivent des régimes médicaux complémentaires. Il faut noter que, dans 88 % des cas, ce service est payé par les entreprises, mais 17 % de la classe moyenne le paye à titre individuel. Les régimes les plus populaires couvrent les actions de prévention et sont surtout appréciés parce qu’ils n’engendrent pas de dépenses supplémentaires et permettent un respect total des horaires de travail. Ce fait est dû aux conditions spécifiques de travail. On retrouve également ici l’argument, cité plus haut, concernant le désir de maintenir un certain niveau social. D’après le témoignage d’un « Russe moyen », dans les nouvelles conditions économiques, la « santé s’est mise à jouer un rôle particulier. Tomber souvent malade est synonyme de perdre son emploi[31] ». Dans la catégorie d’âge des 26-30 ans, les visites médicales de prévention sont de 18 % plus fréquentes que pour le reste de la population. Dans la tranche des 31-40 ans, ce pourcentage est de 20 %[32]. Ces chiffres témoignent que pour les représentants de la classe moyenne, les visites médicales représentent plutôt une norme socioculturelle qu’une réaction à la dégradation de leur état de santé. Selon eux, être en bonne santé ne veut pas uniquement dire ne pas être malade, mais avoir une vie saine, une bonne santé psychologique et diminuer le stress. C’est donc la perception de la santé qui est différente.

La notion de style de vie sain s’incruste dans la vie quotidienne. C’est un changement d’attitude envers la santé : la compréhension du fait que la santé est une sorte de capital qu’il faut préserver. L’apparition du tourisme médical à l’étranger devient un trait du comportement des « Russes moyens ». L’occidentalisation de la vie et l’acceptation de nouveaux standards de consommation deviennent de plus en plus manifestes dans le comportement des consommateurs.

Conclusion 

Pour la classe moyenne, les réformes économiques et le passage à l’économie de marché ont ouvert de nouvelles opportunités professionnelles ainsi que l’accès à la société de consommation dont les « Russes moyens » sont devenus en quelque sorte « les otages ». Les longues années de privation ont déclenché cette soif de consommer, ou « fièvre acheteuse », dont parlent certains analystes français. Les comportements d’achat sont motivés par la volonté de maintenir un certain statut et de ne pas vivre « moins bien que les autres ». De fait, les représentants de la classe moyenne deviennent dépendants de leur statut par crainte de le perdre.

Cette attitude tranche avec celle qui était courante à l’époque précédente, durant laquelle le Parti tâchait d’élaborer un « style soviétique de consommation ». Aux temps de l’URSS, les différences dans les modes de consommation n’étaient pas si manifestes et les pénuries constantes limitaient l’accès aux biens. Avec la création du marché fonctionnel en Russie actuelle, on assiste à l’avènement d’une pluralité des styles de consommation et de styles de vie.

Le comportement de la classe moyenne est conditionné par des particularités sociales et culturelles. Le désir de constituer une épargne détermine également les attitudes. La situation économique instable du pays ne permet pas d’analyser si cette épargne est réservée à l’achat de produits à forte valeur ajoutée (ce qui témoignerait de la formation d’un style de consommation) ou bien si elle est dédiée au motif de précaution, par crainte « des mauvais jours ».

L’étude de la classe moyenne russe par le biais du marketing se justifie pleinement. L’approche théorique occidentale de la classe moyenne ne peut pas s’appliquer mécaniquement. Les critères des écoles russes sont divers et nombreux et demandent encore à être stabilisés. Une grande dynamique de consommation s’installe en Russie sur la base de nouvelles normes qui sont inspirées du modèle occidental. Elles actent une rupture avec le passé et sont imprégnées par la spécificité russe.

L’arrivée d’une nouvelle crise en 2008 confirme l’instabilité économique et sociale de la classe moyenne russe. Au moment où la Russie a vu, pour la première fois depuis la dissolution de l’URSS, se former une classe moyenne avec un important pouvoir d’achat, la crise apporte un coup d’arrêt au dynamisme de cette population très fragile en train de s’affirmer. C’est ce groupe social qui se retrouve le plus exposé aux conséquences de ces bouleversements économiques dont on ignore encore leur impact.


[1] Martine Mespoulet, « Des différences sociales accrues », dans Marie-Pierre Rey (dir.), Les Russes de Gorbatchev à Poutine, Paris, Armand Colin, 2005, p. 169-193.

[2] Irina Kortchagina et al., « Conditions de vie et pauvreté en Russie », Économie et statistique, n° 383, 2005, p. 219-244.

[3Ibid, p. 224.

[4] Ce qui permet parfois d’affirmer que la classe moyenne russe est une notion « éphémère ».

[5] Alain Touraine, « Les classes moyennes », Encyclopédie Universalis, http://www.universalis.fr/.

[6] Tatiana Maleva, Srednie klassy v Rossii. Èkonomičeskie i social’nye strategii [Les Classes moyennes en Russie. Stratégies économiques et sociales], Moscou, Gendal’f, 2003, p. 38, cité dans Martine Mespoulet, « Des différences sociales accrues », art. cité.

[7Ibid.

[8] Georgij Diligenskij, Ljudi srednego klassa [Les individus appartenant à la classe moyenne], Moscou, Obščestvennoe mnenie, 2002.

[9] Andrej Zdravomyslov, « Rossijskij srednij klass – problema granic i čislennosti » [« La classe moyenne russe – problèmes de définition et de nombre »], Socis, 2001, p. 76-85.

[10] Georgij Diligenskij, Ljudi srednego klassa [Les individus appartenant à la classe moyenne], op. cit.

[11http://middleclass.ru/middleclass/character.

[12Ibid.

[13] Les interviews ont été effectuées par Natalia Guilluy-Sulikashvili, à Moscou, en été 2008.

[14La Tribune, 25 janvier 2005.

[15] Service fédéral des statistiques d’État : www.gks.ru.

[16] Denis Eckert et Vladimir Kolossov, La Russie, Paris, Flammarion, 1999.

[17] Elizabeth C. Hirschman, « The Ideology of Consumption: a Structural Syntactical Analysis of Dallas and Dynasty », Journal of Consumer Research, vol. 15, n° 3, 1988, p. 344-359. Voir aussi Marc Filser, Le Comportement du consommateur, Paris, Dalloz, 1994.

[18] Roj Medvedev, Moskovskaja model’ Jurija Lužkova [Le Modèle moscovite de Youri Loujkov], Moscou, Vremja, 2005.

[19] Global Market Information for BNF, Consumer Lifestyles in Russia, 2007.

[20] Nathalie Bayle, « En Russie, les nouveaux riches se ruent sur les marques de luxe », Les Échos, 8 décembre 2005.

[21] Tatiana Maleva, Srednie klassy v Rossii. Èkonomičeskie i social’nye strategii [Les Classes moyennes en Russie. Stratégies économiques et sociales], op. cit.

[22] Les interviews dans les familles moscovites ont été réalisées par Natalia Sulikashvili en août 2007.

[23] Sedmoï Kontinent [Septième continent] est une chaîne russe de supermarchés.

[24] Ici sont utilisés les résultats du sondage réalisé lors de l’étude R-TGI (Russian Target Group Index) menée à Moscou en 2006 par Komkon, groupe de recherches en marketing.

[25] Alexej Kazancev, Dinamika potrebitel’skogo povedenija russkogo srednego klassa [Dynamique du comportement de consommation de la classe moyenne russe], thèse en économie, Moscou, 2004, p. 104.

[26] Natalja Tixonova et Svetlana Mareeva, Srednij klass: teorija i real’nost’ [La classe moyenne : théorie et réalité], Moscou, Alfa-M, 2009.

[27Ibid., p. 202.

[28Ibid., p. 203.

[29Ibid., p. 203.

[30] Ibid., p. 204.

[31] Ol’ga Sobolevskaja, « Russie : la crise de croissance de la classe moyenne », http://www.ane.ru/smi-ob-anh [site consulté le 12 juin 2009].

[32Ibid.

 

Pour citer cet article

Natalia Guilluy-Sulikashvili. «L’émergence d’une nouvelle classe moyenne en Russie ou les caractéristiques d’une nouvelle consommation». In : Maryline Dupont-Dobrzynski et Garik Galstyan (dir.) Les influences du modèles de gouvernance de l’Union européenne sur les PECO et la CEI. Lyon : ENS de Lyon, mis en ligne le 15 juillet 2011. URL : http://institut-est-ouest.ens-lyon.fr/spip.php?article351