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Zinaïda Guippius – poète symboliste et agent culturel de l’âge d’Argent

Christa Ebert

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Mots-clefs : symbolisme russe, poètes-femmes russes.

Plan de l'article

Texte intégral

Zinaïda Guippius est connue en premier lieu comme poète de la première génération des symbolistes russes. Mais elle n'a jamais obtenu la popularité de ses collègues Alexandre Blok, ou bien des poètes-femmes Anna Akhmatova et Marina Tsvetaïeva. Peut-être est-ce parce qu'elle n'est pas seulement poète, mais que, par son talent et son image de soi, elle a toujours été plus que ça. La poésie jouait un rôle important dans ce programme, mais n'était pas le seul domaine auquel Madame Guippius consacrait ses efforts.

Il est évident, que son influence culturelle, les traces, qu'elle a laissées dans la vie spirituelle de la culture russe ne se limitent pas aux textes écrits, aux poèmes, à la prose et aux articles. Avec son esprit vif et avec sa personnalité extraordinaire, elle a aussi inspiré les poètes Alexandre Blok et Andreï Biély, et plus tard dans l'émigration, Ivan Bounine, les philosophes Nikolaï Berdïaev, Vassili Rozanov, les hommes politiques Alexandre Kérenski, Boris Savinkov.

Pourtant elle est restée pendant toute sa vie dans l'ombre de son mari, dont elle avait influencé les activités et les idées à un haut degré, parce qu'elle pensait qu'il était plus fort et plus talentueux qu'elle-même. Elle considérait leur mariage comme une union de travail et de vie commune, dans laquelle les relations de propriété, en ce qui concerne les idées, ne jouent aucun rôle. Son mari était déjà un poète et auteur célèbre quand elle l'a rencontré, et c'est pourquoi elle trouvait plus raisonnable de lui céder la gestion dans leur travail commun. C'est pourquoi il est difficile d'identifier la part exacte qu'elle a eue dans l'entreprise familiale Mérejkovski-Guippius.

Quelques précisions biographiques

Née en 1869 à Toula dans la famille d'un juriste d'origine allemande (installée en Russie au XVIe siècle) et une mère sibérienne, Zinaïda était l'aînée de quatre sœurs. Plus tard la famille déménagea à Saint-Pétersbourg, où le père travailla comme employé du gouvernement, au Sénat. A cause de sa tuberculose chronique, la famille dû quitter le climat rude et se déplacer au Sud, où ils vécurent à différents endroit en Ukraine et en Crimée. Après la mort du père, la famille prit logement à Borzhomi dans le Caucase. C'est là que Zinaïda fit la connaissance de Mérejkovski, qui après une très courte phase de rencontre lui fit une demande en mariage. En 1898 ils se marièrent à Moscou et trouvèrent un logement à Saint-Pétersbourg. La métropole nordique va rester leur lieu de vie et de travail jusqu'à leur émigration en 1919, qui les mena d'abord en Pologne et plus tard, en 1921, en France. Déjà depuis 1896 les Mérejkovskii avaient loué un logement dans la capitale française, et ainsi ils avaient un endroit où aller après avoir fui la Russie. La France devint leur deuxième patrie, et ils y restèrent jusqu'à la fin de leur vie : Mérejkovski mourut en décembre 1941, Guippius suivit son mari le 1er septembre 1945.

Elle a consigné toutes leurs activités communes dans son livre de mémoire sur Mérejkovski[1] en 1943 (qu'elle dictait à son secrétaire Vladimir Zlobine), dans l'avant propos duquel elle explique, que c'est un livre « sur lui et sur nous », par « nous » elle comprend « lui » et « moi ».

Le couple Guippius-Mérejkovski prenait activement part à la vie culturelle et politique de la Russie de l'âge d'Argent et de l'émigration russe. Après son mariage, Zinaïda Guippius ouvrit un salon dans son logement à Saint-Pétersbourg, qui était fréquenté par de jeunes poètes, de jeunes philosophes et artistes – souvent membres du cercle et du journal Le Monde de l'art (Mir iskusstva). Le salon de Guippius était – sauf les réunions dans la Bašnja, la célèbre « Tour » de Vïatcheslav Ivanov et en concurrence avec lui – un des centres culturels les plus importants à Saint-Pétersbourg. De ce salon sortaient toutes les entreprises culturelles, politiques et littéraires du couple, ils y déclamaient des œuvres littéraires nouvelles, discutaient des questions d'esthétique, de philosophie et de culture, ils y rassemblaient leurs adhérents. Dans chacun des lieux où Guippius vécut, elle ouvrit un salon, que ce soit pendant son séjour à Paris de 1906 à 1908, ou après l'émigration, où elle continua cette tradition interrompue par la révolution jusqu'à sa mort en 1945. Elle considérait comme son devoir dans l'émigration de conserver et développer la culture russe en dehors des frontières du pays, qu'elle considérait comme perdu après la victoire des Bolcheviks.

La haine des Bolchéviks menait parfois à des conséquences bizarres, par exemple, à l'enthousiasme pour Benito Mussolini ou même à la sympathie pour Adolphe Hitler comme ennemis des communistes, mais c'était plus le cas pour Mérejkovski que pour sa femme.

Zinaïda Guippius ne cessait de défendre la révolution de Février/Mars et accusait Alexandre Kerenski d'avoir perdu la chance d'un renouvellement démocratique du pays. Certes, Guippius et Meréjkovski avaient des sympathies pour les démocrates sociaux, pour les révolutionnaires sociaux et les anarchistes, mais ils défendaient une position plus idéaliste, ils proclamaient une révolution culturelle, sur la base d'une Église nouvelle, du renouvellement de l'homme et des formes d'une communauté nouvelle. Surtout pour Guippius les sphères de la culture, la religion et la vie quotidienne fondaient une union inséparable. La poésie et la littérature n'étaient pour elle qu'une forme d'expression parmi d'autres qui menaient à cette vision. Dans ce sens, on peut dire qu'elle était plus idéologue que poète, et cela la distingue définitivement de ses collègues qui avant tout étaient poètes, comme Alexandre Blok, Anna Akhmatova et Marina Tsvetaïeva.

Guippius est une femme de son époque, elle aime la théâtralisation de sa vie et de son œuvre, sa manière de s'exprimer est le paradoxe, le contraste des extrêmes. On trouve cela dans ses manières et dans ses textes. Comme d'autres adeptes d'une conception du symbolisme philosophique (« Symbolizm kak miroponimanie », selon Andreï Biély) elle veut réunir la vie et l'art dans une expérience personnelle. Elle considère sa vie comme une œuvre d'art et son œuvre littéraire comme véhicule pour surmonter la solitude de l'homme et pour trouver une voie de communication avec les autres. Dans la religion au sens du mot religio (« relier ») elle voit le moyen pour créer cette nouvelle communauté.

Dans ce qui suit, je veux présenter ses activités culturelles dans quelques domaines choisis, comme notamment la poésie, le journalisme et l'organisation des « Réunions philosophico-religieuses » (Reliogiozno-filosofskie sobranija).

Même, si on tâche de se concentrer sur les travaux qu'elle a produit sous son propre nom, on se heurte à des difficultés. Guippius aimait la mystification, elle utilisait différents pseudonymes, surtout dans le domaine du journalisme et de la critique littéraire.

Poésie

Commençons par la poésie, son genre préféré quand elle était jeune. Zinaïda avait écrit des poèmes déjà avant sa rencontre avec Mérejkovski. Elle partageait son enthousiasme pour le jeune poète décadent Semïon Nadson et pour le courant nouveau qui se nommait décadence et plus tard symbolisme. On peut dire, que Mérejkovski et Guippius (à côté de Valeri Brioussov) étaient les inspirateurs du mouvement du symbolisme en Russie, que ce soit dans leur œuvre littéraire ou dans leurs activités publicistes.

À vrai dire, la poésie de Guippius ne suit ni les aspirations à une décadence pure, des poètes comme Valeri Brïoussov et Fïodor Sologub, ni le romantisme mystique d'Alexandre Blok ou d'Andreï Biély, bien qu'elle soutienne les efforts lyriques des uns comme des autres, et notamment ceux des jeunes poètes (Bïély et Blok) au point d'en être le premier rédacteur et mécène. Même si elle se consacrait à la promotion du symbolisme comme courant idéal et littéraire de toutes ses forces, elle comprenait le symbolisme d'une manière individuelle. Cela s'exprime aussi dans sa poésie, qui en fait un phénomène unique parmi les poètes contemporains symbolistes. Le chercheur américain Olga Matich[2] a analysé la poésie de Guippius, et elle a noté sa préférence pour des sujets abstraits : l'amour, la mort, dieu. Mais on peut quand même constater une certaine évolution dans le choix des sujets de son œuvre poétique : Dans les deux premiers recueils de sa poésie[3] dominent les motifs de la solitude de l'homme moderne, qui, d'un côté, ne veut pas se contenter du sentiment de la fin du Siècle, mais qui de l'autre côté exprime le désir romantique de surmonter cet état d'âme. Le troisième et le quatrième recueils ont pour sujet la politique et l'histoire de la Russie, et sont pénétrés par des visions apocalyptiques[4]. Enfin, dans son dernier livre (Sijanija[5]) qu'elle écrit dans l'émigration, on trouve le recours aux sujets abstraits religieux. Dans ses recueils de poésie, on peut suivre le mouvement de son monde intérieur, ses idées et idéaux, ils sont un véritable journal de son âme.

Guippius a créé une poétique musicale, qui est unique dans la littérature de son temps. Tout particulièrement dans « Chanson » (« Pesnja »), qui est devenu son poème le plus célèbre, le rythme et le refrain soulignent la position incertaine du moi lyrique entre terre et ciel.

Les motifs de l'amour et de Dieu dans ce premier tome sont organisés encore dans un esprit décadent : le deuxième poème « Dédicace » (« Posvjaščenie ») contient les vers : « Je m'aime comme j'aime Dieu / L'amour sauve mon âme[6] ».

Ces vers ont suscité un scandale dans le grand public qui y a vu une provocation religieuse et l'expression d'un égoïsme décadent. Pourtant dans ce poème nous trouvons déjà les éléments essentiels de son futur idéal du symbolisme.

Guippius cherchait une issue à la solitude de l'homme dans la religion et dans l'amour, qui pour elle étaient intimement liés. L'amour – c'était la possibilité pour deux personnes de se rencontrer au même niveau : homme et femme, homme et Dieu. Elle luttait contre l'oppression de l'homme sur tous les plans :

  1. sur le plan politique, elle était une adversaire de l'autocratie et nommait le tsar l'Antéchrist ;
  2. sur le plan de la vie familiale, elle était contre le mariage bourgeois, où la femme souvent était soumise au mari, c'est pourquoi elle avait une prédilection pour un ménage ouvert, et ils vécurent longtemps à trois (avec Dmitri Filossofov, et plus tard avec le jeune secrétaire Vladimir Zlobine) ;
  3. sur le plan de l'art, elle ne reconnaissait pas l'existence d'une littérature féminine. La littérature n'a pas de sexe, c'est ainsi qu'on peut résumer sa position, grâce à laquelle elle était proche de ses poètes-collègues Anna Akhmatova et Marina Tsvetaïeva. Ses buts dépassaient l'aspiration proprement esthétique, ils visaient l'idée de la liberté de l'homme, de la femme ou des hommes. Dans sa poésie, elle aimait la mystification des sexes : et elle signait ses poèmes d'un « Z. Guippius » (de sorte que le sexe restait indécis) et utilisait en général un moi lyrique masculin. Pendant des déclamations publiques, elle aimait se présenter dans une robe blanche très féminine, mais avec une croix noire sur la poitrine, ce qui lui a valu le surnom de Madone décadente. Elle voulait provoquer, mais elle voulait en même temps trouver une synthèse entre les extrêmes, entre les pôles disparates – religion, amour, et art. De temps en temps, elle se présentait en androgyne, comme sur le fameux tableau de Leon Bakst (1906) – sans doute l'androgynie est-elle le symbole le plus adéquat pour exprimer son désir de faire tomber les barrières traditionnelles entre les sexes.

Mais il faut aussi attirer l'attention sur ses poèmes ultérieurs, qui sont moins célèbres, mais qui montrent l'orientation de Guippius vers la politique et qui témoignent de son amour pour son pays et la grande douleur qu'elle subit à cause des catastrophes de la guerre et des révolutions russes, surtout celle d'Octobre.

Je me suis concentrée sur la poésie, quoique Zinaïda Guippius ait laissé un grand nombre d'œuvres en prose, parmi lesquelles plusieurs tomes de nouvelles et même deux romans[7], mais ils n'ont pas produit les mêmes effets que sa poésie ou ses textes publicitaires. Dans la mesure où on a affaire à un auteur de prose, il faut prêter attention à ses textes biographiques ou autobiographiques, par exemple à son journal politique (Peterburgskij dnevnik[8]), ses mémoires sur Mérejkovski[9] et les portraits des poètes contemporains (Živye lica[10]).

Guippius est aussi l'auteur de plusieurs drames, qui ont suscité un certain intérêt dans le théâtre. En particulier, son drame L'Anneau vert (Zelenoe kol'co) a eu un grand succès sur les scènes contemporaines. Dans ce drame, elle proclame ses idées d'une nouvelle forme de mariage et de l'amour.

Guippius est forte quand elle exprime ses propres idées et commentaires sur les évènements qu'elle a vus de ses propres yeux ou les gens qu'elle a rencontrés en personne. Elle ne possède ni une grande fantaisie, ni une éducation culturelle profonde, à la différence de son mari, sa qualité réside dans sa vision du monde qui est très individuelle, dans son esprit tout à fait indépendant et extraordinaire. Elle est consciente de son imperfection, et c'est peut-être la raison pour laquelle elle a choisi comme activité favorite le journalisme.

Journalisme

Avec son mari, elle éditait la revue religieuse Nouvelle Voie (Novyj put'), qui est devenue une plate-forme pour les jeunes poètes comme Alexandre Blok et pour les philosophes religieux comme Nikolaï Berdïaev.

Elle participait aussi activement aux discours culturels de l'âge d'Argent comme critique littéraire. Sous des pseudonymes divers elle a publié un grand nombre d'articles dans différents journaux, parmi lesquels sa propre revue Nouvelle Voie (Novyj put'), mais aussi la revue du symbolisme de Brïoussov La Balance (Vesy). Son pseudonyme préféré était Anton Kraïni (Anton l'Extrême), et ce nom était tout un programme : l'Extrême défend le jeune mouvement symboliste, il prend part aux luttes intérieures des différentes ailes, il critique le matérialisme et le réalisme.

Son ton était léger, provocant, bavard, mais toujours sagace et pointu, et beaucoup d'auteurs avaient peur de la sévérité du critique, dont l'identité est restée longtemps cachée. Après la levée du secret de son pseudonyme (en 1906) Guippius a publié les articles signés Anton Kraïni en 1908 sous le titre : Journal littéraire» (Literaturnyj dnevnik). Sa position en tant que critique ressemble à celle du poète qu'elle est : l'Extrême refuse la manière naturaliste dans l'art d'un côté – il attaque la poétique d'Anton Tchekhov et de Maxime Gorki, dans lesquels il voit des représentants du naturalisme –, et la décadence extrême de l'esthétisme du journal Le Monde de l'art (Mir iskusstva) de l'autre. Selon Kraïni, aux uns comme aux autres manque la vision d'une issue de la crise de la culture et de la conscience. Le critique préfère les auteurs classiques Mikhaïl Lermontov et Fïodor Dostoïevski, parce qu'ils posent les problèmes du conflit de l'âme de l'homme contemporain. En même temps, l'Extrême défend l'illusion et l'espérance comme éléments indispensables à l'art.

Anton Kraïni se présente comme un néo-romantique, désillusionné par la direction dans laquelle se développe la littérature contemporaine russe.

Lorsque la revue La Balance cessa de paraître, le critique Anton Kraïni connut encore deux renaissances : la première eut lieu après la révolution d'Octobre et dura de l'automne 1917 jusqu'au printemps 1918, période durant laquelle il prenait la parole pour défendre la liberté de la presse dans les derniers journaux libéraux russes (Večernyj zvon, Novye vedomostij et Volja naroda), la deuxième renaissance d'Anton Kraïni eut lieu en émigration, à Paris.

Les « réunions philosophico-religieuses » (Religiozno filosofskie sobranija)

Les efforts spirituels pour renouveler la culture, la société et l'homme formaient une grande partie des activités des Mérejkovski. Zinaïda Guippius était responsable de la réalisation pratique des différentes entreprises.

C'était à son initiative que furent organisées les « Réunions philosophico-religieuses », les premières rencontres dans l'histoire russe entre l'intelligentsia et des représentants de l'Église orthodoxe. Ils avaient pour but de créer un forum commun pour l'intelligentsia et l'Église, les deux branches de la vie spirituelle de la Russie, qui avaient existé séparées pendant tout le XIXe siècle. Les initiateurs voulaient réunir les sphères célestes et terrestres et parvenir à l'unité du corps et de l'esprit, créer une nouvelle Église qui ne serait plus une Église de l'État, mais celle des hommes. La toute première séance des « Réunions » eut lieu en 1901 à Saint-Pétersbourg. Les sujets discutés concernaient les relations entre l'État et l'Église, les questions de la tolérance religieuse, de la liberté de conscience, le rôle du mariage comme sacrement et mystère, mais aussi des questions pratiques sur l'organisation de la société, le statut de l'individu – questions qui, dans les sociétés européennes avancées, étaient discutées dans les instances juridiques, psychologiques, sociales. Étant donné qu'en attaquant les principes fondamentaux de l'Église orthodoxe, la critique attaquait le cœur même de l'État autocratique, le projet était regardé comme hérésie par le Synode. Après deux ans et 22 sessions, les « Réunions » furent interdites par le Saint Synode, elles connurent une renaissance sous la forme d'une « Société philosophico-religieuse » (Religiozno-filosofskoe obščestvo) en 1905. Dans cette organisation nouvelle, où des philosophes religieux comme Nikolaï Berdïaev, Semïon Frank, Pïotr Struve élaboraient les positions, les Mérejkovski ne jouaient plus de rôle dominant.

En somme, on peut dire que Zinaïda Guippius a été un des principaux accoucheurs de ce projet sur le fond duquel naquit le mouvement des philosophes religieux. Elle continua à entretenir des contacts avec ses représentants encore longtemps après la fin des « Réunions ».

Ses mérites ne se manifestaient pas dans les textes ou les comptes rendus des séances, qui ont été rédigés et édités par Gippius. Elle a même effacé ses propres discussions dans les textes publiés. Sa contribution au mouvement philosophico-religieux se limitait à l'inspiration d'idées et à l'organisation pratique, mais son influence était quand même considérable.

Politique

La politique apparaît dans la vie de Zinaïda Guippius avec la révolution de 1905. Son intérêt pour la politique fut stimulé par Dmitri Filossofov, qui avait une orientation libérale et fut l'ami proche des Mérejkovski pour plusieurs années. Filossofov était rédacteur de la revue Le Monde de l'art et fils de l'écrivain féministe Anna Pavlovna Filossofova (1837-1912). Guippius, Mérejkovski et Filossofov ont vécu en France de 1906 à 1908. A cette époque, ils cherchaient des contacts avec les émigrés politiques, comme Ilya Bunakov-Fondaminski, Vera Figner et surtout le terroriste Boris Savinkov. Ce dernier devint un visiteur permanent du salon parisien de Guippius. Elle faisait des efforts pour le détourner de la terreur, elle inspira et l'aida à rédiger son roman Le Cheval pâle (Kon' bled), pour lequel elle lui prêta son propre pseudonyme Ropshine. Elle inspira également le livre collectif des Meréjkovski et Filossofov Le Tsar et la Révolution (publié en 1907 en langue française ; en russe, il ne parut qu'après la perestroïka). Selon Guippius l'Autocrate était l'incarnation de l'Antéchrist, et il fallait aussi renverser, avec le Tsar, le pouvoir de l'Église orthodoxe. Le but proclamé était une Théocratie nouvelle, une Cité universelle, fondée sur un socialisme anarchiste et mystique.

Sa conscience politique se renforça pendant la Première Guerre mondiale. Guippius, qui aimait bien écrire des journaux sur des sujets différents – elle consacre des journaux spéciaux à l'amour, à la littérature – commença un Journal politique (Peterburgskij dnevnik) qu'elle mena jusqu'à la fin de l'année 1919, moment de son émigration. L'histoire de ce journal est vraiment épique – une partie semblait s'être perdue dans les troubles de la Révolution, mais finalement, il est entièrement publié[11].

Ce Journal politique est un document précieux sur l'époque, il donne un panorama détaillé des évènements politiques entre 1914 et 1919, même s'il représente le point de vue subjectif de son auteur. Guippius se déclare en tant qu'adversaire acharné de la guerre dès le premier jour, alors que le pays est encore saisi par des sentiments patriotiques, et en tant qu'adversaire des Bolcheviks, dans lesquels elle voit les destructeurs de la jeune démocratie et les constructeurs d'une nouvelle Autocratie.

On est surpris de la clairvoyance et de la force analytique avec lesquelles elle commente les évènements et prévoit leurs conséquences terribles pour la Russie. Ce Journal mérite attention comme témoignage authentique de cette époque dramatique en Russie. Il est malheureusement impossible de donner dans un article si bref un aperçu complet de toutes les activités de Zinaïda Guippius, mais il est certain qu'elle mérite une place importante parmi les femmes créatrice de la Russie.


Notes :

[1]. Gippius-Merežkovskaja Zinaida, Dmitrij Merežkovskij, Pariž, YMCA Press,1951.

[2]. Matich Olga, « The Symbolist meaning of Love: Theory and Practice », dans Creating Life. The Aesthetic Utopia of Russian Modernismus, ed. by Irina Paperno and Joan Delaney Grossman, Stanford, University Press,1994.

[3]. Gippius Zinaida, Sobranie stichov, 1898-1903 [Recueil de poèmes, 1898-1903], Moskva, Skorpion, 1904 ; Gippius Zinaida, Sobranie stichov. Kniga Vtoraja, 1903-1909 [Recueil de poèmes, 1903-1909], Moskva, Musaget, 1910.

[4]. Gippius Zinaida, Poslednie stichi, 1914-1918 [Derniers poèmes, 1914-1918], Petrograd, 1918. Des 46 poèmes de ce livre, 43 font partie du volume Stichi. Dnevnik 1911-1921 [Poèmes. Journal. 1911-1921], Berlin, Slovo,1922.

[5]. Gippius Zinaida, Sijanija [Éclat brillant], Pariž, Dom knigi,1938 (200 ex.).

[6]. Но люблю я себя, как бога люблю / И любовь мою душу спасет, Gippius Zinaida, Stichotvorenija [Poèmes], Sankt Peterburg, ed. Akademičeskij proekt, Serija Bibliotėka poėta, 1999, p. 76.

[7]. Gippius (Merežkovskaja) Zinaida, Novye ljudi, Rasskazy [Hommes nouveaux. Contes], SPb, M. Merkuševa, 1896 ; Tretja kniga rasskavov [Troixième Recueil de contes], SPb, 1902 ; Alyj mec: Rasskazy (4-aja kniga) [L'Épée rouge. Contes, Quatrième livre], SPb, M. V. Pirožkova, 1906 ; Černoe po belomu. Rasskazy [Noir sur Blanc. Contes], SPb, M. V. Pirožkova, 1908 ; Čertova kukla. Žizneopisanie v 33-glavach [La Poupée du diable. Biographie en 33 chapîtres], Moskva, Moskovskoe knigoizdatel'stvo, 1911 ; Lunnye Murav'í. Šestaja kniga rasskazov, Moskva, Al'ciona, 1912 ; Roman-Carevič. Istorija odnogo načinanija [Roman-Tsarevtich. L'histoire d'un commencement], Moskva, Moskovskoe knigoizdatel'stvo, 1913.

[8]. Gippius Zinaida, Sinjaja kniga. Peterburgskij dnevnik (1914-1917) [Le Livre bleu. Journal de Saint-Pétersbourg], Sankt Peterburg ; Černye tetradi (1917-1919) [Les Cahiers noirs], in Gippius Zinaida, Sobranie sočinenija, t. 8 [Œuvres, tome 8) Moskva, édition Russkaja kniga, 2003.

[9]. Gippius-Merežkovskaja Zinaida, Dmitrij Merežkovskij, Pariž, YMCA Press, 1951.

[10]. Gippius Zinaida, Živye lica, Vospominanija, t. I i II [Personnes vivantes. Souvenirs, t. I et II), Praga, Plamja 1925.

[11]. Gippius Zinaida, Sobranie sočinenij, t. 8 (Œuvres, tome 8), Moskva, édition Russkaja kniga, 2003.

Pour citer cet article

Christa Ebert, « Zinaïda Guippius – poète symboliste et agent culturel de l'âge d'Argent », Les femmes créatrices en Russie, du XVIIIe siècle à la fin de l'âge d'Argent, journée d'études organisée à l'ENS de Lyon par Isabelle Desprès et Evelyne Enderlein, le 9 novembre 2012. [En ligne], ENS de Lyon, mis en ligne le 11 novembre 2013. URL : http://institut-est-ouest.ens-lsh.fr/spip.php?article373