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Marxisme-léninisme et modèles culturels en Union soviétique et dans les pays d’Europe de l’Est

Projet présenté par Serge Rolet (Université Charles-de-Gaulle-Lille III)


Le présent projet se situe dans le prolongement du programme inscrit dans le contrat quadriennal précédent sous le même intitulé.

Présentation

Le projet « Marxisme-léninisme et modèles culturels en Union soviétique » vise à étudier les énoncés, et, d’une manière générale, les formes de socialisation qui sont liées au marxisme-léninisme : on s’intéressera aux discours des leaders soviétiques, aux éditoriaux des grands quotidiens soviétiques, aux publications des instituts, chaires et centres de recherches correspondants, mais aussi à l’iconographie et, plus largement, à la symbolique des grands rituels soviétiques (commémorations, fêtes, parades, nécrologies, etc.), aux formes plus mouvantes, plus orales et spontanées, qui vont des cérémonies de remises de prix et des discours d’ouverture, etc., aux prises de paroles (toasts, compliments) de la vie locale et domestique, que nous connaissons à travers la littérature. On n’analysera donc pas (pas principalement) les thèses du marxisme-léninisme, pour en éprouver la cohérence philosophique, comme a pu le faire Bernard Jeu, dans La philosophie soviétique et l’Occident (Paris, 1969) ; on ne tentera pas non plus d’évaluer dans quelle mesure la doctrine a guidé les décisions des dirigeants soviétiques, sur le modèle de Soviet Marxism de Herbert Marcuse (New York, 1963).

Il est possible de faire du marxisme-léninisme le langage (le code) dans lequel sont transmises toutes sortes d’informations (de messages) sans rapport étroit avec lui, au sein de l’espace sémiotique soviétique. La langue de bois, avec ses mots-emblèmes (« révolution », « classe ouvrière », « internationalisme prolétarien »), apparaît alors comme le masque derrière lequel se cache l’information véritable, qu’il importe de manifester, en la traduisant dans un autre langage, tel celui de la science politique libérale, ou celui de la vie courante. On peut attendre de cette méthode, expérimentée de longue date, de nouveaux résultats. Il reste qu’il est légitime d’observer le marxisme-léninisme en tant que code ultime, dans la mesure où ses usagers n’ont pas toujours éprouvé le besoin de lui en substituer un autre. Les réactions soulevées dans la société soviétique (principalement dans le Parti communiste) par le « Rapport Khrouchtchev » montrent que la doctrine était bel et bien un modèle du monde, à partir duquel l’événement était compris. La force modélisante du marxisme-léninisme mérite d’être envisagée en elle-même, dans le jeu de son instance (Foucault).

Dans le flot de discours énoncés au nom du marxisme-léninisme, on voit apparaître des formes particulières d’expression, toute une série de règles, une rhétorique et un style, à la fois homogènes et divers, dont la puissance de variation demande une analyse minutieuse. L’invariant marxiste-léniniste ne doit pas cacher les écarts liés aux types de discours (l’Académie des sciences ne décline pas Lénine de la même façon que la Grande encyclopédie soviétique), et aux différences de lieux et d’époques. L’omniprésence d’une vérité officielle imposée, comme on le sait, par la violence, n’empêche pas a priori les tensions, les ruptures. Une première direction de travail a exploré (Décembre 2008) les « Éléments alternatifs et déviants dans le discours soviétique (l’exemple des années 1960 et 1970) ».

Quelle que soit sa rigidité, la capacité combinatoire de la fameuse « langue de bois » est très élevée. Les énoncés soviétiques, toujours empreints de marxisme-léninisme, véhiculent ici et là des messages qui lui sont en principe étrangers : leur caractère conservateur, moralisant, nationaliste, témoigne d’un important travail d’hybridation, de transposition, d’abandon, et de recomposition, quelle que soit l’orthodoxie affichée. On pourra retenir notamment ce qui touche au passage du marxisme-léninisme du traité au récit, de la théorie au mythe : on assiste en effet à des phénomènes de scénarisation, à l’érection de héros proposés à l’imitation de tous, à la constitution d’une éthique et d’une esthétique « prolétariennes » paradoxalement proches, sous certains aspects, des modèles petit-bourgeois. Cette tendance générale à la mise en récit de la doctrine est lourde de difficultés : le héros (le récit, le mythe) entre en opposition avec le représentant du Parti (le traité, la théorie), comme le montre l’histoire de la réécriture par A. Fadeev de son roman Molodaja Gvardija (La Jeune Garde).

Dans ce qui, au sein de la société soviétique, tient lieu d’espace public, les énoncés formulés dans le langage du marxisme-léninisme produisent de puissants affects. Ils s’adressent autant à l’émotion qu’à la conscience. Le pouvoir du chef (de Staline, par exemple), est lié aussi bien à la reconnaissance de ses compétences théoriques à nulles autres pareilles qu’à l’adoration de sa personne. Il s’agira d’étudier quels types de discours rendent possible l’improbable coexistence du matérialisme athée et d’une forme de ferveur religieuse. Dans cette perspective, on pourra faire l’étude des occurrences des noms des « divinités du panthéon soviétique » (M. Heller) dans les énoncés produits en URSS. Dans les manifestations collectives, telles que l’anniversaire de la révolution ou le Premier mai, la représentation des grandes figures du marxisme-léninisme laisse apparaître certaines régularités qu’il faut décrire.

Une journée d’étude, organisée le 11 décembre 2009, a été consacrée au phénomène des célébrations en Union soviétique, dont l’un des intérêts majeurs est la coexistence, a priori problématique, du discours de la propagande avec des éléments de ritualisation.

Dans la cadre du présent contrat quadriennal, l’attention des chercheurs impliqués dans le groupe de travail se portera sur la représentation des héros soviétiques au sens large (fondateurs du marxisme-léninisme, grandes figures de la révolution et de la Grande guerre patriotique, mais aussi de la lutte permanente contre l’ennemi intérieur, comme Pavlik Morozov). Une journée d’étude pourra être consacrée à l’image de Lénine et à son évolution pendant l’ère soviétique (notamment à sa « virilisation ».

En fonction des temps et des lieux, certains thèmes, certains genres, certains modes de communication sont plus productifs que d’autres. Il faudra faire l’histoire de la distribution du discours marxiste-léniniste dans la société soviétique. L’émergence avortée d’une science expérimentale prolétarienne (Lyssenko) constitue à cet égard un précieux champ de recherche. Il paraît nécessaire de procéder à une étude de la forme particulièrement prolifique de discours que constituent les manuels soviétiques, en usage dans l’enseignement supérieur, dans des disciplines telles que le « communisme scientifique » ou l’« histoire du PCUSS ». Une ou plusieurs journées d’étude pourront être consacrées à cet important massif de la culture soviétique.

Fonctionnement

  • Quatre journées d’étude (une par an)
  • Deux séjours de recherche par an d’une semaine chacun dans les fonds slaves de l’ENS de Lyon.

Chercheurs impliqués

  • Alexandre Bourmeyster, PR émérite, Université Stendhal-Grenoble III
  • Josette Bouvard, docteur en études slaves
  • Ludmila Kastler, Université Stendhal-Grenoble III
  • Anne Melot, docteur en études slaves
  • Serge Rolet, Université Charles-de-gaulle-Lille III
  • Cécile Vaissié, Université RennesII.